Par Bertrand Alliot.
Cet article est paru dans Causeur le 1er décembre. JSF le reprend ce 4 décembre. Derrière une apparente désinvolture, il y a, sur ce sujet grave, somme toute, de fines remarques. On le lira donc avec plaisir et attention. Bonne lecture !
Où il est expliqué avec expertise et humour qu’une bonne vieille manif’ est bien plus exaltante qu’une séance de paintball ou de laser-game…
L’État et les contribuables français rasent gratis pour occuper une frange de la jeunesse européenne désœuvrée et en manque de sensation forte.
Les bonnes vieilles manifs sont en train de se réinventer. Quel que soit l’objet de la protestation, elles s’accompagnent dorénavant d’actes spectaculaires de vandalisme et de violences inouïes envers les forces de l’ordre.
Les vitrines sont défoncées, les voitures incendiées et les policiers poursuivis comme des cerfs lors des chasses à courre. Ces exactions sont le fait d’hommes jeunes, des racailles de banlieues ou des petits blancs de la classe moyenne ou supérieure, transformés en black-blocs. Débordant d’énergie, les jeunes mâles ont besoin d’occupation au risque de se transformer en machine à détruire.
C’est ce qu’avait compris le sociologue Gaston Bouthoul. Pour lui, lorsqu’on constatait un « surplus d’hommes jeunes » (une portion significative d’entre eux étant « inoccupés » par l’activité économique), la situation devenait « explosive » et donc favorable au déclenchement de conflits armés.
Aujourd’hui, certains mâles dans la force de l’âge sont au chômage ou demeurent passifs devant des écrans d’ordinateur en ne comprenant pas toujours (et avec raison) l’utilité de leur travail. Ils connaissent véritablement un désœuvrement « physique ». Il y a bien des exutoires comme les terrains de sport, mais le jeu, s’il fatigue les corps, ne répond pas au besoin d’aventure. Le paintball et le laser-game peuvent les plonger dans des situations exaltantes de combat. Mais se faire peinturlurer ou dégommer au rayon laser ne dégage pas ce parfum de réalité qui seul peut faire monter l’adrénaline. La quête de sensations fortes qui ne s’arrête jamais mène ainsi certains énergumènes à fréquenter de manière assidue les défilés.
Masculinité toxique
Dans les manifs, le fait que tout soit si réel est une source incomparable de contentement. Il y a de vrais gens qui marchent, des cortèges bariolés dans lesquels on peut se faufiler. Il y a, sur le parcours, des boutiques et des voitures si rutilantes qu’elles font des cibles parfaites. Et bien sûr, il y a de vrais flics payés par l’État et armés jusqu’aux dents, des types des RG qui trainent leurs guêtres, des médias relayant des images et des sirènes hurlantes.
Les jeunes têtes brûlées se retrouvent plongées dans l’atmosphère des jeux vidéos qu’elles apprécient tant. Les ressorts de l’action restent les mêmes : dans un décor époustouflant, il faut récolter des objets ou des pièces d’or (détruire ou saccager des boutiques ou du mobilier urbain) et combattre des ennemis avec des mitrailleuses (combattre les flics). C’est ainsi que par palier, on avance dans le jeu. Qu’on soit racaille ou petit bourgeois on adapte les règles. Entre deux combats, des boutiques de marques ou des signes ostensibles du capitalisme seront à collecter. Chaque joueur à son univers de prédilection…
Quand c’est gratuit, c’est meilleur
Mais, c’est sans conteste la gratuité qui rend ce passe-temps si exaltant. Au paintball ou le laser-game, vous devez vous acquitter d’une entrée. Débourser des euros, c’est acheter la mise en scène, le décor de carton-pâte et finalement payer le prix d’une certaine frustration. L’accès libre aux manifs est au contraire un label de qualité. Ce sont les vrais préfets de police et ministres de l’Intérieur que vous pourrez faire rougir de honte ou de colère. Tout est si authentique que les manifs de France attirent les Antifas des quatre coins d’Europe… L’État et les contribuables français rasent gratis pour occuper une frange de la jeunesse européenne désœuvrée et en manque de sensation forte.
Sans l’ombre d’un doute, la comédie se poursuivra si le maître du jeu ne durcit pas les règles. Les CRS qui ressemblent à des Robocops sont d’une affligeante passivité. C’est bien eux que les images nous montrent en train de reculer ou de fuir. Sont-ce des fillettes, des incompétents ou obéissent-ils à des ordres aussi aberrants que « pas de blessé ni de mort » ? La réponse est évidente. L’activité des casseurs et des agresseurs est devenue un amusement parce qu’elle est « sans conséquence ». Dans les jeux vidéos, les joueurs se voyant toujours offrir de nouvelles « vies », revivent indéfiniment l’aventure en passant des nuits sans sommeil. Les autorités risquent de vivre un jour sans fin si elles régalent ainsi les joueurs d’opportunités. Pour que cesse cette désolante tradition de casse et de chasse aux flics, le mot d’ordre doit être limpide : passer à l’attaque et user de la violence légitime pour neutraliser les belligérants. Question d’honneur et de crédibilité, ces jeunes hommes doivent être châtiés sans ménagement car, depuis la nuit des temps, aucun ordre ne peut régner sans que des menaces substantielles (de douleur ou de possible mort) ne planent au-dessus des violents fauteurs de troubles. Dans le cas contraire, les défilés resteront des terrains de jeux toujours plus stimulants que tout ce que les industries du loisir et du divertissement ne seront jamais capables d’offrir. ■
Merci à Bertrand Alliot pour cette description à la fois passionnante et effarante de notre réalité française qui séduit, semble-t-il d’autres jeunes européens qui envient probablement cette spécificité française à ajouter à la longue liste de nos particularités que « tout le monde nous envient » selon la stupide expression consacrée.
Une analyse et un regard très instructif