Par Aristide Renou.
Le débat public, en France, construit systématiquement de fausses oppositions qui empêchent de considérer, et encore plus d’adopter, une troisième voie, qui est presque systématiquement celle de l’intérêt national et du débat raisonnable.
C’est l’un des nombreux malheurs individuels qui découlent du malheur de la France que de se trouver de plus en plus souvent contraint d’approuver des choses que l’on désapprouve ; ou tout au moins sommé de les approuver avec une force à laquelle il est difficile de résister.
Au motif que des musulmans fanatiques assassinent des caricaturistes, nous devrions tous « être Charlie ». Mieux : l’État lui-même devrait se charger de diffuser dans toutes les écoles de France et de Navarre les caricatures qui ont été le motif des assassinats. Sans quoi, nous dit-on, « les terroristes auront gagné ».
Au motif que l’islam est une religion profondément misogyne dans laquelle la femme a un rang à peine supérieur à ceux des esclaves, nous devrions approuver les délires théoriques et les revendications des féministes contemporaines.
Au motif que la pudibonderie musulmane, mêlée à une notion barbare de « l’honneur », prétend faire disparaitre les femmes sous de hideux linceuls et les séparer des hommes, nous devrions considérer comme obscurantiste et oppressif toute notion de pudeur et trouver très bon que des adolescentes s’habillent comme des tapineuses.
Me voici donc sommé, et bien d’autres Français avec moi, de choisir entre la défense de « droits » qui me paraissent indéfendables à la lumière de la raison, et le soutien à une religion funeste qui, tel un cancer, est en train de détruire progressivement tout ce qui est aimable dans notre pays.
Eh bien non ! Je refuse de choisir entre la peste et le choléra. Je refuse d’oublier qu’il existe un état qui s’appelle la santé et qui se caractérise, entre autres, par le fait de ne souffrir ni de la peste ni du choléra.
Plus spécifiquement, je refuse d’affirmer qu’il existerait un « droit au blasphème » et que les caricatures de Charlie Hebdo constitueraient le summum de l’esprit français, au point de devoir être « enseignées » au collège. Et je répéterais donc ici des choses que j’ai déjà dite lors de « l’affaire Mila », puisqu’il faut bien se répéter lorsque la réalité se répète.
Pourquoi ne suis-je pas d’accord avec l’idée d’un « droit au blasphème ? »
Si l’on veut dire par là que la loi ne devrait pas punir la parole ou le discours qui outrage la divinité, la religion ou ce qui est considéré comme respectable ou sacré, je ne peux qu’être d’accord, et sans réserve. Il est préférable que la loi humaine ne se mêle pas de défendre la divinité.
Légitimité de l’offense ?
Ce qui me pose problème, c’est qu’un « droit » est inséparablement quelque chose de légal et de moral. Affirmer que l’on a le « droit » de faire quelque chose, ce n’est pas seulement dire que la loi ne punit pas l’action en question – ce qui est une simple constatation – mais aussi que l’action en question est bonne ou, au pire, indifférente. Bref, que l’on n’est pas critiquable lorsque l’on fait usage de la liberté que vous laisse la loi. Dire « j’ai le droit », c’est, presque toujours, affirmer implicitement que, si la loi vous interdisait l’action X, la loi serait injuste. C’est une revendication morale.
Si donc nous regardons le « droit au blasphème » du côté de la revendication morale qu’il contient, je suis obligé de dire : « There’s no right to what is wrong ».
Ce que je veux dire, c’est que le blasphème est une forme d’injure. Le blasphème s’adresse non pas principalement à la divinité – qui ne saurait en être affectée, soyons sérieux – mais à la communauté de ceux qui croient à cette divinité : elle est une injure dirigée vers chacun d’entre eux, même si aucun n’est nommément visé. Le blasphème est destiné à être reçu comme un outrage par des êtres humains, c’est son but. Mais à l’injure on ne peut guère répondre que par l’injure ou par les coups, si du moins on a un peu de fierté.
« L’affaire Mila » est d’ailleurs une démonstration éclatante de tout cela : Mila a été insultée par un bon musulman (c’est certainement ainsi que lui-même se considère), elle a répondu par une injure qui lui semblait appropriée, c’est-à-dire par un blasphème envers Mahomet. Et aujourd’hui elle est en danger de mort.
La réaction de Mila était, sinon appropriée, du moins compréhensible dans un tel contexte. Cependant, revendiquer un « droit au blasphème » c’est bien autre chose, c’est revendiquer la possibilité d’offenser publiquement ses semblables en toute impunité. Mais seuls les tyrans peuvent réellement avoir un tel « droit ». Les injures détruisent la civilité, qui est indispensable à l’expression paisible et raisonnée des différends politiques, elles sont donc incompatibles avec un régime libre. Le blasphème, ce n’est pas le summum de la liberté de parole, c’est la mort à terme de la liberté de parole.
La loi, pour le répéter, ne devrait pas se mêler de défendre l’honneur de Dieu, et les pouvoirs publics devraient châtier avec toute la célérité et la sévérité appropriées ceux qui prétendent se faire les vengeurs de l’honneur divin. Non pas parce qu’il existerait un « droit au blasphème », mais parce qu’il existe un droit naturel à la sûreté que les pouvoirs publics ont le devoir absolu de protéger.
Mais nous ne devrions pas non plus laisser penser à nos concitoyens qu’ils peuvent s’injurier à travers leurs convictions religieuses sans que cela porte à conséquence ; qu’ils font un usage légitime, et même sublime, de leur liberté en essayant de s’outrager mutuellement le plus qu’ils peuvent alors qu’ils ne font en réalité que participer à la crétinisation et à la brutalisation du débat public. Alors que l’usage qu’ils font de leur liberté est destructeur des conditions de cette liberté.
Nous devrions toujours, en d’autres termes, dès lors que nous prenons la parole en public, essayer d’articuler un discours et non simplement d’exprimer un sentiment.
Pour ma part, je ne réclamerais donc pas la liberté de pouvoir dire publiquement, comme Mila : « Je mets un doigt dans le cul à Mahomet », ou d’autres choses semblables à propos de cette religion ou d’une autre. Cette liberté-là ne me semble bonne pour personne.
Nécessité du discours
Ce que je réclame en revanche, c’est la liberté de pouvoir donner mon avis sur la religion musulmane. Je réclame de pouvoir dire, sans crainte de la loi ni de mes semblables, que je considère que l’islam est l’une des religions les plus funestes qui aient jamais existé, du point de vue de ses conséquences sociales et politiques. Que je considère que l’enseignement de Mahomet encourage la superstition, le fatalisme, la brutalité, la misogynie, le despotisme, la guerre, entre autres choses. Que partout où cette religion s’est implantée durablement elle a stérilisé l’intelligence, effacé la liberté, tari l’industrie humaine. Je réclame de pouvoir dire que je considère l’islam comme un des grands fléaux de l’humanité.
Voilà ma conviction, que je suis tout à fait prêt à défendre avec des faits et des arguments. Dès lors, si des musulmans se sentent outragés par mes propos, c’est leur problème. J’ai fait l’effort d’articuler un discours, ils peuvent donc me répondre sur le même terrain, à supposer qu’ils en soient capables. S’ils n’en sont pas capables, et qu’ils répondent par des injures ou des menaces, cela prouvera simplement la justesse de mon diagnostic.
Ai-je encore cette liberté ? Je n’en suis pas bien persuadé. Mais ce que je sais c’est que, personnellement, je ne combattrai pas une religion qui me paraît encourager la stupidité avec les armes de la stupidité.
Je ne pense donc pas non plus qu’il soit pertinent de faire des caricatures « charliesques » de Mahomet, pour ainsi dire, une partie du programme scolaire, ou de les afficher partout, même si je peux comprendre le désir presque irrésistible de le faire après un acte aussi abominable que l’assassinat de Samuel Paty. Il me semblerait beaucoup plus pertinent, par exemple, de mettre au programme de français le Mahomet de Voltaire, de dire certaines vérités sur l’islam en cours d’histoire, au sujet par exemple de son expansion par la conquête et la destruction, au sujet de la place qu’a tenu l’esclavage des noirs et des chrétiens dans les sociétés musulmanes, etc.
Au lieu d’employer un temps et une énergie précieuses à enseigner de fantomatiques « valeurs de la République » ainsi qu’à essayer d’expliquer et de justifier des caricatures laides et sans esprit, que l’on expose les jeunes musulmans qui sont dans nos écoles, comme tous les autres jeunes gens, au meilleur de la civilisation occidentale et au meilleur de la France. Que leurs enseignants ne parlent qu’avec respect et – pourquoi pas ? – avec amour de la France, et qu’ils en parlent souvent. Que l’on cesse de vouloir sottement dissimuler le fait que la France est un pays de marque chrétienne, comme si on en avait honte. Tout cela fera infiniment plus pour leur intégration à la nation française – si tant est qu’ils en aient envie, bien sûr – que tous les numéros de Charlie Hebdo ou tous les « humoristes » du monde.
Et, bien sûr, que l’on soit intraitable en matière de discipline scolaire.
Même si cela ne devait pas contribuer d’un iota à les faire devenir des Français de cœur, cela contribuera du moins à faire des petits Français de souche un petit peu moins incultes, un petit peu moins perméables à la vulgarité et au relativisme du temps. Ce serait déjà un grand bien. ■
Article précédemment paru dans Politique magazine. Numéro de novembre.
Publié dans JSF à 6h55
Très bon article ou transparait la pertinence du propos .
D’accord avec The PRIMITIF (?).