Entretien par Alexandre Devecchio.
Cet entretien particulièrement intéressant, est paru il y a un peu plus de 2 semaines et demeure d’une actualité criante, même si la doxaa dominante tente d’en effacer l’importance. S’il est un sujet – accueillir chez soi – qu’il revenait aux Français de trancher, c’est éminemment celui-là. Ils n’ont jamais été consultés. Les jeunes royalistes disent drôlement : Coucou, c’est la démocratie ! La démocratie française en tout cas. D’ù son discrédit grandissant. À lire ou relire. [FigaroVox, 15 novembre],
Les conclusions de l’enquête exclusive de l’Ifop, que commente Jérôme Fourquet, sont nettes. Seuls 32% des Français considèrent que les pouvoirs publics luttent efficacement contre l’immigration clandestine. Une large majorité d’entre eux sont favorables à des mesures vigoureuses pour limiter les flux ; 78% pensent qu’il faut une immigration choisie et non pas subie ; 55% sont favorables à la suppression du regroupement familial. Et 58% souhaitent l’instauration du droit du sang. Nous publions ici quelques extraits de cet entretien dont vous pourrez retrouver l’intégralité dans Le Figaro Enquêtes en vente le 16 novembre, en Kiosque et sur leFigaroStore .
LE FIGARO. – Votre enquête montre que la perception des Français de l’immigration a évolué de manière de plus en plus négative. En 2007, ils sont encore 49% à penser que l’immigration est «une chance pour la France», contre 37% aujourd’hui. Comment l’expliquer ?
Jérôme FOURQUET. –Il faut tout d’abord évoquer un aspect méthodologique non négligeable. Jusqu’au milieu des années 2000, les sondages étaient réalisés par téléphone et une partie des sondés rechignaient à faire des réponses non «politiquement correctes» aux enquêteurs qui les interrogeaient. Depuis, la plupart des sondages sont effectués via internet, où il n’y a plus d’interactions entre le sondé et l’enquêteur. Les sondés, seuls devant leur écran, déclarent plus facilement des opinions plus abruptes et moins consensuelles. Par-delà ce biais méthodologique, la crise économique que notre pays a connue en 2008-2009, puis la crise migratoire de 2015-2017, et, parallèlement, les attentats qui ont frappé la France depuis 2012 ont alimenté dans l’opinion l’idée selon laquelle, d’une part, la France n’avait plus les moyens d’accueillir et d’intégrer de nouveaux arrivants et, d’autre part, qu’une immigration importante pouvait générer des problèmes sécuritaires.e
La vague migratoire et la question du terrorisme à partir de 2015 ont-elles représenté un tournant ?
Ces événements ont plutôt eu tendance à conforter dans leurs opinions tous ceux déjà préalablement opposés ou inquiets face à l’immigration. Toute une partie de la population française doute depuis longtemps de notre modèle d’intégration, et des événements comme les émeutes de banlieue de 2005 avaient puissamment ancré ce doute. Les signes de communautarisation d’une partie de la population issue de l’immigration arabo-musulmane dans de nombreux quartiers ont renforcé cette grille de lecture. La radicalisation islamique et les attentats participent de ce processus.
Les Français interrogés sont 64% à penser qu’«on en fait plus pour les immigrés que pour les Français»… Comment l’expliquez-vous ?
Cette idée n’est pas nouvelle. Dès les années 1980, notamment dans les milieux populaires, s’était installée l’idée que les immigrés seraient prioritaires dans l’attribution de logements sociaux ou de différentes prestations sociales. Très précocement, le FN a joué sur ce ressort avec son concept de «préférence nationale» et son slogan «Français, premiers servis». Au fur et à mesure que des réformes sont menées rendant le modèle social moins généreux (code du travail, retraites, etc.) et que la pédagogie gouvernementale martèle que les ressources financières se font plus rares, une majorité de Français souhaitent que ces sommes leur bénéficient en priorité. Le fait que des immigrés puissent bénéficier de la CMU et le coût croissant de l’aide médicale d’État constituent dans ce contexte un point de crispation important.Jérôme Fourquet
Le modèle actuel est-il viable dans une société que vous décrivez comme archipellisée?
Aux États-Unis, depuis des années, les républicains ont mené une campagne dénonçant les excès de l’État-providence. Ils l’ont fait officiellement en vertu de leurs convictions idéologiques et philosophiques (pour résumer, la liberté et la responsabilité de chaque individu qui doit s’assumer et ne pas tout attendre de la collectivité). Mais derrière se cache également une grille de lecture raciale, prisme toujours important aux États-Unis. La lutte contre l’élargissement de la protection sociale, comme par exemple l’opposition véhémente contre l’Obamacare (couverture sociale obligatoire mise en place par Obama), est aussi assise subliminalement sur l’idée que la classe moyenne blanche va devoir financer les aides sociales supplémentaires que vont toucher les Noirs. Ronald Reagan avait employé l’expression de Welfare Queen (littéralement «la reine de l’assistance», que l’on pourrait également traduire par «la reine des allocs», NDLR), qui renvoyait à la figure de la mère célibataire noire abusant de l’aide sociale.
Tant qu’une société est homogène démographiquement et ethno-culturellement, l’acceptation d’un modèle de protection sociale est assez élevée et les débats portent pour l’essentiel sur son coût et le niveau de redistribution. C’est la situation qui a longtemps prévalu en France. Avec une hétérogénéité démographique croissante, il est probable que les termes du débat changent également et prennent une tournure qui ressemble en partie à ce que l’on observe depuis longtemps aux États-Unis.
Selon votre enquête, les Français sont majoritairement hostiles à l’acquisition automatique de la nationalité française pour les enfants nés en France de parents étrangers et favorables au droit du sang. Est-ce une réaction liée aux difficultés d’intégration d’une partie des populations immigrées ?
Le débat sur l’immigration tel qu’il est abordé par ceux qui défendent le bien-fondé de ce phénomène ou qui relativisent ses effets sur la société française porte la plupart du temps sur les flux d’entrées annuels qui sont présentés comme tout à fait «gérables» et «absorbables». Mais quand on parle d’immigration aux Français, beaucoup d’entre eux raisonnent non pas seulement sur les «flux» mais sur le «stock». Nombre de nos concitoyens constatent empiriquement que la composition démographique de la population de leur quartier ou de leur ville a changé significativement depuis une vingtaine d’années. De fait, comme nous l’avons montré dans notre livre, près de 19% des enfants qui naissent aujourd’hui en France reçoivent un prénom arabo-musulman.
Comme l’a bien décrit David Goodhart dans son livre Les Deux Clans , les changements démographiques que la Grande-Bretagne (mais ce constat vaut aussi pour la France) a connus en seulement quelques décennies ont été particulièrement massifs et spectaculaires. Ces bouleversements ont déstabilisé des pans entiers des sociétés occidentales et notamment leurs composantes populaires, qui ressentent une forte insécurité culturelle. La réislamisation de toute une partie des populations issues de l’immigration depuis le début des années 2000 a accentué ce phénomène. Dès lors, une forte demande s’exprime pour réduire drastiquement les flux migratoires et pour tenter en priorité de mieux intégrer les immigrés et leurs descendants déjà présents sur notre sol. ■
Alexandre Devecchio est journaliste au Figaro, en charge du FigaroVox. Il vient de publier Les Nouveaux enfants du siècle, enquête sur une génération fracturée (éd. du Cerf, 2016) et est coauteur de Bienvenue dans le pire des mondes (éd. Plon, 2016). Dernier ouvrage paru : Recomposition, 2019. [Ci-dessus]