Les Lundis.
Par Louis-Joseph Delanglade*.
M. Borrell, pourtant affublé du titre pompeux de haut représentant de l’Union [européenne] pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, s’en est revenu tout penaud de Moscou.
Humilié même par les propos de son interlocuteur russe, M. Lavrov, ministre des Affaires étrangères, qui lui a fait savoir explicitement que la Russie ne pouvait avoir confiance dans une Union européenne dépourvue et d’une défense et d’une diplomatie communes à ses vingt-sept membres.
Cynisme ou naïveté, M. Borrell déclare y être allé ce 5 février « pour vérifier si la Russie était disposée à inverser la tendance négative de nos relations ». Y fût-il allé pour proposer un changement dans l’attitude hostile de l’U.E. à l’égard de la Russie, il eût sans doute obtenu une réponse plus satisfaisante. Voilà en effet des années, en fait depuis l’implosion de l’U.R.S.S., que le camp occidental, c’est-à-dire pour l’essentiel les Etats-Unis et son satellite européen, traitent la Russie par le mépris et les sanctions. L’hostilité est flagrante dès le début, les Occidentaux profitant de la situation créée par la disparition de l’U.R.S.S. pour mener à bien, via l’Otan, un début d’encerclement plaçant les Russes sur la défensive et les incitant ainsi à des actions préventives en Ukraine et en Crimée.
Depuis, tout est bon pour stigmatiser la Russie, le dernier prétexte en date étant cette prétendue mais surtout bien ténébreuse « affaire Navalny » qui pourrait bien n’être en fin de compte qu’une provocation digne d’un épisode d’une nouvelle guerre froide. On conviendra qu’il est difficile de penser sérieusement que, si le F.S.B. [Photo] avait voulu assassiner Navalny, ce monsieur serait encore en vie. On conviendra aussi qu’on devrait s’interroger sur ses amitiés passées avec certains groupes néo-nazis ou sur ses « études » aux Etats-Unis dans le cadre du programme Yale World Fellows, programme dont l’objectif est de former d’actifs sympathisants de l’Amérique et de ses valeurs. Et c’est à cause de ce monsieur Navalny que M. Borrell, toujours lui, va proposer de nouvelles sanctions.
On concèdera que, de temps à autre, quelque velléité déviante se manifeste, notamment de la part de la France – par exemple, M. Macron recevant M. Poutine au fort de Brégançon en août 2019 pour lancer un « dialogue stratégique » avec Moscou. Mais poser « en même temps » au parangon de vertu avec comme référence les « valeurs » sociétales et démocratiques d’une Europe idéalisée n’est certainement pas la bonne méthode. D’autant qu’a contrario, la réalité est tout autre, plutôt décevante : cette « Europe des valeurs à laquelle nous croyons » (dixit M. Macron), ne cesse de se (re)nier dans ce qu’elle a de plus noble, c’est-à-dire la trame même de son histoire et de sa/ses culture(s). De cette dernière et authentique Europe, la Russie pourrait se sentir très proche mais ce qui n’est qu’un assemblage hétéroclite et impuissant, inféodé aux Etats-Unis, en proie à une islamisation rampante, distillant sans cesse une insupportable moraline, cette Union européenne n’a rien pour séduire.
Et pourtant, c’est cette même U.E. qui ne veut pas de la Russie comme partenaire, encore moins comme alliée, lui préférant manifestement la soumission dans l’Alliance atlantique. Qu’on ne s’étonne pas que Moscou considère alors que, les choses sérieuses se passant à Pékin et Washington, il n’y a rien à attendre, stratégiquement parlant, du côté de Bruxelles. M. Borrell peut bien déclarer que la Russie s’est « progressivement déconnectée de l’Europe », en fait l’U.E. récolte maintenant ce qu’elle a consciencieusement semé depuis des années.
Oui, l’Union européenne et la Russie s’éloignent l’une de l’autre. L’Union rejette une Russie qui pourrait vite être tentée par la Chine. Si cela advenait, si la Russie faisait ce choix géostratégique, motivé pour l’essentiel par nos seuls errements, ce serait une catastrophe pour l’Europe – la vraie, dont la Russie fait partie. ■
* Agrégé de Lettres Modernes.
Retrouvez les Lundis précédents de Louis-Joseph Delanglade.
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Analyse lucide d’une situation qui se crispe et ne présage rien de bon pour l’avenir des relations internationales.