(Voici l’analyse financière de François Reloujac, parue dans le n° 99, de septembre, de Politique Magazine)
En cette fin d’été, toute l’Europe a les yeux tournés vers Berlin, car même si c’est la chancelière allemande qui a fait le voyage de l’Elysée le 16 août dernier, c’est bien elle qui a dicté sa volonté au président Sarkozy.
Le chef de l’État est un habile récupérateur qui présente facilement toute décision comme venant de lui. Mais, force est de constater qu’il se met souvent à la remorque d’un autre : tantôt Barack Obama, tantôt Angela Merkel. Et en ce qui concerne la politique économique européenne, c’est cette dernière qui donne le ton. Or, comme l’a expliqué Jacques Delors (l’Express, 17 août), elle est plus préoccupée par les variations de l’opinion publique allemande que par l’avenir de l’Europe.
Angela Merkel a proposé aux députés de son parti de soumettre au contrôle de la Cour de Justice de l’Union Européenne le respect par les Etats membres de la zone euro du pacte de stabilité et de croissance….
Pourtant, la solution de la crise actuelle qui secoue l’euro passera obligatoirement par ce qui se décidera outre-Rhin. C’est aussi de ce même côté du fleuve qu’il faut, a minima, chercher les facteurs aggravants de cette crise. En imposant un euro fort – qui ne gênait pas leurs exportations chez leurs partenaires européens du fait que tous partagent la même monnaie – les Allemands ont poussé ces derniers à la ruine. Vis-à-vis de toutes les autres monnaies du monde, « l’euro est beaucoup trop cher, ce qui signifie que nos prix et nos salaires sont plus élevés que partout ailleurs dans le monde », constataient Gérard Lafay et Philippe Villin dans Le Monde du 25 août.
L’italie contrôlée
Le gouvernement italien, quant à lui, s’est fait dicter sa politique par la Banque centrale européenne. Dans une lettre adressée par MM. Jean-Claude Trichet et Mario Dragghi le 5 août 2011 le gouvernement Berlusconi a été sommé de privatiser les sociétés municipales (transport public, voirie, fourniture d’électricité) et de rendre plus flexible les procédures de licenciement qui existaient dans le code du travail depuis 1970… ou de renoncer aux aides de la Banque centrale ! Comme la Banque centrale européenne ne veut pas attendre, le gouvernement Berlusconi a été prié d’agir par voie réglementaire, la voie législative ayant été jugée trop longue et trop risquée.
Le 23 août 2011, Angela Merkel intervenait devant les députés de son parti pour tenter de les rassurer. En effet, plus la date fatidique à laquelle elle devra présenter le second plan de sauvetage de la Grèce approche, plus la tension monte. En échange de ce vote, elle leur a donc proposé de soumettre au contrôle de la Cour de justice de l’Union européenne le respect, par les États membres de la zone euro du pacte de stabilité et de croissance (sic).
Désormais, les États, non seulement, devraient soumettre leur projet de budget annuel à la Commission européenne, mais encore la Cour de justice pourrait exiger qu’ils revoient leur budget si celui-ci, dans son vote ou dans son exécution, venait à sortir du carcan des critères de Maastricht ! Une perte de souveraineté supplémentaire… Il est vrai que, depuis l’adoption du premier plan de sauvetage, le 21 juillet, un certain nombre d’obstacles s’étaient levés sous ses pieds.
En premier lieu, Nicolas Sarkozy avait été obligé de constater qu’il n’avait pas de majorité suffisante pour faire voter par le Parlement réuni en Congrès, l’insertion dans la Constitution de la « règle d’or » imposant un strict équilibre budgétaire quelles que soient les circonstances conjoncturelles. Et, comme il n’arrivait pas à faire basculer l’opinion dans son camp, il avait proposé de rendre cette mesure obligatoire dans tous les pays de la zone euro… se faisant ainsi le porte-parole de la Chancelière.
Seul, le Premier ministre socialiste espagnol, José-Luis Zapatero, avait répondu favorablement à cet appel, transmettant ainsi une véritable pilule empoisonnée à son successeur potentiel, à quelques semaines d’élections législatives considérées comme perdues. Le Premier ministre portugais, quant à lui avait aussitôt émis des réserves sérieuses, entraînant derrière lui d’autres États dans la fronde.
En second lieu, le 16 août, tandis qu’Angela Merkel s’entretenait avec le président Sarkozy à l’Élysée, on avait appris que, faisant cavalier seul, la Finlande avait négocié avec la Grèce un accord bilatéral subordonnant sa participation au plan de sauvetage à l’octroi de garanties particulières : que la Grèce dépose dans les caisses de l’État finlandais une somme suffisante pour que celui-ci puisse être sûr d’être remboursé à l’échéance, intérêts compris. Un tel accord qui constitue une entorse grave à la solidarité européenne a, aussitôt connu, suscité des vocations, notamment de la part de l’Autriche, des Pays-Bas et de la Slovaquie… et une réaction indignée de l’Allemagne.
En troisième lieu, le remboursement par la Grèce, le 22 août, de la première grosse échéance de 6 milliards d’euros, obligatoirement accompagné d’un renouvellement « volontaire » des prêts accordés par les banques, avait suscité des critiques non dénuées de fondement de la part de certains juristes de banque dans tous les pays de l’Union. Cet abandon « volontaire » d’une partie de leur créance et leur souscription « volontaire » à un nouveau prêt assorti d’une simple promesse d’une garantie ultérieure par le Fonds européen de stabilité financière (FESF) – une fois que tous les Parlements concernés auraient ratifié l’accord du 21 juillet – est-il bien conforme à l’objet social des banques ?
Un plan qui divise l’allemagne politique
Les élections allemandes approchent et Angela Merkel se doit de donner des gages, d’abord à son propre parti, ensuite à ses électeurs. D’autant que le premier plan de sauvetage de la Grèce avait lui-même déjà été déféré devant la Cour constitutionnelle de Karlsruhe, laquelle doit se prononcer le 7 septembre : selon les cinq universitaires qui ont introduit ce recours, le montant nécessaire pour aider la Grèce devrait mener à terme, soit à une dévaluation substantielle de l’euro, soit à une forte inflation. De plus cette aide ne peut pas être réellement contrôlée par le Bundestag, ce qui viole ses pouvoirs. Il n’est pas permis à Angela Merkel de faire le moindre faux pas. Pour autant, cela sera-t-il suffisant ? On peut en douter quand on voit que, dès le lendemain, le Président de la République d’Allemagne fédérale, Christian Wulff, a jugé la situation suffisamment grave pour sortir de sa réserve et pour prendre position sur ce plan de sauvetage de la Grèce, jugeant qu’était « discutable sur le plan légal l’achat massif d’obligations de certains pays ». Et, en bon gardien de la Constitution allemande, il n’a pas manqué de rappeler à cette occasion que « c’est le Parlement qui doit prendre les décisions, car c’est là qu’est la légitimité ».
Il rejoint ainsi, dans la contestation de la chancelière, Helmut Kohl qui reproche désormais à celle qu’il appelait autrefois « la petite fille », de lui casser son Europe ! Il rejoint aussi, l’ancien président du Land de Bade-Wurtemberg, Erwin Teufel, qui au début du mois d’août a critiqué les mesures prises pour lutter contre la crise de l’euro : « Quand nos représentants effacent en une nuit des critères de stabilité raisonnables mentionnés dans des traités, au mépris du droit et de la Constitution, la confiance de nos électeurs s’en va ». Sur la même longueur d’onde, le président de la Bundesbank, Jens Weidmann, s’est opposé au sein du Conseil des gouverneurs de la BCE, au rachat par cette institution des dettes grecques, irlandaises et portugaises. Pour la Chancelière allemande le plus dur reste à venir. En effet ce n’est que le 23 septembre prochain que les députés du Bundestag commenceront à examiner le deuxième plan d’aide à la Grèce, quinze jours après la décision de la Cour constitutionnelle dont on peut penser qu’au minimum elle rappellera les droits fondamentaux du Parlement.
Jusqu’à cette date, non seulement la Chancelière jouera son avenir politique mais elle jouera aussi l’avenir de l’euro dans une Allemagne où la confiance dans les institutions de l’Union européenne baisse chaque jour un peu plus. Et le projet, adressé le 24 août par le ministre des finances, Wolfgang Schäuble, aux leaders du Parlement, de lever le contrôle parlementaire des crédits octroyés aux pays endettés par le FESF n’est pas fait pour calmer les esprits. Le patronat allemand a lui aussi mis la chancelière en garde : nous ne défendrons pas l’euro à n’importe quel prix !
Cela étant, comment la chancelière allemande peut-elle expliquer à ses partenaires exsangues et qui s’enfoncent dans la récession, ce refus de solidarité européenne au moment même où la Bundesbank annonce que l’indicateur de la valeur des avoirs financiers des ménages allemands n’a jamais été aussi élevé depuis qu’elle le calcule ? Alors que tous les ménages européens se sont appauvris, alors que le taux de chômage augmente partout, les avoirs financiers des ménages allemands ont augmenté de près de 4,5 % dans l’année. ■
Et alors,maintenant ? Il s’agit de savoir ou nous mènent toutes ces contorsions verbales ou écrites qui relèvent plutôt de la méthode Coué.Que veut-on exactement ?
le commentaire précédent est également le mien. l’Allemagne fini par accepter, alors, le bulldozer avance cahin cahamais avance. qu’en sera t il dans 6 mois, un an?
tous comptes faits, cela ne serait il pas l’occasion pour lAllemagne de devenir le maitre de l’Europe? No déficits commerciaux et publics nous interdisant toute volonté de « la ramener ». Ce sera 42 par voix économique. Marrant!
Parmi toutes les solutions proposées ici ou là, celle qui me parait la moins utopique pourrait consister non pas de chercher à remplacer l’Union européenne, mais de créer à la fois en son sein, mais séparément d’elle, une structure destinée à ceux qui veulent aller plus loin, étant entendu que cette structure, centrée au départ autour du couple Franco Allemand, pourrait s’étendre ensuite à tous les autres pays qui accepteraient d’en partager les
règles.
Le problème est que la volonté politique continue à faire défaut, et que ceux qui ont été incapables de mettre en oeuvre l’axe Paris-Berlin-Moscou n’ont apparemment pas non plus l’intention de créer un autre « noyau dur ». En effet, pour apporter de réelles réponses, il faudrait que ce groupe “pionnier” soit capable d’assumer pleinement ses priorités politico-stratégiques, et afficher d’emblée une politique responsable en termes de souveraineté, laquelle ne tolère ni l’aveuglement de l’angélisme pacifiste ni les réflexes de subordination atlantiste.
Il faut bien reconnaître qu’on en est encore loin.
François RELOUJAC pourrait-il nous dire ce qu’il pense de
l’association pour un débat sur le libre-échange, constituée
par vingt économistes de renom : Emmanuel Todd, Jacques
Sapir, Jean-Luc Gréau, Hervé Juvin, Pierre Noël Giraud,
Philippe Murer, Jean-Claude Werrebrouck, Julien Landfried,
Aurélien Bernier, Bernard Conte, Bernard Gerbier, Bernard
Cassen, Aquillino Morelle, Frédéric Viale, Jean-Luc
Schaffhauser, Hakim el Karoui, Gérard Lafay, David Cayla et
quelles sont les positions qu’il partage ou au contraire qu’il
réfute ?
Ceci permettrait de clarifier le débat sur ce site.