(Comme tous les textes publiés dans cette catégorie, celui-ci, aussitôt paru, est incorporé à notre album Maîtres et témoins…(II) : Jacques Bainville. – 135 photos)
Dans le Bloc national lui-même qu’il a pourtant créé, M. Mandel n’est pas considéré sans réserve et sans défiance. La rigueur de sa logique veut qu’il poursuive la victoire du 16 novembre par des opérations politiques. Ce n’est certes pas nous qui blâmerons sa clairvoyance. Mais c’est de quoi, stupidement, la Chambre a horreur. M. Mandel sait aussi qu’une politique déterminée ne peut se faire qu’avec un personnel déterminé. Il attaque donc violemment non seulement des idées, mais des hommes, et il rappelle constamment, à l’appui de ses attaques, des souvenirs que certains préféreraient avoir oubliés. Sa mémoire est infaillible. C’est ce dont ses alliés et ses obligés naturels lui savent le moins de gré.
M. Mandel a donc été poursuivi, au Parlement, par beaucoup de ses ennemis d’hier. Lorsqu’il voulut devenir député, les sots s’étonnèrent. D’habitude, un chef de cabinet se fait nommer percepteur ou référendaire à la Cour des comptes. M. Mandel s’obstina à être député, et le fut. On pensa dès lors qu’il serait une sorte d’officieux entre le Parlement et M. Clemenceau qui semblait promis aux plus hautes destinées officielles. Lorsque M. Clemenceau disparut du pouvoir, les mêmes qui n’avaient pas compris que M. Mandel voulût être député, pensèrent qu’il n’avait plus qu’à disparaître. Ils se trompaient.
Sans doute, la politique intérieure de M. Clemenceau, la lutte contre le défaitisme qu’il fallait abattre à tout prix, tout cela, M. Mandel l’avait secondé avec un dévouement absolu. Il n’avait connu ni répit ni défaillance. Fort de l’autorité déléguée à sa valeur, il avait imposé rudement, dans son domaine, l’unité d’action à des ministres, qui d’ailleurs ne le lui pardonnèrent pas. On peut croire que, lui non plus, n’a pas oublié ces différends. Il stimula souvent l’énergie de l’excellent et pacifique M. Pams (ministre de l’Intérieur dans le gouvernement Clemenceau de novembre 1917 à janvier 1920, ndlr), et fut heureux de trouver en M. Ignace (sous-secrétaire d’Etat à la justice militaire dans le même gouvernement, ndlr) le même dévouement à l’oeuvre commune que M. Clemenceau avait trouvé en lui-même. Mais l’oeuvre propre de M. Mandel fut de préparer avec une intelligence clairvoyante la politique intérieure d’après-guerre, d’imposer ses vues et de les faire triompher.
Ces vues on les connaît. Quand il déclare périmé « le mot d’ordre de Pons » (1), ce n’est pas une boutade de tribune : c’est l’expression de sa peNsée, mûrie et développée depuis des années. Il a voulu, d’une part l’accord de tous les Français patriotes contre le bolchevisme, agent de l’Allemagne et signalé que le péril était à gauche. Il a voulu, d’autre part, la fin des divisions d’avant-guerre, des tyrannies locales, des rivalités de personnes, et surtout des guerres religieuses. Les élections de 1919 ont été son oeuvre. Peut-être les vainqueurs ne s’en souviennent-ils pas toujours; les vaincus ne l’oublient pas : la furieuse rancune des socialistes et des radicaux blocards ne se trompe pas d’adresse.
C’est tout simplement la continuité de cette oeuvre que M. Mandel veut assurer. Il a démontré nettement qu’il existait en dehors de M. Clemenceau, et, sans rien renier de sa fidélité, il a fait voir que sa volonté, son intelligence et sa mémoire servaient des idées personnelles. Ceci, personne ne l’ignore plus, amis ni ennemis. Mais, ne l’ignorant pas, le laisseront-ils poursuivre et continuer à s’affirmer ?
On pouvait en douter au début de sa législature. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. M. Mandel a livré sa première bataille par un discours sur le Vatican, et triomphé d’une hostilité presque unanime : c’était le jour que ses ennemis avaient choisi pour en finir et le noyer à jamais. C’est le jour où il triompha, à force d’énergie et de talent. Jamais plus pathétique exemple d’un lent, difficile et progressif succès ne fut donné à une Assemblée. Ses ennemis les plus farouches, qui employèrent tour à tour les armes les plus violentes et les plus perfides, reconnaissent son « cran » et déclaraient qu’il avait « conquis le droit de parler ». Ceux qui ne l’aimaient pas rendaient subitement hommage à son effort, et applaudissaient d’autant plus dans les coulisses qu’ils avaient douté plus longtemps en séance. Les hommes qui aimaient la force étaient définitivement ralliés, et les obligés d’hier consentaient à se ressouvenir. Le courage personnel de M. Mandel, l’énergie avec laquelle, mal servi par un physique frêle, il tenait tête à l’orage, la lutte difficile dont il sortait vainqueur, tout cela déterminait une involontaire admiration.
Mais ce n’est pas assez d’avoir triomphé des ennemis du dehors. M. Mandel en a d’autres, en lui-même. Son défaut n’est pas de faire de la politique. Ce n’est pas d’attaquer durement les hommes et de leur rappeler leur passé. Son défaut est de porter des coups parfois inutiles, de tirer des combinaisons de trop loin quand les portes sont ouvertes et de s’attarder, sans profit pour son action, à des vengeances cruelles, savoureuses, mais personnelles. C’est aussi de méconnaître parfois certaines opportunités ou inopportunités. Mais pourquoi insister ? Il est sans exemple que les défauts ne se corrigent pas, chez qui a la volonté réfléchie et tenace de M. Mandel, en qui le Bloc national finira peut-être par reconnaître son ministre de l’Intérieur.
(1) : « Point de réforme salutaire / Si l’on consulte en réformant / Non pas le désir de mieux faire / Mais celui de faire autrement », Philippe Laurent Pons (1759-1844), révolutionnaire, conventionnel, régicide, membre du conseil des Cinq-Cents, rallié au coup d’état de Bonaparte…
Sur une biographie de Mandel par Sarkozy, il s’agit d’un plagiat ; voir lien vers la fondation copernic
http://www.fondation-copernic.org/spip.php?article230
Le plagiat d’un livre obscur, publié 25 ans plus tôt, aux éditions Pédone en 1969, écrit par Bertrand Favreau, à partir d’un mémoire soutenu à l’Institut d’Etudes Politiques de Bordeaux : Georges Mandel, un clémenciste en Gironde [3]. Malgré son sous-titre, cette biographie embrasse en effet la totalité de la carrière de Mandel …
En outre la présence d’un nègre fut immédiatement évoquée, Sarkozy étant parfaitement incapable de rédiger un livre d’une telle ampleur. Roger Karoutchi fut suspecté à l’époque. L’excellent Jean Bothorel nous dit dans son succulent « Chers imposteurs » que Sarkozy ne possède pas plus de 400 mots de vocabulaire environ … Ce qui est évident.
Sur Mandel lui-même, je ne sais pas pourquoi Jacques Bainville fut ébloui. Je sais mieux en revanche le contenu de son action politique à la veille de la seconde guerre. Et je partage absolument le résumé de @thulé dans le billet précédent. Nous allons fêter le centième anniversaire du déclenchement de la première guerre industrielle de l’humanité, holocauste européen dont nous ne nous sommes pas remis. Les courageux va-t-en guerre débordant d’entrain avec la peau des autres n’inspirent que du mépris. L’air du temps des quatre années de carnage n’autorisait pas de commentaires sinon la promesse que ce serait le der des der. Et ainsi la classification entre munichois et anti-munichois fut, vingt ans après, une appellation des résistants de la onzième heure. Ceux qui ont signé à Munich avaient devant les yeux les charges à la baïonnette, l’odeur des cadavres des copains au fond de la tranchée, les corps mis en charpie par l’artillerie, et tous les villages de France habités par leur lot d’estropiés, les gueules-cassées. Mandel n’avait pas vécu la tragédie en première ligne. Etre anti-munichois ne relevait donc que d’un pur exercice intellectuel. Idem pour Reynaud d’ailleurs. Un ouvrage universitaire récent (2009 ; Gouvernement et haut commandement au déclin de la IIIème République) rassemble en 200 pages les verbatim des treize séances des « Comité de guerre » du 7 Septembre 1939 au 25 Mai 1940 ; archives jamais consultées auparavant. On y découvre, outre l’inconsistance du gouvernement Reynaud, l’indécision chronique au cœur d’évènements dramatiques. L’armistice a été vu comme la solution la moins déshonorante, et Mandel Ministre des Colonies ne fut d’aucune aide sinon pour proposer des solutions irréalistes comme continuer la guerre. La débâcle n’était pas prise en compte …