Pour celles et ceux qui l’auraient « laissé passer », voici la copie de l’article publié dans « Le Monde » du mercredi 23 Janvier par Mezri Haddad et Jean-François Mattéi, sous le titre « Point de vue: Sarkozy, papiste ou gaulliste? »
Par-delà la vive polémique qu’il a suscitée, le discours du Latran inaugure une ère nouvelle dans les relations, historiquement méfiantes, entre l’Église et l’État. Nous assistons à un changement hautement symbolique de la politique française dans ses rapports au fait religieux en général et au christianisme en particulier. Celui-ci, avec les autres grandes traditions religieuses y compris l’islam- à condition qu’il procède à son propre aggiornamento – n’est plus exclu au nom de la déesse Raison et de la sacro-sainte spécificité française, mais accueilli au sein d’une laïcité positive capable de les absorber dans un vaste pacte républicain et de les impliquer dans un dessein à la hauteur de la France : une politique de civilisation.
Il ne s’agit donc pas, comme cela a été écrit, d’une altération grave des principes fondateurs de la laïcité, encore moins d’une remise en question de la loi de 1905, ce « monument inviolable », selon Jacques Chirac. Il s’agit au contraire d’un retour aux sources authentiques de la morale laïque. A l’instar des laïcités anglo-saxonnes ou germaniques, qui ont entretenu des rapports confluents et non conflictuels avec le religieux, la laïcité française, « enfin parvenue à maturité », se normalise en se mettant au diapason des nouveaux défis du siècle : choc des civilisations, apothéose du matérialisme et de l’hédonisme, néant spirituel, métastase de l’intégrisme, mondialisation du terrorisme…
Ces défis ont frappé de caducité le laïcisme qui, au nom du postulat marxiste (« la religion est l’opium du peuple »), a juré la mort de Dieu et l’extinction de la religion. A l’origine, en effet, la laïcité n’entendait pas extirper du corps social toute survivance religieuse, mais limiter l’hégémonisme spirituel et temporel de l’Église. La séparation de l’Eglise et de l’Etat a été l’aboutissement d’un long processus de sécularisation qui a commencé au Moyen Âge, s’est raffermi grâce aux Lumières, a trouvé sa première traduction politique dans le radicalisme révolutionnaire de 1789 pour rencontrer ensuite sa première phase libérale et républicaine dans le Concordat napoléonien de 1801.
Avec la loi de 1905, c’est l’idéal laïc qui est imposé en France comme norme juridique et paradigme absolu du rapport entre foi et loi. En restituant au politique et au religieux leur autonomie réciproque, la loi de 1905 a été une rupture refondatrice, une destruction constructive. Théoriquement, la laïcité ne devait donc pas s’opposer à la religion, mais lui aménager une sphère qui lui est propre. Que s’est il passé en pratique ? La religion chrétienne a été stigmatisée, culpabilisée, et progressivement rayée, pas seulement des controverses politiques ou intellectuelles, mais également du débat moral et éthique.
« Le cléricalisme ? Voilà l’ennemi ! », rugissait Gambetta. En fait, la lutte de la laïcité contre le cléricalisme a tourné au combat de l’athéisme contre le christianisme. Dans ce combat où la fille aînée de l’Eglise a perdu une partie de son âme, la laïcité a sacrifié un élément constitutif de sa philosophie : la tolérance. C’est ainsi que la France, terre du baptême de Clovis, est passée de la religion d’Etat, le gallicanisme, à l’athéisme d’Etat. Dopée par sa victoire sur le traditionalisme catholique, leurrée par le mythe rationaliste suivant lequel le religieux, le sacré même sont voués à la disparition, la laïcité française a baissé la garde en tombant dans un sommeil profond… jusqu’à l’irruption fracassante d’un islam conquérant et d’un islamisme guerroyant. L’eschatologie wébérienne du désenchantement du monde, reprise par Marcel Gauchet, a fait long feu.
C’est dans ce contexte nouveau qu’il convient de lire les discours présidentiels à Rome, symbole du catholicisme, et à Riyad, symbole de l’islam. La laïcité positive à laquelle il appelle est en rupture avec le laïcisme français dont la dernière manifestation politique fut l’opposition d’inclure, dans le préambule à la Constitution européenne, toute référence aux « racines chrétiennes de l’Europe ». Changement de génération ou régénération de la laïcité française, Nicolas Sarkozy ose affirmer que « les racines de la France sont essentiellement chrétiennes ».
Plutôt que d’y voir une trahison de la « laïcité républicaine », ne peut-on reconnaître dans la laïcité positive des symptômes plus profonds ? Peut-être les prémices de la politique de civilisation dont le président vient, à Riyad, de préciser le contenu : « C’est une politique qui se donne pour but de civiliser la globalisation (et) qui intègre la dimension intellectuelle, morale, spirituelle… » Peut- être la volonté de renouer avec cette philosophie d’essence thomiste qui a été longtemps marginalisée en France au profit exclusif du marxisme et de l’existentialisme. N’oublions pas que le personnalisme d’Emmanuel Mounier a été une réponse à l’existentialisme sartrien ; de même que l’humanisme intégral théorisé par Jacques Maritain fut une réaction à l’humanisme marxiste. Par-delà ce ressourcement philosophique et ces premiers balbutiements d’une politique de civilisation, n’y a-t-il pas dans le repositionnement sarkozyen un retour au gaullisme ? De Gaulle, en effet, qui a gravé la laïcité de l’Etat dans la Constitution, ne déclarait il pas, le 31 mai 1967 à Rome : « L’Église est éternelle et la France ne mourra pas. L’essentiel, pour elle, est qu’elle reste fidèle à ce qu’elle est et, par conséquent, fidèle à tous les liens qui l’unissent à notre Église. » C’est encore lui qui affirmait, le 11 février 1950 : « Nous sommes un pays chrétien, c’est un fait. Nous le sommes depuis longtemps… Eh bien, nous n’avons pas besoin de nous méconnaître et cette flamme chrétienne, en ce qu’elle a d’humain, en ce qu’elle a de moral, elle est aussi la nôtre. »
Mezri Haddad, philosophe.
Jean-François Mattéi, philosophe.
Dans cet article , il y a beaucoup de choses interessantes; il me semble que dans le paragraphe » avec la loi de 1905″ l’anlyse de la marginalisation intellectuelle, morale et culturelle de l’Eglise soit un peu trop sévère par rapport aux tenants de la lïcité: l’Eglise ne s’est-elle pas un peu « recroquevillée » sur elle même et ne s’est-elle pas auto censurée? peut-etre peu entre les deux guerres(où les germes du défaitisme commencaint à sévir) mais surtout aprés le Concile. On assiste aujourd’hui à un curieux spectacle: l’Eglise à la remorque du monde, elle qui devrait en etre le moteur. Croit-elle encore à sa Mission? Croit-elle encore en Elle même?
J’apprécie beaucoup la remarque selon laquelle la tolérance est un élément constitutif de la laïcité: En effet pour nous Chrétiens la tolérance n’existe pas , c’est trés avantageusement remplacé par « l’amour du prochain »…