Par Pierre Debray.*
Cette nouvelle étude reprise de Je Suis Français (1983) est une suite publiée ici au fil des jours de la semaine sauf le week-end. Une fois opérés les correctifs contextuels substantiels qui découlent du changement d’époque, et discerné ce qui est devenu – fût-ce provisoirement – obsolète, elle constitue une contribution utile à la réflexion historique, économique, sociale politique et stratégique de l’école d’Action Française.
II – ALLEGEONS LE BUDGET SOCIAL (Suite).
L’on ne rendra transparent le budget social qu’en distinguant solidarité et assurances. Les allocations familiales relèvent de la seule solidarité. Les accidents du travail des seules assurances, l’entreprise les prenant en charge.
Tout le reste se divise. Il est normal d’obliger les citoyens à s’assurer contre la longue maladie, ou même le chômage, ou à cotiser à une caisse de retraite dans des conditions qui leur évitent d’être à la charge de la collectivité, un jour ou l’autre. L’assurance auto n’est-elle pas obligatoire ? Il reste que les ménages à faible revenu ou les personnes dont l’âge augmente les risques doivent être aidés. La solidarité nationale prendra en compte une partie plus ou moins importante des primes.
L’essentiel c’est de laisser chacun libre de choisir son type d’assurance. Qu’il puisse. contre un allègement de sa prime renoncer au remboursement du « petit risque » ou qu’il lui soit permis de programmer la durée de sa vie active, en optant pour la retraite à 60 ou à 65 ans, et, pourquoi pas ? 50 ou 70 ans, avec le droit de changer d’option contre l’effort financier correspondant. Chacun doit disposer de ses revenus comme il l’entend, dans les limites fixées par le bien commun.
L’impôt financerait tout ce qui relève de la solidarité. Ce qui permettrait de moduler les charges des entreprises sans recourir à des artifices et fournirait aux compagnies d’assurance et aux mutuelles les moyens d’investir. La réforme du système de financement permettrait sans doute d’unifier les régimes et de faire des économies de gestion — la sécurité sociale devenant l’organisme distributeur de la solidarité nationale et pouvant Jouer le rôle d’une compagnie d’assurance en compétition avec les autres. Cela réduirait le déficit actuel mais ne réduirait pas la progression dangereuse des dépenses de santé.
La disparition de l’assistance publique y contribuerait. Les hôpitaux généraux sont des anachronismes. Ils datent de l’époque où les indigents n’étaient soignés que grâce aux fondations religieuses, expropriées par la Révolution. Le problème des C.H.U., plus complexe, au plan du financement. n’est guère différent au plan de la gestion. Actuellement les hôpitaux ont intérêt à remplir les lits, principe aberrant qui incite au .gaspillage. Les soins à domicile sont moins coûteux. Il convient d’en encourager le développement et, par une étude rigoureuse des besoins, de supprimer les lits inutiles. Que de politiciens locaux ont obtenu la d’établissements hospitaliers qui servent leur prestige mais qui étaient trop lourds. La répartition d’équipements coûteux devrait être revue pour éviter leur sous-emploi. Il faudrait favoriser la communication de l’information. Trop souvent, parce que les dossiers ne sont pas transmis, le malade qui passe d’un hôpital à l’autre est obligé de recommencer des examens onéreux et, parfois, pénibles. Chaque Français devrait, sous la protection de son code de sécurité sociale, disposer d’un carnet de santé, informatisé et stocké par une banque de données à laquelle seuls les médecins auraient accès.
Ces mesures, prises à l’échelon national, ne suffiront pas. L’Eut impose certaines règles mais il ne faut pas qu’il intervienne dans le domaine de la gestion. Ce qui suppose l’autonomie des établissements hospitaliers qui fonctionneront sous la responsabilité d’une conseil d’administration composé d’élus locaux et de représentants du corps médical. En cas de déficit le conseil sera conduit à réduire les dépenses et à demander des subventions aux municipalités, cc qui se traduira par une augmentation des impôts locaux. En aucun cas. l’Etat ne fournira de crédits pour boucher les trous ou pour entreprendre des travaux. Il est évident que les élus locaux seront conduits à beaucoup plus de vigilance et de prudence ; mais après tout, c’est à chaque ville. à chaque département, dans le cadre de leurs ressources de déterminer leurs priorités, même si, entre l’hôpital, la culture et le sport les choix sont parfois douloureux.
Vers l’horreur institutionnalisée ?
Reste le problème de la société. Nous assistons, comme l’avait prophétisé Jules Romains au triomphe de la médecine. Nos contemporains n’acceptent plus d’être mortels. Leur corps devient leur unique souci. Le matérialisme pratique (on n’a qu’une vie), les espoirs excessifs nés du prodigieux essor des sciences biologiques, l’idéologie sécuritaire, qui n’admet pas le risque et transforme le médecin en gibier de justice, contribuent à la surconsommation des médicaments, à la multiplication des analyses de laboratoire ou des radios, à l’acharnement thérapeutique et à la recherche de l’exploit qui donnera à un patron la notoriété. Ce qui conduira immanquablement, du fait de l’impitoyable logique des coûts, à l’euthanasie et à l’eugénisme. Il est déjà absurde de provoquer trois cent mille avortements par an et de réaliser, à grands frais, l’insémination artificielle de quelques femmes. Le nombre des enfants diminuant, celui des vieillards augmentant, il faudra bien se résoudre à se débarrasser par une piqûre. des démences séniles, des handicapés profonds et des victimes d’accidents de la route quand les frais d’opération dépasseront un petit peu trop ce qu’ils rapporteraient en tant que producteurs à la société. Puis l’on éliminera tous les improductifs, fous incurables, vieillards trop atteints et handicapés moteurs incapables de travailler. Notre société débouche sur l’horreur institutionnalisée dont Hitler fut le précurseur. Le jour où l’avortement fut libéralisé, nous nous sommes engagés sur une voie qui conduit nécessairement au désastre moral. Quelles règles éthiques protégeront des tentations offertes par les manipulations génétiques une médecine qui perd le respect de la vie et de ses rythmes pour se transformer en « technique de pointe » ?
Il est temps d’inverser l’évolution en faisant porter l’effort sur la prévention et le dépistage précoce. Que de maladies incurables pourraient, si elles étaient détectées à temps, être soignées avec des chances sérieuses de guérison ! Que d’opérations coûteuses et parfois mutilantes, seraient évitées !
La France n’a sans doute pas trop de médecins. Elle n’en a pas assez de bons. Si difficile que ce soit, en raison d’une urbanisation anarchique et de la mobilité sociale, il convient de rendre sa juste place au médecin de famille, seul capable d’orienter ses patients vers les spécialistes et. plutôt que de se contenter d’examens hâtifs, anarchiques et trop souvent bureaucratiques de médecins des écoles, du travail et de la sécurité sociale dont la compétence et la , bonne volonté ne sont pas, d’ordinaire, contestables, procéder à des examens méthodiques, en milieu hospitalier, selon une périodicité déterminée par l’âge, l’emploi et la condition générale. L’informatisation des résultats, la liaison entre la banque de données et les cabinets médicaux des généralistes nécessiteraient, dans un premier temps, des investissements importants, encore que leurs conséquences sur le développement de notre informatique compenseraient, pour une bonne part, le prix de l’effort consenti. En tous cas, à terme, ils réduiraient le nombre et surtout la gravité des « interventions lourdes » les plus onéreuses, celles qui creusent le gouffre de la sécurité sociale.
Ne nous berçons pas d’illusions cependant. A terme, nous n’éviterons l’euthanasie systématique que si le nombre des naissances l’emporte sur celui des morts. Sinon, il n’y aura d’issue, quoi que nous fassions, que dans le recours à l’horreur. Il est vrai que sans doute l’Islam ou le communisme nous auront, dans ce cas, soumis à leur loi avant que nous n’en arrivions là. L’avenir d’un peuple, ce sont ses enfants. Une jeunesse nombreuse peut seule assurer le progrès technique et la prospérité de l’Occident. De ce point de vue, le Club de Rome a raison. La croissance zéro de la démographie est liée à la croissance zéro de l’économie.
Les technocrates, dont Giscard comme maintenant Mitterrand, ne sont que les agents, partent d’une idée simple, donc fausse. La technologie moderne exigera de moins en moins de travailleurs, donc réduisons le nombre d’enfants pour éviter d’en faire des chômeurs. Il n’est besoin, pour démonter l’absurdité du raisonnement que de constater que, dans le même temps, ces messieurs ouvraient nos frontières aux familles d’immigrés dont la fécondité masquait la chute de la natalité française. En d’autres termes, nous importions de futurs chômeurs. Mais nous touchons là à l’essentiel. Il va falloir s’en expliquer plus longuement. (À suivre, demain mercredi) ■
* Je Suis Français, 1983
Lire aussi notre introduction à cette série…
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