PAR PIERRE BUILLY.
La cité de Dieu de Fernando Meirelles (2002)
L’enfance nue
Sans doute est-ce un peu long et surtout un peu répétitif. Même si le récit s’étale sur une quinzaine d’années, il ne s’échappe pas de cette favela où l’on suit l’initiation, l’ascension, la prise de possession, le règne et la chute sanglante de Petit Dé (Douglas Silva), devenu, avec l’âge, Petit Zé (Leandro Firmino), gamin des rues qui a le don du crime et va, pendant quelques années, régenter le trafic de drogue dans la Cité de Dieu, quartier de Rio de Janeiro construit pour éponger les longues files de miséreux qui s’accumulent dans la ville.
L’ascension et la chute de Petit Zé s’effectuent sous le regard distant et fasciné de Fusée, autre gamin de la cité, miraculeusement préservé de la gangrène de la violence, qui ne rêve que de devenir photographe et qui, à la suite de bienveillants hasards et de la qualité de son regard documentaire, le deviendra.
On a beau avoir entendu parler des gangs d’enfants et d’adolescents qui emplissent les rues du Tiers Monde, on est assez secoué par la violence anomique mise en scène par Fernando Meirelles qui ne laisse pas beaucoup de ciels bleus, ni même d’éclaircies dans le paysage d’un pays qu’on présente comme une future grande puissance.
Je veux bien que le film, qui date de 2002, entend présenter une histoire située entre les années 60 et le milieu des années 70. Je ne suis pas persuadé, d’après ce que je lis ou j’entends, que le Brésil d’aujourd’hui soit devenu un pays de vertu et de mesure. Il me semble même qu’on parle tout autant qu’auparavant des trafics, des assassinats, des cruautés, de la corruption généralisée…
La cité de Dieu, tournée avec une kyrielle d’acteurs amateurs, eux-mêmes issus pour la plupart des quartiers de relégation de la métropole brésilienne, a l’immense qualité de présenter sans indignation, ni moralisme une existence quotidienne de laissés pour compte ou la vie humaine n’a aucun poids ni aucune importance : on tue comme on se mouche, pour montrer qu’on est un grand garçon, pour se faire plaisir en voyant le sang surgir et même pour rien du tout, parce qu’on possède une arme et qu’on a devant soi une foule de victimes potentielles. La chose est d’ailleurs admise tout uniment par chacun, chasseurs et gibiers interchangeables, tous, ou presque, étant tour à tour victimes et bourreaux. Il y a une terrifiante résignation à la mort, banale et acceptée.
Ne parlons pas même de la drogue, aussi répandue que le sucre et beaucoup plus rémunératrice, des armes, qui sont de beaux jouets bruyants, des luttes de clans pour la possession du territoire, de l’ordre féroce que font régner les caïds de la cité, soucieux qu’on ne vienne pas trop perturber leurs manigances. On peut en dire autant de la police, d’ailleurs.
Et malgré cette impression de déjà vu (ou plutôt d’éternellement vu), La cité de Dieu parvient à accrocher l’attention. Sans doute un peu grâce à l’exotisme brésilien, à la personnalité des interprètes, à la brutalité de la réalisation, qui montre une réalité terrifiante sans effets de grand guignol. À la qualité des histoires entrecroisées aussi, aux personnages à qui on ne peut pas dire qu’on s’attache, mais qui deviennent familiers. À leurs surnoms, aussi, pittoresques et sûrement véridiques : Tignasse, Tenaille, Canard, Carotte, Nabot, Steak-frites, Manu tombeur…
Un sacré bain de sang. Et la baignoire, selon toute vraisemblance, continue à se remplir. ■
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