Avons-nous été assez attentifs aux analyses géo-politiques de Gilles Varange ? En tous cas, les articles qu’il donne à Politique magazine et à La Nouvelle revue universelle sont dans la manière d’un Jacques Bainville, ou, pour ce qui est d’aujourd’hui, dans la manière de Marie-France Garaud ou d’Hubert Védrine. C’est-à-dire que sa réflexion se fonde sur les réalités, que vient éclairer, de surcroît, l’expérience de l’Histoire. Cette méthodologie donne moins de chances de se tromper que lorsqu’on ne se nourrit que d’idéologie ou que l’on ne respire que l’air du temps et ses conformismes.
De Gilles Varange, nous trouvons utile de mettre en ligne, aujourd’hui, une remarquable réflexion, qu’il a publiée dans un numéro récent de La Nouvelle revue universelle, sur ce que sont vraiment ce que l’on nomme couramment les pays émergents et, corrélativement, bien sûr, notre rapport à ces différents pays. Le sujet est d’actualité, mais, surtout, il est d’importance, car il concerne, directement, l’avenir de la France et de l’Europe.
Quatre de ces puissances ont fondé le B.R.I.C, acronyme désignant : le Brésil, l’Inde, la Chine et la Russie….. (devenu par la suite BRICS, avec l’Afrique du Sud)
Les puissances dites « émergentes » sont à la mode. On ne parle que d’elles. Dans les colloques internationaux aussi bien que dans les dîners en ville, qui veut briller ne saurait faire autrement que de vanter leur ascension — forcément irrésistible — avant de terminer par une complainte obligatoire sur le déclin programmé de nos pauvres nations occidentales. La plupart du temps, aucun de ces éloquents bavards ne songe à honorer son auditoire d’une définition précise du sujet évoqué, ce qui serait pourtant fort utile. Car, à quoi reconnaît-on une puissance émergente ? À son poids démographique ? À sa capacité d’influence politique ou culturelle ? À sa force militaire ? Aux progrès de son économie et de son commerce ? À moins que ce ne soit à l’addition réussie de l’ensemble de ces critères ? Si l’on se rallie à cette dernière hypothèse, une certaine hiérarchie s’impose alors en fonction du critère retenu, car il y a forcément des puissances plus émergentes que d’autres dans chacun des domaines considérés. La Russie, par exemple, héritière du passé soviétique, dispose d’une force militaire, nucléaire, stratégique, avec laquelle, pour l’instant, aucune des autres puissances « émergentes » ne peut rivaliser. Mais il en va tout autrement en matière de développement économique. Certes la Russie bénéficie de richesses naturelles prodigieuses que la politique de Vladimir Poutine a permis de remettre entre les mains de l’État. Mais les structures administratives et économiques du pays demeurent archaïques et le système entier apparaît miné par une corruption endémique qui est, en grande partie, elle aussi, un héritage de l’ancienne nomenklatura soviétique.
Dans ce domaine de l’économie et du commerce, c’est la Chine que n’importe quel observateur impartial hissera sans hésitation sur le pavois. Et si l’on parle maintenant de la matière grise, des potentialités intellectuelles, du nombre et de la compétence des futures élites techniques et scientifiques, c’est l’Inde qui sera désignée le plus souvent comme porte-drapeau. Sans modestie excessive, les Indiens se voient d’ailleurs comme la vraie superpuissance mondiale de la fin du XXIème siècle. Quant à la quatrième de ces puissances dites émergentes, le Brésil, on le range d’autant plus volontiers dans cette catégorie que les experts nous annonçaient son ascension depuis des décennies, sans que leurs prédictions se réalisent jamais. « Le Brésil, grande puissance d’avenir et qui le restera », proclamait déjà de Gaulle, avec un humour dont on ne sait s’il était volontaire ou non — lors d’une visite à Brasilia, il y a près d’un demi-siècle. Mais si le Brésil possède effectivement l’étendue, les richesses naturelles, la population suffisante pour prendre rang parmi les puissances émergentes, il lui manque la force militaire. En ce domaine, avec un budget squelettique par rapport à son poids économique, le Brésil reste un lilliputien.
« ÉMERGENTES » OU RENAISSANTES ?
Il est pourtant le seul auquel pourrait s’appliquer vraiment la notion de puissance émergente. Car, pour les trois autres nations qui constituent avec lui le fameux BRIC (Brésil-Russie-Inde-Chine) dans le jargon des diplomates et des fonctionnaires internationaux, il serait plus avisé de les qualifier de puissances « renaissantes ». Voilà qui éviterait de sombrer dans une dangereuse confusion intellectuelle. Prenons, à nouveau, l’exemple de la Russie : dans le cadre de l’Union Soviétique, elle était l’une des deux superpuissance mondiales il y a vingt ans à peine. Après une brève éclipse, il n’est pas étonnant qu’elle revienne sur le devant de la scène, en renouant avec les lignes constantes de sa politique internationale. C’est qu’à l’inverse de la France dont la politique étrangère connut une rupture violente après 1789, rupture dont elle n’a pas fini de payer le prix, l’Union Soviétique, elle, n’a cessé de poursuivre avec opiniâtreté la diplomatie traditionnelle de la Russie tsariste : contrôle de l’Ukraine, de la Biélorussie et des pays baltes, progression vers l’Orient avec la prise en main de la Mongolie extérieure et des îles Kouriles arrachées au japon en 1945, politique d’expansion vers les mers chaudes avec l’invasion de l’Afghanistan en 1979. Après l’effondrement gorbatchévien et la période d’anarchie eltsinienne, il n’est guère douteux que le hommes du Kremlin soient animés la volonté de recoudre ce qui peut l’être, puis de repartir un jour de l’avant.
Tournons-nous à présent vers la Chine. En dépit de son volontaire isolement, elle était l’une des grandes puissances mondiales il y a moins de deux siècles. Au moment de la Révolution française, elle concentrait encore sur son territoire la moitié de la richesse mondiale. Elle était considérée à nouveau comme une puissance majeure dès le début des années cinquante du siècle dernier. Il faut rappeler que le généralissime Jiang Jieshi (Tchang Kaï-Chek) figurait parmi les « Grands » aux côtés de Churchill, de Roosevelt et de Staline en novembre 1943 à Téhéran, quand cet honneur avait été refusé à de Gaulle. Et dès 1973, alors que la Révolution culturelle n’était pas encore terminée, le succès phénoménal du livre d’Alain Peyrefitte, Quand la Chine s’éveillera, montrait que tout le monde en était déjà conscient : seules, les excentricités du maoïsme empêchaient la Chine de décoller. Autant dire que la Chine n’a rien d’une puissance « émergente ». Elle est une puissance majeure depuis deux millénaires au moins. La leçon vaut pour l’Inde, même s’il est vrai que l’éphémère domination britannique a modifié considérablement sa physionomie Au nord, les États majoritairement musulmans ont fait sécession pour former le Pakistan, le « Pays des purs », tandis que le reste du sous-continent a retrouvé pleinement sa vocation hindouiste, laquelle n’avait été préservée sous la dynastie moghole que dans les royaumes du sud, royaume de Vrijryanagar, royaume de Golconde et empire marhate sur la côte ouest. Là encore, l’Inde avait retrouvé un statut de grande puissance dès la conférence de Bandoung en 1954.
LA REVANCHE DE L’HISTOIRE
La Russie, la Chine, l’Inde : plutôt que de s’émerveiller sur leur « émergence » fictive, il serait plus simple de relever que ces grandes puissances politiques et militaires qui avaient déjà pour elles la superficie, le nombre, les ressources naturelles et une force militaire respectable en plus d’une longue histoire, sont en train de retrouver un poids économique significatif. C’est seulement en ce domaine qu’elles peuvent être qualifiées d’émergentes. Mais le plus important n’est sûrement pas là.
L’événement d’une portée immense pour l’avenir tient au fait que ces grandes puissances ont commencé à renouer, à mesure qu’elles acquéraient un poids économique enviable, avec leurs plus anciennes traditions historiques, culturelles et religieuses. Et c’est précisément la réappropriation de leur culture traditionnelle qui donne à chacun de ces peuples l’élan et la force nécessaires pour se projeter résolument en avant. Après soixante-dix années de glaciation marxiste, la Russie se redécouvre orthodoxe. Elle honore la mémoire de ses tsars et vénère le dernier d’entre eux comme un martyr. Après un demi-siècle de révolutionnarisme maoïste, la Chine se veut à nouveau confucéenne et partiellement bouddhiste. Elle a réhabilité ses anciennes dynasties, y compris la dynastie mandchoue. Elle se plaît à célébrer la figure du premier unificateur de l’Empire du Milieu, le génial et implacable Qin Shihuangdi. Quant à l’Inde, depuis l’indépendance et la partition de 1947, et plus encore depuis une quinzaine d’années, elle n’a cessé de renouer de plus en plus activement avec ses racines hindouistes. Si l’on ajoute à ce tableau le Brésil catholique, voilà tout un univers fort éloigné de notre laïcité étriquée et militante.
Une remarque encore : alors que des bataillons d’experts œuvrent à affoler les opinions occidentales sur le thème obsédant d’une prétendue poussée irrésistible de l’islam, pas une seule des puissances dites « émergentes » n’est musulmane. Le Pakistan, la seule puissance, islamique qui aurait pu prétendre jouer un rôle mondial, est désormais plongé, du fait même de l’influence de ses milieux fondamentalistes, dans un chaos qui paraît irréversible et menace jusqu’à son unité. Quant à la Turquie de l’AKP, malgré des progrès économiques incontestables, son PIB ne la place même pas au niveau des Pays-Bas.
Les présidents brésilien Luiz Inácio Lula da Silva, russe Dmitri Medvedev, chinois Hu Jintao et le premier ministre indien Manmohan Singh à Iekaterinburg le 16 juin 2009 lors du premier sommet du B.R.I.C
DES CHIFFRES ÉCLAIRANTS
De manière générale, si les succès de ces puissances émergente sont indéniables, ils méritent néanmoins d’être fortement relativisés et remis en perspective. Les chiffres ci-dessous, tirés des dernière statistiques disponibles du FMI, celles de 2010, sont fort éclairants :
PIB en milliards de dollars
USA |
14 624 |
Chine |
5745 |
Japon |
5390 |
Allemagne |
3305 |
France |
2582 |
Royaume-Uni |
2258 |
Italie |
2036 |
Brésil |
2023 |
Canada |
1563 |
Russie |
1476 |
Inde |
1430 |
Espagne |
1374 |
Australie |
1219 |
Mexique |
1004 |
Corée du Sud |
986 |
Pays-Bas |
770 |
Turquie |
729 |
Indonésie |
695 |
Suisse |
522 |
Belgique |
461 |
Taiwan |
424 |
Autres : * Afrique du Sud : 354 – * Iran : 337 – * Singapour : 217 – * Nigéria : 206 – * Algérie : 158 – * Syrie : 55 – Luxembourg : 52 – * Tunisie : 43 – * Pays africains : entre 1 et 5 milliards de dollars chacun.
UNE RÉSISTIBLE ASCENSION
On retiendra que les 15 pays les plus riches sur les 27 de l’Union européenne pèsent ensemble plus que les États-Unis et 40% de plus que la Chine et le Japon réunis. Un simple regard sur les statistiques du FMI permet aussi de constater que l’Allemagne et la France possèdent à elles deux un PIB quasiment équivalent à celui de la Chine et très supérieur à celui du Japon. Plus remarquable encore : malgré la masse énorme de ses 1 300 millions d’habitants et son ascension vertigineuse des vingt dernières années, l’Empire du Milieu ne représente que les 4/5e des PIB conjugués des trois grands pays latins0 de l’Europe : la France, l’Italie et l’Espagne. Et les PIB additionnés de la France et de l’Italie suffisent pour faire jeu égal avec ceux de l’Inde, du Brésil et de la Russie rassemblés, c’est-à-dire trois des quatre puissances « émergentes » appelées, selon les analystes, à bouleverser l’ordre du monde. Sur le plan économique, il faudra assurément encore du temps et bien des efforts avant que les grenouilles émergentes atteignent la taille du bœuf européen. Voilà qui contribue à remettre les choses en place. Et à nous rappeler que le déclin impressionnant de l’économie française (passée de 6% des exportations mondiales à 3,9% en dix ans) n’a pas pour cause unique — ni même pour cause principale — la montée de ces fameuses puissances émergentes. Les raisons de notre déclin économique et commercial sont à rechercher bien plus près de chez nous. À cet égard, commençons par une question : de quel pays la France est-elle le premier client mondial, le client qui absorbe une part considérable des productions de ce pays et lui apporte depuis une décennie l’assurance d’us balance commerciale formidablement excédentaire ? S’agirait-il de la Chine ? Des États-Unis ? Du Japon ou de quelque autre puissance lointaine et exotique ? Pas du tout. C’est avec l’Allemagne, notre voisine et notre principale partenaire européenne que nous enregistrons, année après année, des déficits de plus en plus dramatiques. Il est entré en France, en 2010, pour 79 milliards d’euros de produits allemands quand nos exportations outre-Rhin n’atteignaient pas 57 milliards. Soit, en douze petits mois, un trou de plus de 22 milliards à notre désavantage. Remarquons encore que les autres principaux pays exportateurs en France sont également européens : la Belgique (avec 41 milliards !) l’Italie (39,2 milliards) l’Espagne (31, 6 milliards). Contrairement à une idée reçue, c’est en effet le commerce avec nos proches voisins qui est la source principale de notre gigantesque déficit commercial. Seules 14% de nos importations proviennent d’Asie quand 60% nous arrivent des pays de l’Europe des 27. Retenons l’extraordinaire disproportion entre ces deux chiffres, alors qu’une propagande insistante s’obstine à nous présenter l’Union européenne comme un bouclier face à la menace commerciale extérieure.
La Chine ne vient modestement qu’en cinquième position. Cc qui n’empêche pas notre déficit avec Pékin de se révéler, lui aussi. abyssal : 31 milliards d’importations pour 9 milliards seulement d’exportations françaises en Chine, l’équivalent de ce que nous vendons à l’Autriche. Soit un déficit annuel de notre balance commerciale de 22 milliards avec Pékin. Par une troublante symétrie, notre déficit avec la Chine s’avère être exactement le même que notre déficit avec l’Allemagne. La France se trouve ainsi écrasée deux fois : écrasée par le proche et écrasée par le lointain. Or, si les exportations entrent pour 40% dans le PIB allemand, elles ne représentent que 26% du PIB de la France. Cela veut dire qu’en dépit des discours qui nous sont tenus depuis des décennies, c’est de notre production nationale consacrée à notre marché intérieur que découle l’essentiel de notre richesse. On comprend alors que ce marché soit une proie pour les puissances exportatrices proches ou lointaines. Et c’est un marché que les règles de l’Union européenne nous ont obligés à ouvrir à tous vents et à maintenir tel, quoi qu’il advienne.
Cette situation fait que notre appartenance à l’Union européenne nous rend vulnérables deux fois : vulnérables à l’intérieur de l’Europe, puisque, du fait de la monnaie unique, du fait de l’euro, nous ne pouvons plus jouer de ce que l’on appelle la dévaluation compétitive pour freiner les importations allemandes et favoriser nos exportations outre-Rhin. (L’une des premières décisions de De Gaulle à son retour au pouvoir fut de dévaluer le Franc de 17,5% en novembre 1958). Mais vulnérables, nous le sommes aussi hors d’Europe, face à des puissances comme la Chine, dans la mesure où nous nous trouvons contraints par les règlements européens d’ouvrir nos frontières sans précaution ni limite. Ainsi, l’Union européenne et l’Euro sont-ils devenus pour la France, de formidables machines à perdre, les effrayants instruments d’un inexorable et perpétuel déclin économique et social dans un monde de plus en plus dangereux.
UN MONDE REDEVENU DANGEREUX
L’Occident a développé en effet, auprès des trois-quarts de l’humanité, l’envie, le besoin pressant de modes d’existence auxquels ces masses immenses n’ont aucune chance d’accéder jamais. Même s’ils parvenaient à nous détruire et à nous remplacer, cela ne marcherait pas, tout simplement parce que, du simple fait de leur nombre, les richesses naturelles de la planète n’y suffiraient pas. C’est un constat terrible mais évident : il n’y pas de bien-être généralisé possible, selon les critères actuels du monde occidental, pour 7, puis 9 ou 10 milliards d’êtres humains. Certes, face à cette situation réellement terrifiante, il se trouve des utopistes pour avancer la solution d’une décroissance programmée qui nous permettrait d’abandonner volontairement la moitié ou les deux tiers de notre richesse pour les transférer, les transfuser à ces trois-quarts d’humanité plongés dans le dénuement. Tandis que nous perdrions une part substantielle de notre niveau de vie, le reste de l’humanité bénéficierait d’un niveau correspondant au tiers ou à la moitié de celui qui est le nôtre actuellement. Noble idéal. Mais arithmétique stupide et projet absurde. Car ces trois-quarts de l’humanité n’ont pas du tout l’intention de se contenter, même si nous le leur proposions, d’un niveau de vie équivalent à la moitié de celui dont nous bénéficions aujourd’hui.
Ils veulent tout et le plus vite possible. Tout en critiquant à juste titre notre égoïsme, ils n’ont, sur le plan matériel, qu’une obsession, celle de nous ressembler enfin. Ils en rêvent depuis des décennies Et maintenant que des masses énormes, près d’un milliard et demi de Chinois, plus d’un milliard d’Indiens, se sentent en mesure de pénétrer sur la terre promise, alors qu’une partie d’entre eux en goûte déjà les délices, voilà que nous nous croyons autorisés à leur tenir à peu près ce langage, en imaginant pouvoir être écoutés : « Vous savez quoi, lei amis ? La prospérité, on s’en lasse vite. Trop de nourriture, trop de confort, c’est mauvais pour le cœur. Et toutes ces voitures ! Ça pollue horriblement. Tout ce CO2 dans l’atmosphère ! Croyez-nous, renoncez à tout ça ! Nous avons donné le mauvais exemple ! Ne nous imitez pas ! Un milliard et demi de chinois en 4X4, c’est impensable ! Un milliard d’Indiens en limousine, c’est absurde ! Toutes les ressources de la terre en pétrole et en minerais n’y suffiront pas ! »
Oui, il se peut, que nous ayons effectivement, nous autres Occidentaux, mis en branle depuis trois siècles une machine infernale qui va nous exploser à la figure, si les autres, tous les autres, prétendent nous imiter. Mais comment caresser le moindre espoir de le leur faire admettre ? Tout effort de persuasion est ici un exercice vain. On le voit bien, dès que nos dirigeants se mettent à parler de pollution à leurs homologues des puissances dites émergentes. Leurs mises en garde ne leur valent en retour qu’incompréhension et mépris. « Comment, s’indignent légitimement les dirigeants chinois ou indiens, vous prétendez interdire à nos peuples ce dont vous jouissez depuis si longtemps ! Mais de quel droit, alors que vous n’êtes plus les plus forts ou que vous ne le resterez pas longtemps ? ».
LE NOMBRE OU LA QUALITÉ ?
Cependant, il ne faudrait pas que ces noires réflexions qui relèvent de l’évidence, nous incitent à imaginer un avenir où s’opposeraient, de manière apocalyptique, deux moitiés du monde. Les choses seront, à coup sûr, infiniment plus complexes. Si de terribles conflits semblent devoir marquer ce XXIe siècle, pour la possession de ressources aussi indispensables que l’eau par exemple, il paraît fort peu probable que s’engage une sorte de combat titanesque entre d’un côté tous ceux qui voudront monter dans la barque de la prospérité et, de l’autre, tous ceux qui refuseront d’en descendre. Comme toujours dans le passé, les luttes les plus inexpiables auront lieu sans doute à l’intérieur de chacun des deux camps. Chez les peuples « riches », on verra s’affronter ceux qui auront gardé l’envie et la force matérielle et morale de se maintenir et ceux qui auront perdu la volonté et la vitalité nécessaires pour échapper à une régression effroyable. Du côté des « pauvres », certains auront la force et l’ingéniosité suffisantes pour s’imposer dans le nouveau concert des puissances dominantes, quand d’autres retomberont après d’immenses mais vains efforts.
On le voit bien en Extrême-Orient où les ambitions régionales et les rivalités historiques transforment la région en une redoutable poudrière. Lors du dernier G20, c’est l’Inde qui s’est montrée le pays le plus virulent à l’égard de la politique chinoise de sous-évaluation de sa monnaie nationale, le yuan. Et cette rivalité est tout aussi brutale sur le plan politique et militaire, comme en témoignent les récents accords de coordination des marines indienne, australienne et japonaise, conclus à l’évidence pour contrer la montée en puissance maritime de la Chine. Mais on commence à le voir aussi sur notre continent où la mythique « solidarité européenne » est en train d’exploser sous les effets d’une crise qui ne déploie pourtant que ses premiers effets. Celle-ci contribue à convaincre nombre d’Européens qu’il est stupide de penser qu’ils se sauveront ou se perdront forcément en bloc. À l’intérieur de l’Union européenne, les écarts ne cessent au contraire de se creuser, au point de devenir insupportables. En 2000, un an après la création officielle de l’euro, l’écart de croissance entre le pays le plus performant et le moins performant de l’Union était de 1,5 points par an. Il est à présent de 7,5 points ! C’est que les succès de l’Allemagne ne sont pas ceux de l’Europe, puisque c’est avec ses voisins qu’elle bat des records d’exportations. Les succès de l’Allemagne n’ont donc pour effet que d’affaiblir les autres Européens. L’Allemagne ne grossit qu’en les dévorant. Rien n’y fera : le sort de l’Union européenne, du moins sous sa forme actuelle, est inscrit dans cette simple constatation.
Bref, l’avenir ne sera pas marqué par la lutte inexpiable entre deux univers aux contours bien tracés. Cela risque fort d’être une lutte quotidienne et harassante de tous contre tous. Sur ce radeau de la Méduse international, une seule règle prévaudra — celle du chacun pour soi. Mais, selon la vieille loi des sociétés humaines, la force et le nombre ne suffiront pas pour survivre et triompher. La force et le nombre ne sont rien sans l’intelligence. De tout temps, les sociétés qui ont fini par survivre et par s’imposer ont été celles qui parvenaient, au cœur même de la tourmente et sous l’aiguillon du péril, à inventer des formes nouvelles et supérieures d’organisation politique et sociale. Il n’est peut-être pas trop tard pour s’y atteler.
Bravo ! Commentaires très complets et d’excellente qualité dont la conclusion essentielle pourrait être qu’en dépit de la crise de la dette générée en Europe souvent par pure démagogie-à l’image des « subprimes » américains imaginés par Clinton aux fins d’assurer sa réélection,et ayant pour principe de base de prêter de l’argent bon marché aux plus pauvres sans s’assurer que les malheureux aient les moyens de rembourser le capital-,l’Euroland a une réelle consistance économique,quand on la compare à l’ensemble des économies du globe.
Quelles que soient les erreurs de conception au départ d’une monnaie prévue comme une devise commerciale,l’€ est devenu un symbole politique de protection économique des pays qui l’ont adopté (et une monnaie de réserve pour nombre de pays riches en devises de change),n’en déplaise aux Britanniques qui perçoivent toute la menace que l’€ comporte pour la place financière de Londres,et à ses nombreux détracteurs européens aussi défaitistes qu’irréfléchis.C’est pourquoi,on est en droit d’espérer un avenir décent à l’€,sous la condition qu’il ne monte pas trop par rapport au dollar….et que les débordements de la folie humaine soient contenus! Quoi qu’il en soit,il n’y a pas de « dévots » de l’€,mais seulement des utilisateurs.La dévotion n’est pas un terme économique.