S’il est des institutions et des personnalités qui n’auront pratiquement pas compté dans les difficultés gravissimes que traverse l’Europe, c’est bien la Commission européenne, le Parlement de Strasbourg, Herman Van Rompuy,José Manuel Barroso et consorts. A tel point qu’il n’est pas déraisonnable de se demander si leur suppression ou leur renvoi à leur pays d’origine ne serait pas à mettre au répertoire des économies qu’il ne serait pas préjudiciable de décider. Car tout ce monde ne coûte pas peu … et, tous comptes faits, ne sert à rien.
Il n’empêche : José Manuel Barroso continue de nous faire la leçon et contre toute apparence, tout sens du réel, il vient de déclarer ce qui suit, devant les parlementaires européens :
« Renationaliser les décisions de la zone euro n’est pas la bonne méthode (…) Seule la méthode communautaire européenne permettra de résoudre les problèmes ».
Qu’est-ce donc « la méthode communautaire » ? S’en remettre à la Commission ? Au Parlement ? A Monsieur Barroso soi-même ? Mais qui accorderait crédit à leurs décisions ? Qui obéirait à leurs injonctions dès lors que des intérêts vitaux sont en jeu ? Dès lors, par exemple, qu’il s’agit de payer ?
L’Europe a été bâtie sur les sables de l’idéologie et, dès lors que des situations graves surgissent, les institutions idéologiques qu’elle s’est données finissent pas compter pour moins que rien.
L’Europe historique est constituée de Patries, de Nations, d’Etats et, si grand que soit leur affaiblissement, face aux « Marchés », ce sont les Chefs d’Etat ou leurs ministres qui doivent se réunir pour tenter de prendre les bonnes décisions, lorsqu’il en apparaît de possibles, ce qui, dans toute cette affaire, n’est peut-être déjà même plus le cas.
C’est sur un dialogue institutionnel entre Etats que l’Europe aurait du se construire et c’est le contraire qui a été tenté. Peut-être est-ce un malheur, mais la communauté européenne en soi, n’existe qu’à partir des Etats. Si leur consensus n’existe pas, elle n’a pas plus de réalité que la prétendue Communauté internationale qui n’en a, à vrai dire, aucune.
Pour l’Europe, dans ces heures difficiles, c’est la convergence entre Etats, à commencer par les deux plus grands d’entre eux, qu’il faudrait, si elle est possible, rechercher avec sérieux et réalisme. Les rêveries de José Manuel Barroso sont mortifères.
L’Europe est aujourd’hui la première puissance commerciale et la deuxième puissance économique du monde. L’Union européenne représente à elle seule le quart du produit intérieur brut (PIB) mondial. Sa monnaie unique est la
deuxième monnaie de réserve internationale derrière le dollar. Forte de 372 millions de citoyens, elle deviendra après son élargissement à l’Europe centrale et orientale la première puissance démographique du monde occidental. Son système éducatif et la qualité de ses populations lui permettent de produire des élites dans tous les domaines de la recherche fondamentale. Son patrimoine archéologique, historique, littéraire, musical, technologique et scientifique figure parmi les plus riches de la planète. Mère de la philosophie, ses concepts, ses idées et ses représentations irriguent une tradition de pensée ininterrompue depuis près de trois mille ans.
L’ » Europe des États », l’ »Europe des patries » ou l’ »Europe des nations « , sont des formules commodes pour masquer un refus fondamental de l’Europe. Il faut se défaire de cette vision étatiste jacobine et absolutiste qui a trop longtemps interdit de penser l’exercice de la démocratie dans un cadre autre que celui de l’État-nation, alors qu’elle a partout entraîné l’uniformisation, la suppression des enracinements concrets et des appartenances particulières.
Une seule civilisation, celle des Etats-Unis d’Amérique, occupe aujourd’hui une position hégémonique dans les six grands domaines de la puissance : technologique, économique, financier, militaire, médiatique et culturel. L’objectif des Américains est simple : retarder autant qu’il est possible la transformation de l’Europe. Malgré les apparences, leur adversaire principal n’est ni la Chine ni le monde musulman, mais bien l’Europe : que celle-ci se libère de sa tutelle en affirmant sa souveraineté et les Etats-Unis perdront le contrôle quasi-exclusif du monde.
Il suffit de le vouloir.
Le commentaire précédent est intéressant parce qu’il exprime un point de vue radicalement opposé à celui du blog.
A mon avis, il se trompe parce qu’il additionne des chiffres, des forces, des populations qui, en elles-mêmes, ne forment pas une unité, ne disposent d’aucune souveraineté et, donc, ne peuvent se comparer ni réellement se mesurer aux puissances auxquelles il les compare.
Au fond, Graviora Manent raisonne comme le ferait Jean Monnet. Il additionne. Ce n’est pas très neuf, malgré l’apparence. Et ça ne marche pas.
Mais que l’Europe doive rechercher activement les voies réalistes du maximum possible d’unité face aux puissances hégémoniques d’aujourd’hui (au premier chef, en effet, les Etats-Unis), c’est le point d’accord.
Peu-être faut-il se méfier des raisonnements simpliste à propos de l’Europe, mais nous avons fait le plus difficile: nous avons une civilisation commune. Le reste suivra.
Il est bien vrai que l’Europe a une civilisation commune. Ceux qui ne l’ont jamais quittée n’en mesurent sans-doute pas bien la différence d’avec le reste du monde, pourtant si nette pour qui voyage.
C’est pourquoi le rêve d’unité, jamais vraiment abandonné depuis la chute de Rome, a toujours hanté nombre d’esprits européens, y compris, bien-sûr, du temps des grandes dynasties qui, quoique opposées, ont façonné la civilisation européenne.
Elle a aussi toujours rêvé d’unité politique, parce que c’est par là qu’une civilisation devient une puissance, sans être jamais capable de la réaliser.
Je rappelle que le nationaliste Maurras n’y était nullement opposé. Il recommandait seulement, si l’on voulait vraiment l’ Europe de ne pas faire comme si elle était faite.
C’est pourtant ce qui a été entrepris du temps de Jean Monnet, qui avait déjà préconisé d’unir la France et l’Angleterre pour faire face au désastre de 40. Evidemment, la solution était une utopie et c’est le nationalisme anglais, en l’absence du nôtre, qui a poursuivi, pour son compte, la guerre d’où nous étions exclus …
L’Europe de ces gens-là, à mon sens, pour des raisons analogues, a échoué; les peuples l’ont rejetée; les réalités la rendent caduque. Mais, de mon point de vue, sans se cacher les difficultés sous des « formules commodes », il ne serait pas interdit aux Européens de rechercher entre eux les conditions et modalités d’une unité réaliste.
Quatre erreurs essentielles ont été commises : 1) Etre partis de l’économie et du commerce au lieu de partir de la politique et de la culture en s’imaginant que, par un effet de cliquet, la citoyenneté économique déboucherait mécaniquement sur la citoyenneté politique. 2) Avoir voulu créer l’Europe à partir du haut, au lieu de partir du bas. 3) Avoir préféré un élargissement hâtif à des pays mal préparés pour entrer dans l’Europe à un approfondissement des structures politiques existantes. 4) N’avoir jamais voulu statuer clairement sur les frontières de l’Europe et sur les finalités de la construction européenne.
Au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, les promoteurs de la construction européenne avaient comme objectif avoué de créer dans une Europe ravagée par deux guerres civiles sanglantes au cours du XXe siècle les conditions d’une paix durable.
Plusieurs projets concurrents s’opposaient au départ. Celui qui a prévalu, porté par Jean Monnet et qui reposait sur le primat de l’économie, s’est imposé au détriment du projet des fédéralistes (Robert Aron, Denis de Rougemont).
L’une des raisons profondes de la crise de la construction européenne est que personne n’est apparemment capable de répondre à la question : qu’est-ce que l’Europe ?
Chacun sait bien en fait qu’il n’y a aucune commune mesure entre une Europe cherchant à s’instituer en puissance politique autonome, avec des frontières clairement définies et des institutions politiques communes fonctionnant démocratiquement, et une Europe qui ne serait qu’un espace de libre-échange ouvert sur le « grand large », destiné à se diluer dans un espace sans limite, largement dépolitisé ou neutralisé et ne fonctionnant qu’avec des mécanismes de
décision technocratiques et intergouvernementaux.
Chacun sait bien aussi que l’élargissement hâtif de l’Europe et l’incertitude qui pèse aujourd’hui sur la construction européenne ne peuvent que favoriser le second modèle, d’inspiration « anglo-saxonne » ou « atlantique ».
En conclusion, la vrai question qui se pose est la suivante: Pouvons-nous, ou pas, gouverner notre destin, comme citoyens, et comme peuple ? Si la réponse est non, nous ne maitrisons pas notre souveraineté.
La question de la souveraineté, n’est pas la première question de la politique. Elle est la seule. Pour exercer la souveraineté, il nous faut (re)construire notre puissance. Une seule voie est disponible, la voie européenne. Pour retrouver la souveraineté perdue des nations, il faut construire la souveraineté européenne.
Je suis d’accord avec la quasi totalité du commentaire de Graviora Manent.
A l’exception d’une question et d’un désaccord qui sont, d’ailleurs, liés l’un à l’autre :
1. Que veut dire créer l’Europe à partir du bas ?
2. Il est excessif de dire que les nations ont perdu leur souveraineté, étant entendu qu’aucune souveraineté n’est jamais absolue, ne serait-ce qu’à raison de sa limitation par celle des autres. Dans l’affaiblissement général du Politique, au profit de l’économique, lequel est, d’ailleurs, lui-même aujourd’hui détruit par le financier, le seul lieu actuel de la souveraineté politique, ou de ce qu’il en reste, réside dans les nations et les Etats européens. Vouloir faire l’Europe en les ignorant, ou en sautant leur échelon, voue l’entreprise à l’échec.
Créer une souveraineté européenne consisterait pour moi à réunir et fédérer institutionnellement, dans toute la mesure du possible, la souveraineté des peuples et des Etats qui constitueraient une Europe qui serait alors enfin définie.
Mon cher JACO, vouloir créer l’Europe à partir du haut, c’est-à-dire à partie des institutions de Bruxellesnest une erreur, alors qu’une saine logique aurait au contraire voulu qu’on parte du bas, de la commune ou de l’agglomération vers la région (le département ne correspond à rien), de la région vers la nation, de la nation vers l’Europe.
C’est ce qu’aurait permis notamment l’application rigoureuse du principe de subsidiarité. Or ce principe, inscrit dans la constitution européenne, a été transformé en principe d’efficacité, c’est-à dire en un principe jacobin.
La subsidiarité exige que l’autorité supérieure intervienne dans les seuls cas où l’autorité inférieure est incapable de le faire (principe de compétence suffisante).
Dans l’Europe de Bruxelles, où une bureaucratie centralisatrice tend à tout réglementer par le moyen de ses directives, l’autorité supérieure intervient chaque fois qu’elle s’estime capable de le faire, avec comme résultat que la
Commission décide de tout parce qu’elle se juge omnicompétente. C’est la reproduction à l’échelon supérieur de l’Etat/nation issu de 1789.
La position de Jaco sur l’Europe est conforme à l’idée que les
royalistes, en général, se font de la souveraineté et de
la place de la France face au Saint Empire romain
germanique, celui de Charles Quint face à François 1er, dont,
pour faire simple, l’Europe a pris, en quelque sorte, la place
cinq siècles plus tard.
L’Europe a vocation à être une confédération d’Etats plutôt
qu’un Etat fédéral, à s’unir sur des projets concrets, à la
carte, là où à plusieurs il est plus aisé de se défendre ou de
gagner des compétitions, notamment dans le domaine
économique. Voyez Airbus, Ariane …
Quant au principe de subsidiarité, il est clair que dans les
domaines dits « régaliens » touchant à la souveraineté, certains
Etats dont la France n’ont pas besoin de l’Europe (force de
frappe nucléaire, politique étrangère…).
Cependant rien nous empêche d’agir en commun lorsque
nous partageons les mêmes positions, les mêmes intérêts
avec d’autres Etats (prôner une monnaie commune comme
l’euro au lieu d’une monnaie unique, la préférence
communautaire plutôt que le libre-échange à tout va etc…, la
culture européenne, des politiques de grands travaux, de
protection de l’environnement, d’éducation, de formation,
d’investissements, de recherche…)
Croire que l’Europe peut parler d’une seule voix sur tous les
sujets ou doit parler d’une seule voix, est soit une utopie, soit
une entreprise idéologique, voire totalitaire. Les nations
d’Europe sont trop anciennes pour être fondues dans un
même moule, ce qui ne veut pas dire que progressivement
nous ne puissions pas effectuer des convergences pour
harmoniser nos échanges et éviter des concurrences
déloyales par exemples.
Il est donc possible d’être pour une certaine construction de
l’Europe sans se noyer dans » un grand machin « , voyez la
situation ubuesque actuelle où l’idéologie de la monnaie
unique qui devait automatiquement permettre l’harmonisation
et la convergence de nos échanges se trouve contredite par
la réalité des faits sans que personne en responsabilité
s’emploie à faire de cette monnaie une monnaie commune
protectrice à l’extérieur et souple à l’intérieur.
La construction politique de l’Europe est aujourd’hui totalement
bloquée, à la fois par la persistance des logiques étatiques nationales, par l’absence totale de volonté des hommes politiques, et par la bureaucratie.
Au lieu d’approfondir ses structures institutionnelles, l’Europe a choisi de s’étendre hâtivement à des pays qui n’ont d’autre ambition que de s’intégrer à un vaste marché transatlantique. Elle prétend s’être dotée d’une Constitution sans avoir seulement mis en place un pouvoir constituant, et envisage de s’ouvrir à la Turquie, ce qui montre qu’il n’y a même pas d’accord entre les Européens sur les limites de l’Europe.
L’équivoque majeure tient au fait qu’il n’y pas d’accord sur les finalités de la construction européenne. C’est ce problème des finalités qui doit être posé. L’alternative est claire : soit l’Europe, donnant la priorité à la libéralisation, épouse la dynamique du « marché » et en ce cas l’influence américaine y deviendra prépondérante -avec les effets que l’on connait et dont on n’a pas fini de mesurer les conséquences-, soit elle s’appuie sur une logique d’approfondissement de ses structures d’intégration politique par le biais du fédéralisme et de la subsidiarité, dans une perspective essentiellement continentale et avec l’intention, dans un monde multipolaire, de contrebalancer le poids des Etats-Unis.
Construire l’Europe n’implique pas nécessairement le
fédéralisme, sauf à vouloir à tout prix la fin des Etats-nations
européens.
Pour un royaliste, la France est davantage qu’une simple
région de l’Europe, et la part de subsidiarité dont l’Europe
pourrait se charger au profit de la France, qui seule ne serait
pas en mesure d’assurer une partie de sa souveraineté,
constitue un élément mineur de celle-ci, tant notre pays est
parfaitement capable de mener sa propre politique de
manière indépendante dans de nombreux domaines (social,
budgétaire) et tout particulièrement, en matière de défense et
de politique étrangère.
La mutualisation de moyens, la coopération et la coordination
de politiques nationales, entre Etats européens, sont pour la
France, une réponse plus conforme à ses besoins et à sa
vocation historique dans la construction européenne, que la
seule soi-disante subsidiarité, bien souvent exercée de
manière technocratique et anti-démocratique dans des
domaines où nous avons en fait bien plus souvent renoncé à
exercer notre souveraineté plutôt que d’avoir été réellemen
dans ‘incapacité de l’exercer.
Quelques extraits du colloque de la Fête de la Fédération, qui s’est tenu à Paris le 25 juin 2010 et que le prince Jean a conclu en ces termes:
« Toute réflexion politique en France, y compris sur les institutions – et c’est le cas aujourd’hui avec tous les projets de réformes en cours – doit aborder ce délicat problème. L’art politique ne consiste-t-il pas à composer, à concilier, autant que faire se peut, tout en prenant les décisions qui s’imposent. Plutôt que d’opposer, fédérer ? J’ose terminer par ce mot qui, chez vous, chez nous, est le complément du beau mot de liberté. »
Fédérer n’est pas uniformiser, ce que ne cesse d’imposer l’Union
européenne.
Tout à fait d’accord avec vous.