Voilà un article fort intéressant, paru dans Le Figaro d’hier, où Éric Zemmour sort avec bonheur et pertinence de ses habituels sujets de prédilection. Et c’est fort bien car si la question de l’immigration et de l’indépendance de la France traite de l’essentiel, du vital immédiat, le mal français, le mal postmoderne, ne s’y réduisent pas, L’écologie prise au sens large, le plus noble, s’impose comme souci essentiel. Et Zemmour a raison de la déclarer d’essence conservatrice. Nous renverrons simplement à une série d’articles que JSF a publiés, dont les deux auteurs sont de jeunes cadres du mouvement d’Action Française. Articles dont nous recommandons la lecture. [Liens ci-dessous]
Assumer avec intelligence le rapport profond entre écologie et conservatisme.
De quoi l’écologie est-elle le nom? Des pistes cyclables dans les villes? De la dénonciation des sapins de Noël et du Tour de France? De la lutte contre le nucléaire? De la défense des migrants?
Si vous répondez oui à toutes ces questions, vous êtes un Vert. Si vous répondez non, vous avez déjà compris la différence entre l’écologie et l’écologisme, entre une science et une idéologie, entre une philosophie d’essence conservatrice, soucieuse de transmission et de tradition, et des militants progressistes, gauchistes, qui ont hérité de l’individualisme épicurien et mondialiste des soixante-huitards, aux antipodes d’une véritable pensée écologique.
C’est la première leçon qu’on tire de la lecture de l’ouvrage de Pierre Caye. Mais c’est loin d’être la seule. L’auteur est directeur de recherche au CNRS, ancien normalien, féru de philosophie. Sa prose s’en ressent ; elle se fait souvent magma pâteux et abscons, qu’il faut parfois relire plusieurs fois avant d’en tirer la substantifique moelle. Dommage. La pensée est brillante et iconoclaste. Caye évite l’habituelle confrontation entre écologie et économie, entre technique et nature, et même entre souveraineté de l’État et développement durable. Celui-ci n’est nullement la panacée proclamée partout. Il est et a été souvent utilisé comme un moyen habile de libéraliser le marché : «Une part de l’écologisme a joué un rôle précoce et moteur dans l’émergence des sociétés néolibérales dès les années 1970.»
C’est tout le système de production, nous explique notre auteur, qui doit se transformer. Le capital ne doit plus seulement avoir le seul souci de la rentabilité, mais être considéré comme un patrimoine. Le travail humain ne doit pas craindre la machine, mais au contraire se lier à elle, en développant son rôle de maintenance, d’entretien, on oserait presque dire de soin. La technique n’est pas l’ennemi de l’homme. Reprenant les travaux du grand paléontologue Leroi-Gourhan, notre auteur nous rappelle que la technique est à l’origine du processus qui a fait de nous des humains doués de parole et donc de cerveau. C’est la technique qui nous a différenciés des animaux. Nous ne devons pas en avoir peur. «On confond les métiers et les tâches. Les tâches peuvent être automatisées sans que la part humaine du métier disparaisse.» De même, dans l’agriculture, les sols sont «artificialisés» depuis le néolithique. Le drame contemporain est « l’industrialisation des sols ».
L’opposition n’est pas où l’on croit. La technique n’est pas l’ennemi de l’homme, et la découverte n’est pas l’ennemi du passé: «Les mutations technologiques les plus récentes trouvent leur origine dans des découvertes fondamentales vieilles de plusieurs décennies (…). Un système productif est en réalité un palimpseste technique où le choc du passé est aussi structurant que celui du futur (…). La disruption rompt cette chaîne et remet en cause les conditions mêmes de l’invention et de l’innovation.»
La fameuse « disruption » que prône notre président de la République (et bien d’autres leaders occidentaux), est la condition de la «destruction créatrice» chère à Schumpeter. Elle est donc aux antipodes de ce développement durable que le même Macron nous vante également. Toujours ce maudit « en même temps » !
Caye assume avec intelligence le rapport profond entre écologie et conservatisme. Redécouvre les vertus de l’ancien droit de nos rois balayé par la conception bourgeoise du code civil. L’écologie est transmission et conservation. Elle nécessite une politique du patrimoine. Elle est profondément réactionnaire. Elle ne s’oppose pas à la propriété, mais à un capitalisme moderne qui ne connaît plus que les flux, et leur circulation toujours plus rapide, toujours plus rentable: «La mondialisation est la marchandisation généralisée des choses. Son contraire est le retour du patrimoine comme de la ressource protégée.»
Les États se sont soumis à ce capitalisme qui ne connaît plus les frontières ni même la propriété. Ils ont renoncé à leur souveraineté ; ils ont troqué leurs anciens gouvernements pour une moderne «gouvernance», qui a comme seule mission d’insérer les populations dans le système mondialisé: «La gouvernance a l’apparence et les formes d’un pouvoir démocratique sans être essentiellement démocratique (…) ce pouvoir soft n’est pas l’expression de la bienveillance de nos gouvernants mais découle de la nécessité même du fonctionnement de la machine économico-sociale contemporaine et de la régulation de son automaticité.»
Les mérites de l’authentique souveraineté
Caye redécouvre les mérites de l’authentique souveraineté. Il ne méconnaît pas les liens profonds dans l’histoire de l’Europe entre la construction des souverainetés nationales et le productivisme économique, liant industrie, recherche et puissance militaire, sur le modèle de l’Allemagne bismarckienne, imité par les États-Unis (et la France gaullienne). Un modèle qui est aujourd’hui encore celui de la Chine.
L’Union européenne est sortie de ce modèle historique pour se jeter dans celui de la gouvernance. A ruiné les souverainetés nationales des pays européens sans édifier une souveraineté européenne inatteignable. C’est ce qu’on appelle passer de Charybde en Scylla. Caye plaide que l’authentique écologie aujourd’hui réside dans la maîtrise du temps, le passage indispensable du temps court qu’impose la mondialisation néolibérale, à ce temps long qui permettrait seul de maîtriser les nécessaires bouleversements de notre modèle économique.
« Comment rétablir la souveraineté nationale sans sacrifier le développement durable à la volonté de puissance ? La véritable souveraineté politique, que la gouvernance ne saurait exercer, est un pouvoir capable de modifier la machine, d’avoir prise sur elle et non seulement de la nourrir et de la réguler (…). Le souverain est celui qui sort du temps court.»
Caye prône le grand retour de l’État, non par idéologie, mais parce que notre époque l’exige : « Pendant des siècles, la société incarnait la tradition et avait le sens du temps. Il revenait au politique de la sortir de ses traditions pour en accélérer l’évolution. Aujourd’hui, le rapport se renverse : la société prise dans la mobilisation totale, perd le sens du temps, qu’il revient désormais au politique de cultiver et de préserver. En régime de mondialisation, la souveraineté, c’est le temps. »
Quand on regarde la classe politique contemporaine, on se dit que personne n’est calibré pour cette tâche. ■
Pierre Caye, Durer, Les Belles Lettres, 370 p., 23,50 €. Les Belles Lettres
Lire le série parue dans JSF…
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Publié dans JSF à 6h15