Ce mercredi 9 novembre, au JT du soir, Laurence Ferrari « envoie » un reportage sur la réforme de l’orthographe. Pour l’essentiel d’un sujet traité, de toutes façons, d’une manière assez confuse, une femme savante s’extasiait de pouvoir « enfin » (?) écrire « nénufar » avec un « f » au lieu d’un « ph » ! On est sauvés ! La crise de l’euro est derrière nous et l’avenir est, d’un coup, redevenu radieux : pensez ! le « f » a -« enfin », dit-ellle – remplacé le « ph »…
Monstre du Loch Ness, aberration périodiquement ressortie, puits sans fin faisant s’affronter en des débats aussi oiseux qu’interminables et – surtout – stériles, ce passage désolant du JT nous a rappelé cette note de Jacques Bainville dans son Journal, inépuisable source de sagesse sereine et d’intelligence profonde.
Le texte de Bainville se trouve dans le Tome I de son Journal (années 1901 à 1918), Plon, pages 37/38. Le voici dans son intégralité. Là où le énième débat de TF1 obscurcissait encore un peu plus un débat devenu plus que vaseux, Bainville remet les choses au point et tire vers le haut….
20 juillet 1906 – Somme toute, que reproche-t-on à l’orthographe usuelle ? D’être difficile à apprendre ? Que propose-t-on de lui substituer ? Une orthographesimplifiée et mise à la portée des instructions les plus négligées ? C’est ici que réside ce qui n’est pas seulement une erreur mais une sottise. Qui ne voit aussitôt que, si l’on raisonne pour les paresseux ou pour les pauvres d’esprit, il n’y aura jamais de simplification suffisante ? Il faut aller tout de suite à l’extrêmité, et l’extrêmité c’est l’orthographe phonétique, le droit donné à chacun d’écrire comme son oreille entend. Du moment qu’il y a une orthographe, elle sera toujours trop compliquée, il faudra toujours l’apprendre. On voit mal où est l’avantage. Pour le voir, pour soutenir qu’il existe et que les simplifications proposées abrégeraient des études inutiles, il faut admettre que les enfants ont un mal considérable à retenir la figure de chaque mot. Les réformateurs proposent, par exemple, de terminer uniformément par les lettre èle tous les mots qui contiennent ce son. On écrira hirondèle, èle, quèle, èle, je me rappèle comme stèle et fidèle.
Vous souvenez-vous d’avoir eu la moindre peine à retenir qu’on devait mettre : hirondelle, aile, quelle, elle, rappelle ? Tel n’est pas mon cas. Et j’imagine qu’on apprendrait fort vite à ne pas confondre l’èle de l’oiseau avec èle, pronom personnel. Mais il faudrait l’appprendre encore, et je ne vois donc pas trop où est l’avantage, sinon de rendre obscure et lointaine l’origine du second mot et difficilement compréhensibles les dérivés (je ne sais en ce moment s’il en existe de très usuels, mais il y en a à coup sûr) où se retrouve la forme originale du latin ala.
S’il s’agit d’apprendre pour apprendre, mieux vaut continuer d’enseigner ce qui est conforme à la fois aux habitudes et à l’étymologie. Aile, c’est ala, comme ellle c’est illa. S’il y a difficulté, au moins est-elle logique et permet-elle de se débrouiller, tant bien que mal, dans la forêt des mots savants. L’orthographe actuelle est, à y bien regarder, plus utile que nuisible aux personnes médiocrement instruites : son accord, même quelquefois un peu lâche, avec l’étymologie, ce sont les humanités du pauvre, c’est le latin des études primaires. L’orthographe compliquée est par là plus « démocratique » que l’orthographe simplifiée.
Il est surprenant que les réformateurs n’aient pas pensé à cela.
Simple question du râleur impénitent que je suis à propos de la « réforme de l’aurtograf »:
« Mais comment qu’ils vont donc faire avec Internet??? »
Ben voui: on n’arrête pas de nous ressasser que désormais le « net » est destiné à devenir « le plus grand et le plus universel des moyens d’information »…
Soit! C’est effectivement très pratique et la possibilité de ce commentaire en est déjà la preuve!
Pour s’informer sur un sujet spécifique, rien n’est plus simple:
on tape un mot clef, ou deux, ou trois…et une foule de références, venant des 4 coins de la planète, sont à votre disposition…
Mais il faut taper ces fameux mots clefs pour cela!
Et un ordinateur n’a pas encore d’intelligence factuelle , et pas encore de reconnaissance phonétique non plus!
Je suppose que si je tape « aurtograf » il n’y a guère de chance de voir les moteurs de recherche se mettre à vrombir!
Au mieux peut être que si l’un d’entre eux est particulièrement sagace, il me signalera : « essayez autographe »…ce qui de toutes façons ne me conduira pas du tout à l’objet de mes souhaits…
Trouver où se trouvent les « Zébrides » résultera du hasard
Quant à savoir ce que peut être un « condrictien » je crois que c’est totalement sans espoir…
A cela s’ajoutent évidemment tous les problèmes rédactionnels de traduction automatique déjà si délicats…
Alors soyons sérieux: le seul moyen de se sortir des problèmes de recherche, et de pouvoir s’appuyer sur des mots clef avec efficacité, résulte précisément dans la connaissance et le respect le plus rigoureux d’une orthographe fixée de la façon la plus précise, et connue de façon universelle: jamais peut être dans toute l’histoire de l’Humanité cela ne s’avérera aussi important!
C’est la rançon de l’automatisation!
Un paradoxe non?
Que nos linguistes de comptoir y songent, sinon aucun de leurs enfants ne saura ni ne pourra savoir ce qu’est un » nez nu phare »….
SP a raison : il ne convient pas d’être un linguiste de comptoir,(ni de nénuphar d’ailleurs!). Effectivement,il paraît plus raisonnable d’en rester aux recommandations de Jacques Bainville.Après tout, le français a été fait par les Français ,pour les Français,depuis l’0rdonnance de Villers-Cotterêts,édictée par François Ier en 1539.
Pourquoi le figer maintenant alors qu’il a su évoluer selon nos besoins? N’est-ce pas inutilement prétentieux ? Nos enfants du XXIème siècle ne sont pas plus idiots que ceux d’autrefois.
Quant aux étrangers,il n’ont qu’à faire effort,ou rester à l’internet et se mettre à l’esperanto.Cela nous débarrasserait peut-être de leur langage abscons!
Qui peut désirer que 7 milliards de bipèdes parlent la même langue ? Laissons cette ambition à l’anglais d’aéroport.
On est sauvé »s » !!