En annonçant le 23 janvier dernier la tenue d’un référendum sur le maintien de son pays dans l’Union Européenne, M. David Cameron a peut-être signé l’arrêt de mort de ce que les européistes appellent « Europe ». Déjà l’eurosceptique Danemark s’interroge et, en France même, les réactions sont vives et partagées.
La Grande-Bretagne avait réussi, suite à la levée du veto français (prix à payer pour le ralliement centriste à M. Pompidou), à intégrer la C.E.E. en 1973. Elle le voulait pour des raisons commerciales (briser ce nouveau blocus continental que représentait pour elle la C.E.E.) et politiques (garder la main sur toute évolution postérieure de cette même C.E.E.). Pendant quarante ans, elle a toujours refusé ce qui lui semblait menacer son indépendance (comme l’espace Schengen et la monnaie unique). Aujourd’hui que l’« Europe » n’est décidément plus que ce qu’elle souhaitait qu’elle fût – un marché ouvert à tous les vents – et que ses intérêts commerciaux sont ailleurs (son commerce avec le reste du monde est supérieur à son commerce avec l’U.E.), elle envisage la sortie. Belle leçon de réalisme politique.
En fait, l’attitude de la Grande-Bretagne souligne cruellement la vacuité de l’« Europe ». Celle-ci n’est effectivement qu’un grand marché libre et sans protection aucune, avec comme corollaire une immigration massive, mal contrôlée et dévastatrice. Cette « Europe » amnésique et aboulique, cheval de Troie d’une mondialisation qui nous ruine et nous détruit, libéraux et sociaux-démocrates l’ont voulue ensemble. M. Montebourg a donc parfaitement raison de défendre (France 2, « Des paroles et des Actes », jeudi 24 janvier) le protectionnisme contre le libre-échangisme de M. Minc, exemples probants à l’appui (comme celui d’Apple, taxé par le Brésil, et même les Etats-Unis, et donc contraint de se relocaliser dans ces deux pays).
Croire encore au prétendu et salvateur modèle allemand serait, par ailleurs, se faire beaucoup d’illusions. L’Allemagne est elle aussi victime de la mondialisation et de l’impuissance de l’« Europe », même si elle donne l’impression d’une sorte de prospérité décalée. La vérité est que l’industrie allemande a exploité la Mitteleuropa, y délocalisant une grande partie de sa production industrielle, se contentant de rajouter une griffe finale garante de la « deutsche qualität », avec comme résultat une baisse des coûts sociaux lui permettant de réaliser 80% de ses excédents au détriment de…ses propres partenaires européens – mais pour combien de temps encore ?
On doit donc remercier M. Cameron. Son initiative pourrait être à l’origine d’une prise de conscience permettant de dépasser le clivage stérile nationalisme~européisme. Dans la perspective de ce débat d’idées, la seule certitude est que l’Europe que nous pourrions appeler de nos vœux n’aurait rien de commun avec celle qu’on nous a concoctée et imposée – et qui est un véritable fiasco.
La réaction des Britanniques ne me surprend pas. Elle se réfère à Lord PALMERSON: l’Angleterre n’a pas d’amis éternels,pas d’ennemis éternels, que des intérêts éternels.
Ellle a pompé tout ce qui lui servait, maintenant elle n’en veux plus de cette europe véritable brocante des Nations.
Votre analyse sur l’Allemagne est tout à fait juste. L’Allemagne a trouvé le moyen de « délocaliser » à sa porte. Lorsque le mur de fer est tombé, on a vu les entreprises allemandes se précipiter en Tchécoslovaquie, Pologne …
J’étais à cette époque (1995) à un foire à côté de Prague, et les allemands étaient partout. Ils ont pu avec cette méthode se payer la réunification.
Leur autre politique a été de maintenir un euro fort. Ils pouvaient le faire car ils avaient un bonus de coût de production. En faisant cela, il tuaient la Grèce et tous les pays qui avaient de grosses exportations, notamment avec les USA.
C’est une des raisons pour laquelle les entreprises françaises qui veulent garder une place internationale sont OBLIGEES de délocaliser.
L’Angleterre est et restera un sous marin des Etats Unis. Quand une société Américaine veut s’établir en Europe, elle commence par s’implanter en Angleterre, et parfois en Irlande.
L’habileté de David Cameron est indéniable.
Et prendre la mesure de ses conséquences est impératif.
http://voix.blog.tdg.ch/archive/2013/01/23/david-cameron-entre-ue-et-uk.html
L’ordre des Etats-nations, né en 1648 avec les traités de Westphalie, avait duré 150 ans ; celui du Congrès de Vienne, 100 ans ; celui des accords de Yalta, à peine plus de 40 ans. Durant les phases de civilisations plus ou moins autarciques de l’Antiquité et du Moyen Age : l’Europe y connut ses premières tentatives d’unification, à travers l’Empire romain, la papauté et l’Empire romain germanique. Puis, les nations européennes, d’abord divisées par les guerres de religion, se placent à partir de la Renaissance en position de concurrence pour la colonisation du monde et la domination de l’Europe : l’époque s’achève par la grande guerre civile de trente ans (1914-1945).
Cependant, la multipolarité du monde issue de la guerre n’est que virtuelle. Car une seule civilisation, celle des Etats-Unis d’Amérique, occupe aujourd’hui une position hégémonique dans les six grands domaines de la puissance : technologique, économique, financier, militaire, médiatique et culturel.
L’objectif des Américains est simple : retarder autant qu’il est possible l’unification de l’Europe. Malgré les apparences, leur adversaire principal n’est ni la Chine ni le monde musulman, mais bien l’Europe : que celle-ci se libère de sa tutelle en affirmant sa souveraineté et les Etats-Unis perdront le contrôle quasi-exclusif du monde.
L’Europe est aujourd’hui la première puissance commerciale et la deuxième puissance économique du monde. Son système éducatif et la qualité de ses populations lui permettent de produire des élites dans tous les domaines de la recherche fondamentale. Son patrimoine archéologique, historique, littéraire, musical, technologique et scientifique figure parmi les plus riches de la
planète. Mère de la philosophie, ses concepts, ses idées et ses représentations irriguent une tradition de pensée ininterrompue depuis près de trois mille ans.
L’Europe possède aujourd’hui tous les atouts nécessaires pour
détrôner l’hégémonie américaine et s’imposer sans complexe comme la première puissance du monde. Mais elle ne veut pas — pas encore — en assumer la responsabilité historique.
Mon cher Delanglade qu’elle Europe voudriez-nous? L’ »Europe des États », l’ »Europe des patries », l’ »Europe des nations », ou pas d’Europe?
Excellente analyse de Louis-Joseph Delanglade.
Ce que Thulé appelle « l’ordre des Etats-nations » ne naît qu’arbitrairement à une date ou d’un fait historique déterminés. Cet « ordre », malgré bien des ruptures et de profondes différences entre ses compôsants, se dégage, en fait, progressivement, en Europe, de l’impossibilité de constituer ou de reconstituer le grand ensemble européen ou impérial dont tout le monde post-romain, en Occident, n’a jamais cessé de réver. Et, au moins en partie, des luttes que ce grand rêve a engendrées.
Les traités de Westphalie, le Congrès de Vienne, qui organisent un équilibre européen relativement durable, sont conclus entre nations européennes, alors que, très différents, les traités de 1918 et suivants, comme les accords de Yalta, consacrent l’intrusion américaine dans les affaires de l’Europe. Et il est bien vrai qu’ « une seule civilisation, celle des Etats-Unis d’Amérique, occupe aujourd’hui une position hégémonique » dans le monde. Du moins pour l’instant, car de grands concurrents commencent à la contrebalancer.
Que l’objectif des Américains soit de contrecarrer tout effort d’unification de l’Europe me paraît évident et, somme toute, très naturel. Mais y parviendraient-ils si la volonté des peuples et des Etats, si leur désir d’unité étaient assez clairs, assez affirmés, assez puissants pour s’imposer ? S’ils ne trouvaient pas, au sein même des nations européennes (pas seulement la Grande-Bretagne, bien-sûr), les failles, les divisions, les « complicités », les oreilles attentives qui leur permettent d’agir ? Au lendemain même du traité de l’Elysée qui devait institutionnaliser la nouvelle coopération franco-allemande et son rôle conjointement fédérateur d’une Union Européenne en gestation, on sait que, non sans quelque raison, à l’époque de la menace soviétique, le Bundestag avait aussitôt voté un amendement pour le corriger, en affirmant la solidarité allemande avec l’alliance atlantique, comme élément premier de sa politique… Mutatis mutandis, le projet européen n’est probablement plus, aujourd’hui non plus, l’élément premier de la politique de l’Allemagne d’après la réunification.
L’Europe d’aujourd’hui n’est que virtuellement « la première puissance commerciale et la deuxième puissance économique du monde ». Tout simplement parce qu’elle ne s’est pas constituée en « puissance » du tout et que les chiffres à partir desquels on pourrait évaluer cette puissance non seulement ne s’additionnent pas mais, souvent, à l’inverse, se contrarient, ou, même, s’opposent …
Tout ce que dit, ensuite, Thulé sur l’Europe, sur « son système éducatif et la qualité de ses populations »; sur les « élites (qu’elle peut) produire dans tous les domaines de la recherche fondamentale; son patrimoine archéologique, historique, littéraire, musical, technologique et scientifique (qui) figure parmi les plus riches de la planète; sur l’Europe « mère de la philosophie »; sur le fait que « ses concepts, ses idées et ses représentations irriguent une tradition de pensée ininterrompue depuis près de trois mille ans », tout cela est archi-vrai mais ne confère à l’Europe, comme on le voit bien, ni unité ni puissance car l’une et l’autre ont besoin pour exister d’une souveraineté politique constituée et celle-ci n’existe pas. Tel est le fait.
L’Europe, en tant que telle ne peut donc pas vouloir ou ne pas vouloir « détrôner l’hégémonie américaine » ni « s’imposer sans complexe comme la première puissance du monde » tout simplement parce que, encore une fois, l’entité en question n’existe pas. Seules existent les nations qui pourraient la constituer mais qui, pour l’instant, ne l’ont pas voulu. Sans compter l’opposition de plus en plus nette des peuples.
Je ne sais pas quelle Europe voudrait Louis-Joseph Delanglade. « Pas d’Europe », à mon sens, serait une erreur. Mais ce qui me paraît certain, c’est que l’approche idéologique, utopique et technocratique qui a présidé à la « construction » européenne des cinquante dernières années a échoué. Une autre approche « réaliste » est-elle possible ? C’est toute la question, car le projet a aujourd’hui perdu beaucoup de ses anciens attraits.
Cher Anatole,
Une Europe confédérale à géométrie variable, solidaire,
relativement protectionniste et de coopération entre
Etat-nations souverains, serait peut-être
une solution, puisque l’Europe ne sera jamais un Etat et
encore moins une nation.
La technocratie actuelle est dans tous les cas, complètement
illégitime à dicter sa loi aux Etats et aux peuples européens,
sauf à nier l’existence de nations historiques et
fondamentalement souveraines, ou à admettre que les
abandons de souveraineté imposés par nos dirigeants sont
irréversibles en dépit de la volonté générale, ce qui
ressemble fort au néo-despotisme.
Dans un univers dominé par l’incertitude et les risques globaux, aucun pays ne peut espérer venir seul à bout des problèmes qui le concernent. Pour le dire autrement, les Etats nationaux – qu’ils soient forts ou faibles – ne sont plus les entités qui permettent de résoudre les problèmes nationaux. Dans ces conditions, la seule question qui se pose est de savoir si les Européens veulent ou non toujours jouer un rôle dans l’histoire ou s’ils sont d’ores et déjà résignés à devenir l’objet de l’histoire des autres.
La critique selon laquelle il ne saurait y avoir d’Europe politiquement unie puisqu’il n’y a pas de « peuple européen » ignore pareillement que le fait que la France a de (très) loin précédé l’existence d’un » peuple français », dont on ne constate guère la pleine réalité politique avant le XVIIIe siècle. L’absence d’un peuple européen, au sens strict (c’est-à-dire politique) de ce terme, n’est donc pas un obstacle à la construction de l’Europe, dont l’une des raisons d’être est précisément de former l’espace public dans lequel une citoyenneté européenne puisse éclore.
Baphomet avance l’argument de la taille des Etats pour
résoudre les « problèmes nationaux » que peuvent rencontrer
chacun des Etats-nations. Seul, un Etat ne pourrait le faire;
il lui faudrait nécessairement s’unir à d’autres, ou se fondre
dans je ne sais quoi, pour résoudre ses problèmes, plutôt
que d’échanger, de coopérer et d’assumer sa souveraineté.
Au terme de cette logique, seul un Etat mondial donc, avec
un gouvernement mondial, permettrait de résoudre tous les
problèmes de chaque Etat pris séparément.
C’est la négation pure et simple de la souveraineté tant
territoriale que politique des Etats et des peuples constitutifs
de ces Etats. Un grand tout utopique, où n’existeraient plus
que des individus, puisque toute structure intermédiaire aurait
disparu par définition, puisque incapable de résoudre seule,
ses propres problèmes.
Il s’agit d’un argument fallacieux. Prenons le Grand-Duché de
Luxembourg, il se porte très bien et n’a besoin de personne
pour résoudre ses problèmes. Ne parlons pas non plus de
Monaco. La taille d’un Etat n’a rien à voir avec sa capacité de
régler ses propres problèmes.
Par ailleurs, il est vrai que la France est essentiellement
l’oeuvre de nos Rois capétiens, mais dès Bouvines il y avait
déjà une volonté des communes à partager une communauté
de destin, tandis qu’ hormis peut-être la Bretagne, je ne vois
pas de nations historiques ayant été constitutives de la
France, mais plutôt des provinces dirigées par de grands
feudataires vassaux du Roi de France, à savoir donc
essentiellement des territoires plutôt que des peuples.
Il faut se défaire de cette vision étatiste et absolutiste qui a trop longtemps interdit de penser l’exercice de la démocratie dans un cadre autre que celui de l’État-nation, alors qu’elle a partout entraîné l’uniformisation, la suppression des enracinements concrets et des appartenances particulières, la centralisation et la
concentration des pouvoirs entre les mains d’une caste de gestionnaires et de techniciens.
L’État n’a de sens que pour autant qu’il crée les conditions du vouloir vivre-ensemble, en faisant participer à la vie publique tous les membres du corps politique tout en étant le « garant de l’ordre des autonomies ». Cela signifie que les petits États européens doivent se fédérer entre eux, et que les grands doivent se fédéraliser à l’intérieur de leurs frontières.
Il s’agit de retrouver les échelons intermédiaires supprimés par des siècles de jacobinisme, et de faire resurgir une vie locale fondée sur des valeurs partagées, aujourd’hui menacées par la montée de la rationalité anonyme, des valeurs marchandes et de la globalisation.
A Baphomet, pour tenter d’être rapide, je dirai que, dans le monde actuel, dominé, justement, par les deux très grands Etats que sont les Etats-Unis et la Chine, plus quelques autres de première grandeur (Russie, Allemagne Fédérale, Grande Bretagne …), on voit mal, aujourd’hui, où sont la ou les entités nouvelles « qui permettent de résoudre les problèmes nationaux ». De fait, il n’y en a pas. A moins que l’on entende par là que, parfois, certains Etats ou groupes d’Etats finissent par se résoudre à remettre à d’autres, plus grands ou plus ambitieux, la charge de leur destin, qui, alors, se réduit, en réalité, à celui de leur « protecteur ». S’agissant de l’Europe, unie ou non, c’est bien là le genre de protectorat que les Américains aimeraient beaucoup y exercer, naturellement à leur bénéfice. En bref, l’on ne peut pas confondre voeux pieux et réalité.
D’autre part, il est vrai qu’un Etat peut, en quelque sorte, et au moins en apparence, précéder l’existence d’une nation, ou d’un peuple. Il y faut, dans ce cas, une volonté politique préexistante : par exemple, celle d’une dynastie, ou celle d’un puissant Etat fédérateur. La construction d’un ensemble européen, politique, cohérent et puissant, deviendrait possible, dans un tel cas. Mais où voit-on, dans l’Europe d’aujourd’hui, l’existence d’un hegemon, fût-il une dynastie, une puissance fédératrice, voire une conjonction – plutôt « improbable » – de chefs d’Etat, assez politiques, assez clairvoyants, assez volontaires, et disposant d’assez de pouvoir et de durée, pour mener l’entreprise, conduire l’Europe vers une certaine unité ? Rien de tout cela n’est de l’ordre des réalités d’aujourd’hui. On peut le regretter; on ne peut s’y soustraire.
Je suis, par ailleurs, assez d’accord avec le commentaire de DC, sauf que l’on pourrait tout de même, à mon avis, tenter une Europe qui, au moins en son noyau dur, ne serait pas seulement « à géométrie variable ». Evidemment, ce ne devrait pas être sous l’autorité de « la technocratie actuelle » qui a tant contribué à discréditer le projet. Et il est vrai aussi, me semble-t-il, que sans une certaine parité de puissance entre la France et l’Allemagne, laquelle est, pour l’instant, rompue, le projet est rendu, de toutes façons, plus difficile encore que par le passé. Cette situation inquiète, paraît-il, nos amis d’outre-Rhin. Pour que la France redresse sa situation, du temps et de la volonté seraient nécessaires et, pour l’instant, l’un et l’autre semblent lui manquer. Quant à l’Allemagne, son franc égoïsme et les problèmes qu’elle voit poindre, pour elle, à l’horizon des vingt ou trente prochaines années, ne la mettent probablement pas en position de collaborer vraiment à la pérennité et à l’efficacité du couple franco-allemand. A cet égard, l’esprit du traité de l’Elysée paraît bien lointain, et cela ne favorise pas du tout la construction européenne. En fait, l’Europe s’éloigne, pour l’instant, de l’horizon des possibles. Ce n’est pas un bien, à maints égards. Seulement, c’est un fait.
Quant à l’extinction des Etats souhaitée in fine par Baphomet, en l’absence des groupes et petites communautés organiques qu’il leur préfère (en partie à juste titre, mais en partie seulement), je pense quant à moi qu’elle ne ferait qu’accentuer et faciliter l’emprise des forces mondialistes sur des sociétés de plus en plus déconstruites, atomisées et sans défense. Contrairement au but recherché, il n’en résulterait, à mon avis, qu’une indifférenciation accrue de notre pauvre monde.
Pour répondre à Anatole dont l’argumentation sur l’Europe est limpide, il va de soi qu’une Europe confédérale peut très bien avoir un noyau dur pour une mise en commun de projets et de moyens de manière essentiellement politique et non technocratique.
Concernant la formule de Baphomet » penser l’exercice de la démocratie dans un cadre autre que celui de l’État-nation « , cela revient précisément à terme, à détruire cette forme d’entité historique, pour constituer un nouvel Etat et une nouvelle nation. Pour ce qui concerne l’Europe, seule une forme confédérale peut être envisageable, mais sûrement pas un Etat fédéral où les Etat-nations actuels ne seraient plus que des régions européennes dépossédées de leur souveraineté et du pouvoir de légiférer. Ce serait la disparition de la France en tant qu’ Etat-nation historique, c’est inacceptable.
Voilà que la note – excellente – établie par Louis-Joseph Delanglade, a déjà produit, en l’espace de la semaine écoulée, 12 commentaires, aussi très « politiques » et tous intéressants (13 avec celui-ci).
Ainsi, il y a des blogs où les commentaires ne sont pas possibles; d’autres où ils sont nombreux mais généralement farfelus ou sans intérêt; d’autres, encore, où ils sont très « filtrés » et ne passent que s’ils sont « conformes » à l’orientation du blogmestre, si vous êtes son copain; d’autres, enfin, où ils sont possibles mais où il n’y en presque pas, ou même pas du tout, preuve que ces blogs n’ont pas de lecteurs, ou « presque pas », ou qu’ils sont sans vitalité (lecteurs et blogs ensemble) …
Ici, c’est autre chose. Et c’est, entre autres, ce qui rend LFAR attrayant.
J’ai déjà dit dans un précédent commentaire que les Etats-nations deviennent de plus en plus incapables de faire face aux problèmes actuels, parce qu’ils sont désormais trop grands pour résoudre les difficultés quotidiennes et trop petits pour contrôler à eux seuls les situations globales (déploiement mondial des puissances économiques et financières, commercialisation planétaire des nouvelles technologies, trafics transnationaux, etc.).
A l’intérieur de chaque pays, la distinction entre l’intérieur et l’extérieur ne correspond plus à rien. Naguère, par exemple, la police se chargeait du maintien de l’ordre intérieur, tandis que l’armée se chargeait des interventions extérieures. Il est significatif qu’aujourd’hui la police ait de plus en plus fréquemment recours à des moyens militaires, tandis que l’armée se livre à des « opérations de police internationales ». La globalisation signe ainsi l’avènement d’un monde sans extérieur.
Cela montre la nécessité d’une réorganisation des peuples et des nations à l’échelle des grands ensembles de civilisation et des continents. C’est en effet seulement à cette échelle qu’on peut espérer retrouver les possibilités de contrôle que les Etats isolés ont de toute évidence perdues. Et c’est ici que l’on retrouve la nécessité de la construction d’un « bloc » européen.
Baphomet répète invariablement » que les Etats-nations deviennent de plus en plus incapables de faire face aux problèmes actuels » mais en quoi un « bloc européen » fait-il mieux ?
Ou était ce « bloc européen » en Lybie ?
Ou est ce « bloc européen » au Mali ?
Je cherche l’europe de la défense et ne trouve en Allemagne qu’un industriel de défense damant le pion aux commerciaux français sur la vente des sous-marins à l’international et bien frileux dans la construction d’une Joint Venture franco-germanique pour devenir le leader des torpilles.
Restons pragmatiques. Chaque nation défend ses intérêts et penser autre chose n’est que poésie.
cdlt
Les réticences de Lallement vis-à-vis de l’Europe s’alimentent des incontestables défauts de la construction européenne. On ne peut qu’être frappé à cet égard du total décalage existant entre une Union européenne particulièrement avancée sur le plan commercial et financier et quasiment inexistante dans les domaines militaire, politique.
L’Europe ne dispose aujourd’hui d’aucun exécutif digne de ce nom. Elle est créatrice d’obligations par le biais du droit communautaire, mais semble incapable d’en donner la justification. Le discours sur
la subsidiarité est contredit par la mise en place d’une bureaucratie qui se veut omnicompétente. Faute d’une instance constituante, rompant avec la méthode opaque des conférences intergouvernementales, l’Europe devient productrice de flou. Ne comprenant plus rien à l’enchevêtrement des compétences et des pouvoirs, inquiets devant des « abandons de souveraineté » qu’ils ne voient pas compensés par l’émergence d’une souveraineté européenne, menacés dans leur vie quotidienne par un double déficit démocratique et social, ayant le sentiment que l’Europe se
résume aux banquiers de Francfort, aux technocrates de Bruxelles et aux juges de La Haye, beaucoup de citoyens tendent à regarder l’Europe comme un problème plus que comme une solution.
La solution pour sortir du blocage pourrait bien consister à faire un pas en arrière afin de pouvoir en faire ensuite deux en avant. Henri de Grossouvre avait déjà formulé il y a quelques années un projet d’axe Paris-Berlin-Moscou, perspective stimulante mais qui n’a pu se concrétiser jusqu’à présent, notamment en raison de l’arrivée au pouvoir d’Angela Merkel en Allemagne et de Nicolas Sarkozy en France.
La ligne de partage des partisans et des adversaires de l’Europe-puissance traverse tous les clivages politiques habituels et il ne peut y avoir d’avant-garde opérationnelle sans la France et l’Allemagne, pays qui, représentant à eux seuls 142 millions d’habitants et 41 % du budget de l’Union, constituent le « coeur carolingien » de l’Europe danubienne.
Il ne s’agirait donc pas de chercher à remplacer l’Union européenne, mais de créer à la fois en son sein, mais séparément d’elle, une structure d’approfondissement destinée à ceux qui veulent aller plus loin, étant entendu que cette structure, centrée au départ autour de l’espace rhénan, pourrait s’étendre ensuite à tous les autres pays qui accepteraient d’en partager les règles.
Il faut bien reconnaître qu’on en est encore loin. Au moins est-ce
là une piste à suivre.
J’ai encore quelques difficultés a comprendre la préconisation de Baphomet pour sortir l’Europe de son » blocage ».
Propose-t-il suivant son expression « coeur carolingien », un nouveau principe d’ordre ? Lequel exactement ?
Ce principe serait basé sur quelle idée ? quelle passion ? quelle énergie ? Ce projet annoncerait quelle action commune nouvelle ?
Ce sont les questions que Pierre Manent pose dans le dernier numéro de la Nouvelle Revue d’Histoire de févier 2013 (aux thèses très européistes) en ajoutant
« En l’absence de tout agent de renouvellement nous devons faire avec ce que nous avons, et que j’appelle les vieilles nations. Elles sont très affaiblies, mais c’est tout ce que nous avons. Et après tout, nous ne pouvons pas savoir de quoi elles sont encore capables, quelles ressources elles recellent encore , tant que les européens n’ont pas pris conscience de leur situation réelle. A savoir qu’ils n’ont d’autres ressources pour continuer d’etre ce qu’ils sont dans le monde, ils n’ont d’autre choix que de réinvestir les vieilles nations et d’y puiser ces éléments de sens et ces principes d’énergie que ne nous fournira jamais l’humanité mondialiste ».
Belle réflexion d’un européiste touché par le réalisme.
cdl
Voici ce que j’ai à dire, pour conclure ma participation à cette intéressante discussion, en essayant de pas l’alourdir de trop de redites.
Il faut être attentifs à la sémantique. Nommer des concepts, donner un nom à des abstractions, est un exercice, en fait, assez facile. Mais ce sont d’abord des réalités, des « choses » que nous devons désigner par un mot : le substantif ainsi créé devient alors, en quelque sorte, pour chacune d’elles, leur nom propre. On sait que pour les deux textes de la Genèse c’est ainsi que se parachève la création. Nommer est, en ce sens, intégré à l’œuvre même de la création. Et cette tâche est celle de l’homme. Encore faut-il nommer correctement et veiller, en cette matière, aussi, à l’ « adaequatio rei et intellectus ».
J’applique cette considération générale, mais « fondatrice », à l’utilisation du mot composé « Etat-nation », souvent employé comme l’on agite une baguette magique et très indistinctement, sans se demander si l’on a affaire au même : à des réalités comparables.
Quels sont les grands « Etats-nations » européens : la France, l’Allemagne, la Grande-Bretagne, l’Espagne, l’Italie, la Russie … ? Croit-on que « Etat-nation » puisse s’appliquer également à ces grandes réalités politiques si différentes chargées de leurs histoires respectives ? L’Allemagne, unifiée par la Prusse il y a moins de 150 ans, avec ses puissants länder, sous lesquels subsiste la forte empreinte des anciens Etats ? La Grande-Bretagne avec ses Ecossais, ses Gallois, ses Anglais, ses Irlandais ? L’Espagne et ses autonomies, reflets de la vieille tradition forale, sans compter avec les séparatismes qui ont, de tout temps menacé son unité ? L’Italie – création récente, aussi – où l’Etat est faible, et les régions fortes, voire, comme en Espagne, antagonistes ? La Russie avec ses nationalités et qui rêve de récupérer celles qui s’en sont émancipées ? Si l’on considère de plus petits pays, doit-on considérer que la Belgique est un Etat-nation ?
En fait, de quoi parle-t-on ? L’expression me semble être avant tout franco-française : à qui s’applique-t-elle à juste titre – d’ailleurs quasi exclusivement – si ce n’est à la France elle-même ? Nation unifiée et, même, centralisée, par la Monarchie, l’équilibre entre puissance de l’Etat et vitalité des provinces s’y est à peu près maintenu jusqu’à la Révolution, et sans-doute même au-delà. Comme les rois d’Espagne, le roi de France disait « mes peuples » et ce jusqu’à la Révolution. Mais l’Etat fort, hérité de l’Ancien Régime, joint à la puissance de l’idéologie révolutionnaire jacobine, a réussi à niveler, uniformiser et même atomiser le pays tout entier en l’espace des deux derniers siècles : la France, me semble-t-il, est donc bien le seul pays européen qui puisse être légitimement qualifié d’Etat-nation. Telle est, évidemment, à la fois sa force et sa faiblesse, le nivellement jacobin ne pouvant en aucun cas tenu pour un enrichissement, tout au contraire.
A quoi sert d’amalgamer ainsi, sous le vocable d’Etat-nation, des réalités politiques en réalité si différentes et qui, pour la plupart, ne correspondent pas à cette appellation ? A constater leur universel affaiblissement, présenté – évidemment à tort – comme une radicale et irréversible novation du monde moderne, pour conclure à leur obsolescence et, donc, à une nécessaire réorganisation des peuples en « blocs », continents, et – pourquoi pas ? – en un tout planétaire. Qui mènerait ladite « réorganisation » bien improbable ? L’ONU ? Qui d’autre ? L’histoire ne le dit pas. C’est ainsi qu’après avoir exagérément simplifié l’Histoire du monde, de l’Antiquité jusqu’à nous, (les sociétés antiques n’étaient nullement « autarciques », pas plus que notre Moyen-âge, ou que l’Ancien Régime : les échanges transnationaux y étaient monnaie courante), l’on construit une nouvelle utopie qui, à mon sens, ne peut induire aucune politique effective ni modifier vraiment le cours des choses réelles.
Paradoxe d’une opposition à l’indifférenciation du monde qui, en même temps, parie sur la déconstruction définitive des nations et des Etats ? Je trouve tout cela irréaliste et incohérent. Les « savants équilibres » – toujours fragiles – qui fondent – pour un temps toujours limité – l’harmonie des sociétés humaines ne sont pas à rechercher dans ce genre de raisonnement.
L’Etat-Nation, mon cher Anatole, c’est une idéologie qui vise à faire concorder de façon rigoureuse, à rendre homothétiques sur un même territoire, l’unité politique et l’unité culturelle ou linguistique, grâce à l’action d’un pouvoir central détenteur d’une souveraineté exclusive, support visible de l’intérêt de tous et représentant unique de la totalité des citoyens. Cette volonté d’unité conduit à poser l’Etat et la nation, la citoyenneté et la nationalité, comme synonymes.
En 1789, la Révolution constitue la nation politique en abolissant les ordres de l’Ancien Régime, mais elle conserve, en l’aggravant, la même tendance au centralisme, la même conception de la souveraineté. Elle transfère seulement à la nation les prérogatives du prince et l’unité indivisible qu’on attribuait au temps de la monarchie absolue à la personne du roi. L’obsession de l’unité est chez elle plus forte que jamais. « L’unité est notre maxime fondamentale, l’unité est notre défense antifédéraliste, l’unité est notre salut », ne cesseront de répéter Saint-Just et Robespierre.
La République s’est donc dès le départ refusé à tolérer en son sein des « éléments hétérogènes », la fiction selon laquelle la volonté de chacun s’exprime dans celle de l’Etat permettant de discréditer les communautés naturelles aussi bien que les associations. La Déclaration de 1789 stipule ainsi que « nul corps » ne peut exercer d’autorité qui n’émane pas expressément de la « nation ». Le 14 février 1791, la loi Le Chapelier dissout les corporations et toute forme d’association professionnelle ouvrière : » Il ne doit pas être permis aux citoyens de certaines professions de s’assembler pour leurs prétendus intérêts communs. Il n’y a plus de corporations dans l’Etat, il n’y a plus que l’intérêt particulier de chaque individu et l’intérêt général ».