Les Lundis.
Par Louis-Joseph Delanglade*.
C’est en tout cas ainsi que M. Harari, célèbre universitaire israëlien, nomme la situation actuelle (« Nous sommes dans un vortex historique ») : les lois normales de l’Histoire seraient actuellement suspendues et il devrait en résulter « un avant » et « un après » (Le Point, 1er avril — c’est nous qui mettons au conditionnel).
M. Védrine estime pour sa part que nous vivons un événement sans précédent, « la première peur planétaire globale » (France Inter, 11 avril). En tout cas, ce qui est vraiment nouveau, c’est la double nature de cette peur d’ordre tout à la fois sanitaire et économique
Certains, en ces temps où ça pérore à tout-va, affirment déjà, pour s’en féliciter ou le déplorer, que la pandémie marque le début du grand basculement : au déclin d’un Occident surpris et incapable de faire face, ils opposent la maîtrise et la bonne gestion d’un Orient désormais reconnu comme supérieur. Et d’en inférer l’inéluctabilité d’un nouveau consensus mondial, à défaut d’une véritable mais fort improbable gouvernance mondiale.
Voire ! Il faut se méfier de ces proclamations tonitruantes. Qu’on se rappelle la prétendue fin de l’Histoire prophétisée à la fin du siècle dernier par M. Fukuyama : la démocratie allait l’emporter partout et tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes, le monde libéral – on connaît la suite.
Pour d’autres, c’est la nature même d’un monde globalisé et financiarisé qui va, qui doit en tout cas, changer. Mais on se demande bien par quel coup de baguette magique.
Certes, même les Strauss-Kahn, Lagarde, Lamy et consorts de la « globalisation » admettent, sous la pression des événements, qu’il devrait bien y avoir un « après ». Cependant, et à titre d’exemple, M. Lamy déclare aussi sur France Inter (samedi 11 avril) qu’il ne croit pas à la « déglobalisation », voulant dire par là non seulement qu’il ne la voit pas se produire mais surtout que, de toute façon, il n’y « croit » pas au sens où il a cru, croit et veut continuer de croire aux bienfaits de la globalisation.
M. Macron, dont le programme (et la philosophie mondialiste qui le sous-tendait faisant de la France « la start up nation») a été cruellement démenti par les faits, a fait preuve de plus d’humilité dans ses interventions médiatiques. A l’écouter, un véritable bouleversement socio-économique nous attend « après » qu’aura été réussi un délicat déconfinement. Pour l’instant, ce ne sont que des mots et un nouveau pari sur l’avenir.
Les seules et toutes relatives certitudes que l’on puisse avoir aujourd’hui sont de deux ordres. Sur le plan économique et financier d’abord, il serait inconséquent de penser que nous n’allions pas vers de gros problèmes. Sans rejoindre la corporation des prophètes de malheur, on peut penser que tout cela aura un coût. Sur le plan géopolitique ensuite, l’improbable duopole sino-américain semble solide en l’état.
Certes, les ambitions de la Chine sont immenses mais, en l’occurrence dans la crise actuelle, c’est davantage par une communication outrancière qu’elle se distingue et rien ne dit que les Etats-Unis, si erratiques soient-ils parfois, ne puissent conserver encore longtemps les attributs de première puissance planétaire – et on ne les voit pas renoncer à leur essence libérale et financière.
Et pourtant, nous avons un véritable motif de satisfaction. Il n’est question que de la nécessité de véritables frontières et d’une relocalisation des productions stratégiques ou encore de la légitimité d’un Etat fort parce que protecteur et d’une identité nationale toujours bien vivace. De plus, le modèle économique libéral et financiarisé fait à juste titre figure d’accusé. Mieux : la base idéologique de son complice libertaire vacille : la situation nous ramène à la finitude tragique de notre condition humaine et dément un individualisme festif de masse qui voudrait nous faire croire qu’on peut « jouir sans entraves » au point d’assouvir partout et tout le temps le moindre de ses caprices.
Les thèmes et idées de cette Contre-révolution (dont il a été question ici même, la semaine dernière, à propos de l’ouvrage de Pierre de Meuse qui est donc d’une grande actualité), ces thèmes et idées font florès. Un vrai tourbillon et une bonne raison de continuer ce combat. ■
* Agrégé de Lettres Modernes.
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