Par Jean-Christophe Buisson*.
Encadrée par des officiers supérieurs turcs, épaulée par des milliers de mercenaires djihadistes venus de Syrie, victorieuse grâce à l’utilisation d’armes interdites, suspectée de crimes de guerre, l’armée de l’Azerbaïdjan est pointée du doigt à propos du conflit de cet automne au Haut-Karabakh (Artsakh). Pour se justifier, le président azerbaïdjanais Ilham Aliev brandit maladroitement la bannière de l’Histoire et de la culture. Il justifie sa conquête territoriale en affirmant que la région serait depuis longtemps une terre azérie, comme en attesterait la présence de mosquées. Mosquées pour lesquelles les Arméniens n’auraient eu, selon lui, aucun respect : soit ils les auraient détruites, soit ils s’en seraient servis depuis leur victoire en 1994 pour en faire des porcheries. Et une certaine presse servile de relayer ces fake news (à preuve, la mosquée intacte de Chouchi, d’où le muezzin peut d’ailleurs lancer ses appels à la prière depuis quinze jours…). Et les artistes signataires de l’appel au soutien de l’Arménie et de l’Artsakh paru dans Le Figaro Magazine de se retrouver accusés d’islamophobie…
Or, que dit l’Histoire ? Que la région, rattachée artificiellement à l’Azerbaïdjan par Staline en 1921, est arménienne depuis au moins vingt siècles, comme en témoignent les fouilles de 2006 à Tigranakert, siège d’une forteresse bâtie sous Tigrane Ier au Ier siècle. Que Chouchi fut la capitale de l’Arménie orientale au Moyen Âge. Que les monastères d’Amaras (première église de l’Artsakh… au IVe siècle), Davidank (IXe) et Gandzassar (XVIIe) ont précédé de plusieurs siècles l’arrivée de Tatars de Crimée, rebaptisés Azéris au XIXe siècle. Et que les mosquées furent généralement bâties quand la région était occupée par les Perses. Quant au lieu de culte musulman transformé en porcherie, il s’appuie sur une image prise à Fuzuli, au sud-est de la région. Vidée de ses habitants depuis 1993, presque totalement détruite, elle n’a vu passer ces dernières années que des soldats et des éleveurs laissant leurs troupeaux s’abriter dans les rares bâtiments encore plus ou moins debout. Parmi eux, sa mosquée, bâtie en 1683. L’année où les Turcs, à 3 000 kilomètres de là, faisaient le siège de Vienne… ■
* Source : Figaro magazine, dernière livraison.
Jean Christophe Buisson est écrivain et directeur adjoint du Figaro Magazine. Il présente l’émission hebdomadaire Historiquement show4 et l’émission bimestrielle L’Histoire immédiate où il reçoit pendant plus d’une heure une grande figure intellectuelle française (Régis Debray, Pierre Manent, Jean-Pierre Le Goff, Marcel Gauchet, etc.). Il est également chroniqueur dans l’émission AcTualiTy sur France 2. Ses derniers livres, 1917, l’année qui a changé le monde, et Le Siècle rouge. Les mondes communistes, 1919-1989, (2019) sont parus aux éditions Perrin.
1917, l’année qui a changé le monde de Jean-Christophe Buisson, Perrin, 320 p. et une centaine d’illustrations, 24,90 €.