Europe, Moyen-Orient, Bakou …
En Asie l’huile se présente à fleur de terre. En Perse des savants allemands repèrent le naphte mais personne ne s’offre pour l’exploiter.
En Europe quelques exploitations démarrent ou subsistent : en Allemagne, dans les Carpathes, en Galicie, en Roumanie.
Et le Caucase est prêt à donner la réplique à la Pennsylvanie. A Bakou où la terre forme une couche peu épaisse sur un sol rocailleux. Les flammes s’élèvent facilement. Longtemps les tsars se sont désintéressés du pétrole. L’État russe a le monopole de son exploitation, ce qui est l’assurance qu’il ne sera pas exploité … L’Azerbaïdjan tout entier est une terre de feu. A Bakou l’extraction est concédée à des Arméniens, les frères Mirzoïefs, qui fondent une première société pétrolière en 1856. Au fond des alambics se dépose une sustance plus lourde que le pétrole lampant, que les Tartars appellent masul ou mazude. Ce résidu gardera le nom de mazout. Les Américains ayant ouvert la voie du forage, les Russes ne veulent plus se contenter de l’huile de surface et se mettent à creuser. En 1872 la Russie renonce à son monopole et met aux enchères des terres imprégnées. Et les charpentes de derrick se multiplient autour de Bakou. La production bondit de 5.000 tonnes annuelles vers 1860 à 4 millions de tonne en 1890. Autour des champs pétroliers de Bakou, un jeune arménien de 22 ans fera parler de lui dans l’histoire du pétrole, Calouste Sarkis GULBEKIAN.
Quels produits sortent des deux cents raffineries créées en 30 ans ? La benzine, qui sert au dégraissage des laines, la kérozine qui sert à l’éclairage; la gazoline, perdue ; et le mazout pour la lubrification et le chauffage.
Une impulsion inattendue va venir d’inventeurs dans l’âme, les frères Nobel. Enrichis dans la guerre de Crimée, ils passent des chantiers navals de la Néva à Bakou, où ils se fixent et impriment à l’industrie du pétrole leur génie de l’invention. Ils embrassent tous les secteurs de l’activité : du forage à l’exportation. Avec acquisition effrénée de terrains les conduisant à détenir 40 % des puits de la région.
Et cette production de Bakou, coûtant dix fois moins cher que le pétrole américain, le concurrence sévèrement en Europe. La Russie frappe les huiles américaines de droits exorbitants pour empêcher l’importation venant de Pennsylvanie. La lutte entre les Nobel et Rockefeller va durer une quinzaine d’années jusqu’aux troubles qui commencent à agiter l’empire des tsars. En 1905, au massacre des Arméniens, réplique la mise à feu des installations de Bakou. Les sabotages et les émeutes ne cesseront plus jusqu’à la révolution. Les Nobel se réfugient en Allemagne, et Rockefeller leur rachète tous leurs droits … en sachant qu’ils n’avaient plus aucune valeur.
Monsieur 5%. Un certain Gulbekian …
Les Anglais ont prétendu en 1912, qu’ils venaient de découvrir l’existence de la Turkish Petroleum Company, nouvel intervenant sur la zone, ce qui parait assez étrange. Société créée par une alliance Deutsche Bank, Shell, Turkish National Bank (contrôlée par les Britanniques …), l’artisan du montage est un certain Caliste Gulbekian. Et en regardant de près on découvre qu’il est un actionnaire dormant de la Turkish National Bank à hauteur de 30%. Surnommé le Talleyrand de la «diplomatie pétrolière».
Fils d’un riche banquier arménien de Constantinople qui avait fait fortune en important du kérosène russe dans l’empire ottoman, remercié par le Sultan par un gouvernorat sur un port de la mer noire, Caliste fut envoyé au lycée à Marseille (!), avant des études supérieures au King’s College à Londres. Il reçoit son diplôme d’ingénieur à 19 ans. Il s’investit immédiatement dans l’industrie du pétrole qui le fascinait. À 22 ans il est officiellement mandaté par le Sultan pour établir le potentiel de la Mésopotamie. Début d’un lien étroit entre cet entremetteur de génie et la Perse. Onctueux, malin, se défiant de tout le monde, usant en permanence du proverbe arabe « Embrasse la main que tu ne peux pas mordre ». La position de la famille ne la met pas à l’abri des persécutions turques contre les Arméniens, et ils se réfugient au Caire. Dans le même temps il installe à Londres l’importation du pétrole de Bakou. Londres, où c’est le bon endroit pour servir d’intermédiaire à la Shell désireuse de s’introduire en Perse. C’est à cette époque qu’il se fait un motto qui le guida toute sa vie « ne jamais abandonner une concession de pétrole ».
Face à la Turkish, les Anglais mettent tout leur poids pour que l’Anglo-Persian entre dans cette société. Après négociation les Allemands acceptent en Mars 1914 (!) d’accorder 50% des bénéfices à l’Anglo-Persian. C’est 5 mois avant le début du conflit européen le plus meurtrier du XXème siècle. Et 25% pour Deutsche Bank et 25% pour Shell. Reste à rémunérer l’intermédiaire ayant conduit toutes les négociations. Il est convenu que Anglo-Persian et Shell prendraient sur leur part chacune 2.5% des actions, sans droit de vote. Monsieur 5% est né …
Ouvrir la porte vers le Moyen Orient.
Faisons un détour vers des acteurs qui joueront un rôle déterminant dans l’Histoire, l’Anglo-Persian Oil, Royal Dutch et Shell.
La première créée en 1909, après s’être désespéré de trouver le précieux liquide en Perse, le britannique William Knox d’Arcy fait jaillir un puits au pied du mont Zagros. L’Anglo-Persian s’appellera successivement Anglo-Iranian et aujourd’hui British Petroleum. C’est le Foreign Office qui désigne son premier président !
Vers les moussons équatoriales la petite Hollande trouve de l’huile à 70 m de profondeur à Sumatra. Plusieurs autres forages peu profonds promettent le pétrole des iles. En 1890 une société est créée, la Royal Dutch parce que le roi Guillaume III soutient l’entreprise.
Pourquoi la Shell ? Cette société de 1830 fait le transport des coquilles, des perles, de la nacre en provenance de la Sonde vers l’Angleterre. Puis du thé, du riz, du coton, rapportant de la quincaillerie en sens inverse. Activité étendue à toute forme de transport, comme du pétrole russe vers le Japon, ou du pétrole de Bornéo vers l’Europe. En 1901 quand l’huile jaillit au Texas, la Shell fait des offres de transports au bon moment alors que Rockefeller vient d’opposer un refus hautain aux exploitants texans. Shell offre de prendre le kérosène américain et de le vendre en Europe, à l’amirauté britannique essentiellement.
Mais les terrains d’opération sont vraiment trop proches de ceux de Royal Dutch, et la concurrence entre les deux entreprises ne conduirait nulle part. En 1907 la fusion est acquise et les deux sociétés ne font plus qu’une, la Royal Dutch – Shell avec son siège à Londres.
Ce qui a été la constante préoccupation de la diplomatie de Sa Majesté de garder le contrôle de la route Londres – Bombay par le canal de Suez, a ouvert naturellement la porte aux champs de production. La pax britannica est imposée à tout le golfe persique.
Et en cette fin du 19ème siècle un nouveau chapitre s’ouvre avec l’invention du moteur.
La première incursion du pétrole dans la fonction propulsion fut le remplacement du charbon pour chauffer les chaudières de bateaux de la première puissance navale, l’Angleterre. Nouveauté qui se heurte immédiatement aux intérêts des mines de houilles ; l’Angleterre est trop riche en charbon pour souhaiter la victoire du pétrole. Néanmoins la conversion touche les flottes de tous les pays. Si la facilité d’utilisation de l’huile a raison des blocages, la transformation à grande échelle est lente. En 1914 seuls 500 navires sont équipés au mazout.
Sait on jamais qui est le premier à l’origine d’une invention ? À l’exposition universelle de 1889, un certain Armand Peugeot remarque sur la Seine un canot qui se meut tout seul. Par la grâce d’un moteur Daimler qui marche à l’essence de pétrole.
C’est en 1862 qu’un ingénieur parisien, Alphonse Beau de Rochas, met au point le cycle à quatre temps qui portera son nom. Il prend un brevet. À cela près qu’il ne s’agit que de plans sur papier … ! C’est l’Allemand Nikolaus Otto qui conçoit un moteur fonctionnant sur ce cycle, mais au gaz d’éclairage. Il s’associe avec l’ingénieur Gottlieb Daimler. En 1885 ils retiennent l’essence de pétrole comme carburant. Un autre ingénieur Karl Benz travaille lui aussi sur l’utilisation de l’essence, mais ne parvient pas à égaler la technique Daimler. Celui-ci cède sa licence à l’ingénieur français Sarazin, qui en fait immédiatement profiter ses camarades de l’Ecole Centrale, René Panhard et Emile Levassor. Dans l’année de l’exposition Levassor et Daimler se rendent chez Armand Peugeot qui construit des bicyclettes. Accord conclu : Peugeot va monter des tricycles équipés de moteurs Daimler achetés à Levassor. Engin sommaire dans les dix dernières années du siècle. Puis de 1900 à 1914, le moteur à pétrole marque des points décisifs, dans trois domaines. : la distance, la série, l’économie. Du premier tricycle d’Armand Peugeot aux véhicules carrossés, la technologie progresse à vitesse considérable des deux côtés de l’Atlantique, la France restant pionnière et tête de file des innovations. Le colonel Charles Renard, polytechnicien, démontre que l’on ne pourra voler que lorsque les moteurs développeront une puissance suffisante par rapport à leur poids (en donnant le ratio); en 1909 Louis Blériot traverse la Manche. À la même date l’américain Henry Ford installe à Detroit la chaine de montage de la Ford T, selon l’horrible principe du « taylorisme ». Produisant un véhicule à bas prix.
La France peut être fière de sa position et de la richesse de sa création. Nous ne pouvons pas oublier ses pionniers, une liste de noms célèbres : Jules-Albert De Dion et Georges Bouton, Panhard et Levassor, Louis Renault, les Peugeot, André Citroën, Marius Berliet.
Alphonse Beau de Rochas ( http://jc.clariond.free.fr/biographies/bauderochas.html )
Le pétrole dans la Grande Guerre
De manière excessive, considéré par certains historiens comme le sang de la victoire. De même que d’autres voient la lutte pour l’accès au pétrole comme la vraie raison du conflit, ce qui est certainement faux. L’irruption des moyens mécaniques au cours du conflit ajouta au caractère industriel de la guerre, bien que le cheval restât le moyen de traction de base sur le champ de bataille.
Du 7 au 9 Septembre 1914, le Général Galliéni, gouverneur militaire de Paris, organise dans l’urgence le premier transport motorisé de troupes dans la guerre moderne, « les Taxis de la Marne ». Opération réitérée pour soutenir le front à Verdun par le seul accès disponible que Barrès appellera « La Voie Sacrée ».Et c’est pendant le conflit l’extension de la nouvelle force motrice à tous les moyens de locomotion. Les Britanniques voient immédiatement la nécessité d’installer un contrôle des sources au plus près des zones de production, en l’espèce la péninsule arabique et la Mésopotamie. Cet objectif va de pair avec la désintégration de l’empire ottoman. Un partage des zones pétrolières du Moyen Orient avait été fait entre l’Angleterre, la Turquie et l’Allemagne. On ne parlait pas de la France. En 1890 le grand vizir avait promis la priorité à la Deutsche Bank. La fin du conflit voit un nouvel équilibre du monde. L’Allemagne perd ses droits et la question se pose de l’attribution de ses parts. Clémenceau se fait raconter des promesses par le Premier britannique, qui ne seront jamais concrétisées. On voit alors apparaitre Gulbenkian qui s’entremet pour que la France ait sa part. On propose à Paris la zone de Mossoul. Mais avec leur art consommé de la duplicité les Britanniques parviennent à faire reconnaître qu’ils garderont leur droit sur le pétrole dont les accords Sykes – Picot ne parlent pas ! La France a donc Mossoul , sans le pétrole … Et dans les tensions qui s’ensuivent, les Américains demandent à leur tour un morceau des dépouilles. Gulbekian intervient à nouveau pour proposer un nouveau partage, une fraction aux Français, une autre aux Américains, une à l’Anglo-Persian, une à la Royal-Dutch et le dédommagement des Turcs de Kemal Ataturk. Sans oublier sa propre rémunération.
En résumant les évènements de la fin de la guerre en 1920 à la veille de la suivante, on lit la préoccupation constante des Britanniques de rester les maîtres sur la Perse (qui va s’appeler l’Iran à partir de 1935), la Mésopotamie (l’Irak), et les Emirats autour du Golfe. En contenant tout autant les Américains dont ils ne voient pas l’implantation d’un très bon œil.
Gageons que les pays à l’époque ne soupçonnaient pas les guerres que l’accès à cette huile précieuse allaient entretenir pendant la centaine d’années à venir jusqu’à aujourd’hui.
La France
Les Français cherchent à se positionner. Sous l’impulsion de Raymond Poincaré, Premier Ministre en 1922, une société d’état est créée. À cette fin il se tourne vers un industriel, le colonel Ernest Mercier, polytechnicien, héros de la Grande Guerre, blessé en Orient dans des actions pour la protection des champs de forage roumains, contre l’avancée des troupes allemandes. Technocrate dans l’âme ne visant que l’industrialisation de la France, initiateur de la distribution de l’électricité en France. La compagnie pétrolière sera appelée la Compagnie Française des Pétroles (CFP), plus tard Total. Destinée à être privée, Mercier se heurte à un obstacle inattendu, la frilosité des investisseurs. Malgré la mauvaise volonté britannique, la CFP parvient à se faire octroyer des blocs d’exploration-production en Irak.
La seconde guerre mondiale
Ici aussi quelques historiens se sont essayés à démontrer que le conflit fut essentiellement une course au pétrole. À nouveau ce n’est qu’une hypothèse qui ne résiste pas à l’examen. Il est en revanche indéniable qu’il n’y aurait pas eu de guerre possible sans pétrole.
Le pacte Quincy
Si l’on ne doit retenir qu’un évènement du second conflit mondial, qui dessinera la carte de l’accès au pétrole jusqu’à aujourd’hui, c’est la rencontre de Roosevelt avec Ibn Séoud le 12 Février 1945, sur le croiseur USS Quincy ancré sur le Grand Lac Salé (lac Amer). Ce que nous dit Harry L. Hopkins, le plus proche conseiller de l’Américain (An Intimate History) nous invite à rapporter les détails. Au dernier soir de la conférence de Yalta, Roosevelt dit à Churchill, d’un ton détaché, qu’il s’envolera le lendemain vers l’Égypte, où il a prévu de rencontrer le roi Farouk, le Négus, et surtout le roi Ibn Seoud. Le Premier britannique est extrêmement mal à l’aise, très inquiet, et n’obtient pas de réponse sur les raisons de ce déplacement. Churchill réplique peu après qu’il va lui aussi en Egypte pour rencontrer les mêmes souverains, mais après s’être arrêté en Grèce où des entretiens sont prévus.
1945 : « la » rencontre Roosevelt / Ibn Seoud…
En fait la querelle avait débuté un an avant, en pleine guerre quand les deux parties rêvaient à haute voix de leurs projets pour l’Iran et la péninsule arabique. Après un entretien le 18 Février 1944, l’ambassadeur anglais à Washington câble à Londres « les Américains nous traitent de manière choquante ». Très irrité Lord Halifax demande une entrevue à Roosevelt le lendemain, qui lui déroule une carte en lui disant « la Perse, c’est vous, nous partagerons l’Irak et le Koweit, l’Arabie Séoudite est pour nous ». S’en est suivi un échange de cables aigres-doux entre Roosevelt et Churchill, pendant tout le printemps 1944, qui relevait en fait d’un testament sur le rôle crucial du pétrole.
Pour rejoindre le Quincy, le séoudien s’embarqua à Djeddah sur le USS Murphy, avec une suite de 48 personnes, et à la demande de l’équipage, les 100 moutons vivants prévus furent ramenés à 7 ! Le roi refusa la cabine du pacha et une tente bédouine fut installée sur le pont arrière. Ce n’était que la seconde fois qu’Ibn Séoud sortait de son royaume depuis sa naissance.
Arrivé sur le Quincy, un total de 5 heures d’entretiens furent conduits, les deux parties mettant au menu :
* Pour les américains, accroissement de l’émigration vers le foyer juif, le pétrole, la nouvelle configuration des zones d’influence au Moyen Orient;
* Pour le Séoudien faire contrepoids à l’omniprésence britannique dans la région, sous le parapluie de Washington.
Les témoins rapportent que Roosevelt ne se doutait pas du personnage qu’il allait rencontrer. En particulier un arabe violemment antisioniste qui ne voulait rien entendre sur le premier point. Répliquant que puisque la guerre était finie en Europe, le foyer national juif pouvait très bien être en Allemagne … Ajoutant aussi que si les millions de dollars donnés par les Britanniques et les Américains aux Juifs de Palestine avaient été donnés aux Palestiniens, ils auraient été tout autant industrieux. Roosevelt surpris par cette raideur revint plusieurs fois à la charge, surtout parce qu’il s’était déjà publiquement engagé, ce que Ibn Séoud savait. D’autant plus inflexible qu’il affirma représenter le monde arabe.
Les autres points ne présentèrent aucune difficulté, et ainsi fut conclu le pacte Quincy pour 60 ans. Donc jusqu’en 2005. Ce que beaucoup d’historiens ont qualifié d’alliance contre nature.
Roosevelt meurt deux mois après le 12 Avril 1945. (à suivre…)
VERDU sur Éloquence : Tanguy à la tribune,…
“Il est bon !!”