Cette chronique de Mathieu Bock-Côté – de celles que nous reprenons souvent pour leur pertinence – est parue dans le Journal de Montréal du 11 mars. Mathieu Bock-Côté y évoque certains des ressorts profonds, ancestraux et immémoriaux, des événements que nous vivons. Ce retour à l’essentiel nous conduit loin et bien au-dessus des palabres lancinantes et souvent ridicules de la gent médiatique. Suivre le mouvement des idées – qui, en effet, en dernière analyse mènent toujours le monde – est une tâche primordiale pour nous. Qu’on lise ! Tout simplement.
La crise du coronavirus inquiète la terre entière pour d’excellentes raisons. Les pays épargnés espèrent éviter la contamination alors que ceux qui sont déjà atteints se demandent comment la contenir et la faire refluer.
On aurait tort, toutefois, de croire que nous sommes devant une frayeur ordinaire, comme il y en a tant d’autres. Car la peur de l’épidémie touche les hantises les plus profondément inscrites dans l’imaginaire de l’humanité. On y verra le resurgissement de notre part archaïque et primitive.
Frayeur
D’un coup, c’est la mort qui rôde. N’importe qui peut nous l’administrer. Le tousseur se transforme en suspect, quant à l’éternueur, il prend le visage de l’ennemi. Porte-t-il la maladie ? Et si oui, vient-il de la transmettre à ceux qui malheureusement se trouvaient à côté de lui à ce moment-là ?
L’instinct de survie se réveille, la panique s’installe. On le voit avec ces gens qui se ruent dans les supermarchés pour faire des provisions, au cas où l’ordre social deviendrait inopérant. On aurait tort de les regarder de haut.
L’humanité a conservé la mémoire des grandes épidémies. On se souvient de la grande peste du XIVe siècle. Plus récemment, on se rappellera la grippe espagnole, qui au lendemain de la Première Guerre mondiale, en 1918-1919, a causé une véritable hécatombe – on lui attribue 50 millions de morts au moins. Évidemment, nous n’en sommes pas là, et il faut garder la tête froide.
Avec les progrès de la science, de la médecine, de l’hygiène et de la santé publique, les épidémies sont évidemment moins fréquentes, et plus efficacement combattues. La modernité a permis tant de progrès en quelques décennies que l’homme en est venu à se croire tout-puissant, comme s’il pouvait désormais contrôler toutes les facettes de sa vie.
Mais l’existence n’est jamais absolument maîtrisable, et tout comme on ne peut pas faire grand-chose contre un tsunami ou un cancer fulgurant qui se moque cruellement des traitements qu’on lui administre, on trouvera toujours des maladies pour nous rappeler notre fragilité.
On ne pourra jamais empêcher la mort de nous retrouver. La grande faucheuse a mille ruses. On peut la déjouer longtemps, et reporter le moment où on la rencontrera, mais toujours elle l’emportera.
Elle est et demeurera à jamais un scandale existentiel.
Ce n’est pas sans raison que devant la possibilité du néant, l’homme peut en venir à renouer avec la religion, et plus encore, celle de ses pères. Certains y voient un geste désespéré – l’être humain se chercherait une assurance pour l’au-delà, pour reprendre la formule de Philippe Ariès dans son ouvrage L’homme devant la mort.
Religion
Évitons les explications condescendantes.
Faisant brusquement l’expérience de son impuissance face à l’inexplicable et l’inévitable, l’homme avoue son humilité devant l’univers. À bon droit, il se demande si l’aventure humaine n’est qu’un hasard biologique insignifiant à l’échelle du cosmos.
La religion bien comprise ne se présente pas comme un substitut à la science, mais comme une autre manière d’aborder l’existence, en pariant sur son caractère non absurde. Il y a plus d’intelligence dans la prière qu’on veut le croire aujourd’hui. ■
Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l’auteur d’Exercices politiques(éd. VLB, 2013), deFin de cycle: aux origines du malaise politique québécois(éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Ses derniers livres : Le multiculturalisme comme religion politique, aux éditions du Cerf [2016] et le Le Nouveau Régime (Boréal, 2017).
Excellent,comme d’habitude !
P.H.