Par Pierre Debray.*
Cette étude reprise de Je Suis Français (1983) est une suite à paraître ici au fil des jours de la semaine sauf le week-end. Une fois opérés les correctifs contextuels qui découlent du changement d’époque, elle constitue selon nous une contribution magistrale à la réflexion historique, économique, sociale politique et stratégique de l’école d’Action Française.
V – Les deux handicaps du socialisme
Les Français ont décidément la mémoire courte. Alors qu’aux Etats-Unis le parti démocrate s’ingénie à faire oublier jusqu’à l’existence de Carter, il subsiste chez nous, des gens pour se proclamer giscardiens et les commentateurs politiques s’interrogent pour savoir si le colin froid figurera au menu des prochaines élections présidentielles.
Quand on y réfléchit, pourquoi pas, après tout ? Le 10 mai 1981, rien n’a changé, en dehors du style. Giscard donnait dans le genre moderne, Mitterrand préfère la mode rétro. J’entends dire parfois que M. Delors, depuis quelques mois, pratiquerait un « barrisme de gauche ». Pas depuis quelques mois.
Dès son arrivée au pouvoir, il s’est posé en fidèle disciple du « premier économiste de France ». Nos braves électeurs en sont vaguement conscients, qui le hissent tout en haut de l’affiche, au hitparade des sondages, juste derrière l’aimable Monsieur Rocard, qui a longtemps profité du grand avantage de n’avoir rien à faire, alors que ses collègues ne faisaient rien que des bêtises.
Majorité et Opposition : D’accord sur l’essentiel
Au lendemain de la victoire électorale de M. Mitterrand, les socialistes annoncèrent qu’ils allaient dresser le constat de faillite de la « droite ». A qui confièrent-ils cette tâche ‘? A M. Bloch Lainé, technocrate que lie à l’établissement le maillage serré des liens de famille, d’éducation, de mondanité et surtout d’intérêt. Comment un homme si convenable aurait-il pu commettre l’incongruité de révéler que le roi de carnaval était nu ? Il accorda un satisfecit à Giscard et à Barre, que ceux-ci brandissent chaque fois qu’un malheureux socialiste de sous-préfecture se croit permis de mettre en cause « l’héritage ». Les Français. ne sauront jamais que Giscard fut le principal responsable de l’augmentation des charges (cinq points) qui pèsent sur les entreprises, qu’il a laissé les Français vivre au-dessus de leurs moyens tandis que leur parc industriel vieillissait et qu’il a anticipé la politique de relance par la consommation qui augmentait, en 1980, au rythme de 2,50%, en volume. Toutes les sottises que les socialistes ont accumulées en deux ans, dans le domaine économique, continuent et aggravent celles de Giscard et de Barre. Les caisses étaient pleines, le 10 mai ? Giscard, pour assurer sa réélection, les vidait : quatre milliards distribués aux agriculteurs, quinze aux assurés sociaux, trois ou quatre aux automobilistes. Quant à l’inflation, elle galopait : 1.8% en mai 1981. Ne parlons pas du franc. Durant le septennat giscardien, il avait perdu 30% de sa valeur, par la faute de la gestion imprudente et incompétente de Chirac, qui s’enfuit du gouvernement comme un voleur, afin d’éviter la banqueroute.
M. Chevènement (Le Monde des 10 et 11 mai) admet, sans oser en tirer les conséquences, que les socialistes ont perdu la partie en juin 81, pour n’être pas sortis du SME et pour ne pas avoir fait jouer les clauses de sauvegarde. Cela supposait que la vérité soit dite au pays. M. Mitterrand aurait eu la partie belle pour imposer la « rigueur », annoncer aux Français que le nombre de chômeurs continuerait de croître, pour atteindre les deux millions et demi, parler le langage de l’effort. Après tout, il était normal que les électeurs paient la note laissée par Giscard. J’ai eu peur, un moment que le pouvoir socialiste s’engage dans cette voie. Le pays était mûr pour le socialisme à perpétuité ! Crainte vaine et d’autant plus déraisonnable que je vous avais moi-même décrit les attaches du haut personnel socialiste avec l’Etablissement. Comment penser qu’un homme tel que Delors, l’ancien collaborateur de Chaban, le domestique de la finance internationale, qui avait richement récompensé son zèle, s’engagerait dans une politique d’indépendance nationale ? Sa seule présence au ministère des finances attestait qu’il n’y aurait de changement que de façade.
Si Giscard avait gagné les présidentielles, la situation économique ne serait vraisemblablement pas pire. Elle ne serait guère meilleure. Majorité et opposition fabriquent de faux clivages idéologiques mais elles se révèlent, si l’on gratte un peu, d’accord sur l’essentiel : mondialistes, européistes, libre échangistes et malthusiennes. Chirac. qui avait eu quelques velléités nationalistes est rentré dans le rang, rêvant de faire liste commune, pour les élections européennes, avec la femme Weil. Tout au plus, M. Mitterrand se montre-t-il, du moins en paroles, un peu plus patriote. Il expulse des diplomates soviétiques et ne se précipite pas à Moscou recevoir l’investiture. Dans la pratique, comme le colin froid, il compose avec le clan des Yes et celui des Da. Seule change la disposition des pions : les communistes sont au gouvernement mais il ne s’aligne pas, le petit doigt sur la couture du pantalon, sur la « ligne » du Kremlin, M. Giscard faisait l’inverse. Le résultat a bien des chances d’être semblable.
« Des nationalisations spectacles »
Certaines nationalisations s’imposaient : Usinor et Sacilor, qui d’ailleurs ne survivaient que grâce aux fonds publics. Sans doute aurait-il fallu faire deux parts : rattacher le bassin lorrain à la Défense nationale pour que la France, même à perte et sans tenir compte des quotas fixés par la sidérurgie allemande, maîtresse du jeu dans les instances bruxelloises, puisse fabriquer les aciers nécessaires à son industrie ‘d’armement et pour le reste liquider tout ce qui n’était pas rentable. Pour les autres, s’il fallait assurément laisser sa liberté à Rhône-Poulenc, la nécessité de restructurer l’industrie chimique, l’informatique et ses dérivés exigeait une prise de participation de l’Etat.
Plutôt. que de nationaliser, les socialistes obtenaient le même résultat en procédant à une augmentation de capital qui aurait eu deux avantages, fournir des fonds propres indispensables et ne pas avoir à rembourser les actionnaires.
Il suffisait d’une minorité de blocage de l’ordre de 34 à 40% selon les besoins en fonds propres. Giscard avait manœuvré plus habilement en faisant racheter Berliet par Renault, ce qui équivalait à une nationalisation. De toute façon, la procédure employée était trop lente. La direction des « nationalisables » est restée près d’un an sans savoir ce que serait le sort de l’entreprise.
D’où un immobilisme catastrophique. Si l’on ajoute que les socialistes ne possédaient pas de politique industrielle et que la restructuration de la sidérurgie et de la chimie a été conduite au hasard des rapports de force entre les firmes, contrariées par les lubies bureaucratiques de M. Chevènement, l’immobilisme s’est métamorphosé en pagaie. Thomson, en ne se battant pas pour racheter Grundig et en refusant l’alliance de Philips, pour s’entendre avec les Japonais vient de fournir la démonstration que les « nationalisations » n’ont rien changé. La politique des entreprises reste aux mains de technostructures qui se moquent des intérêts de la nation. (À suivre, demain mardi ) ■
* Je Suis Français, 1983
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