Par Pierre Debray.*
Cette nouvelle étude reprise de Je Suis Français (1983) est une suite publiée ici au fil des jours de la semaine sauf le week-end. Une fois opérés les correctifs contextuels substantiels qui découlent du changement d’époque, et discerné ce qui est devenu – fût-ce provisoirement – obsolète, elle constitue une contribution utile à la réflexion historique, économique, sociale politique et stratégique de l’école d’Action Française.
III. LES NOUVELLES « CLASSES DANGEREUSES »
Il convient, avant d’aborder le problème de l’immigration, de rappeler que, .de tradition romaine et catholique nous tenons le racisme pour une aberration fabriquée par le luthéranisme.
Il constitue l’une des conséquences obligées, parmi d’autres, aussi détestables, de la conception théologique d’une perversion radicale de la nature humaine par le péché d’origine. Les pauvres et les nègres sont des coupables, du seul fait que Dieu ne leur a pas procuré la richesse ou ne leur a pas permis de naître de la race des maîtres. Il. convient de les tenir en tutelle. L’enfermement des paysans, chassés de leurs terres, dans l’Angleterre puritaine où l’apartheid sud-africain constituent des mesures philanthropiques pour un luthérien demeuré fidèle aux Pères de la Réformation. Tout naturellement ces gens-là devaient porter Hitler au pouvoir. Ils l’ont fait.
Romains, nous sommes les fils de César, non de Vercingétorix. Nous devons le meilleur de nous-mêmes au colonisateur, qui nous a intégrés à un empire où se mêlaient les ethnies les plus disparates mais liées par une communauté de culture. Serions-nous devenus catholiques sans les marchands syriaques qui remontaient du Rhône au Rhin ? Les peuples latins charrient, dans leurs veines, tous les sangs. Nicolette, raimée du bel Aucassin, était une arabe. Maurras ne voyait à ces rencontres qu’avantages, à condition qu’ils s’inscrivent dans une communauté de culture. Nicolette était arabe sans-doute mais cela n’avait pas d’importance puisqu’elle était catholique. S’il n’y avait parmi les immigrés que des Espagnols, des Portugais. des Polonais ou des Arméniens, ils ne poseraient aucun problème. Et si en 1830, nous avions baptisé les arabes d’Algérie à la lance d’arrosage, dans la tradition de Clovis, ils n’en poseraient pas davantage. Mais voilà, Alger conquise, la Révolution triomphait à Paris.
A force de crier au loup, les intellectuels de gauche finiront bien par persuader les Français qu’ils sont racistes. En réalité, le phénomène de résurgence des « classes dangereuses », auquel nous assistons, est aggravé par l’idéologie sécuritaire. Paris au XVIIIe siècle, quand les bandes de cartouchiens détroussaient les passants qui commettaient l’erreur de sortir le soir, était moins sûr qu’aujourd’hui.
Le XIXe siècle tenait, à juste titre, les « mystères de Paris » pour le récit, assez fidèle, des mœurs d’une société souterraine, qui effrayait et fascinait. Notre siècle a prétendu protéger le citoyen contre tous les risques. Celui-ci entend que l’assistance policière l’assure contre les voleurs. Multiplierait-on par cent le nombre de policiers que l’on n’y parviendrait sans-doute pas et cette charge financière, s’ajoutant aux autres, rendrait impossible le fonctionnement de l’économie. Que l’on ne s’étonne pas que le citoyen prenne son fusil et tire au jugé sur tout ce qui bouge.
L’histoire des « classes dangereuses »
Des statistiques, qu’il n’y a aucune raison de récuser, nous apprennent qu’il n’y a jamais eu plus de monde dans les prisons. Si tant de juges sombrent dans le laxisme n’est-ce-pas, dans bien des cas, parce qu’ils ne savent plus que faire des délinquants, devenus si nombreux qu’il faudrait pour les punir convenablement couvrir le territoire de prisons ? Toujours, selon les statistiques, les immigrés ne représenteraient que 15 % des condamnés mais les Français commencent à penser que le nombre de ceux qu’on laisse courir est en proportion beaucoup plus considérable. Les immigrés s’identifient désormais, dans l’esprit public, aux « classes dangereuses ». Au siècle précédent, ce n’était pas l’Arabe mais le terrassier breton ou le ramoneur savoyard qui faisait peur.
Les « classes dangereuses » se composaient à l’époque de domestiques ou de paysans qui ne trouvaient plus à s’employer sur place du fait du lotissement des biens communaux, de la dispersion des maisons seigneuriales, puis de l’apparition d’objets manufacturés, qui ruinait une partie des artisans. Avec le chemin de fer, ce peuple de déracinés afflua vers les grandes villes, s’entassant dans des quartiers suburbains, d’ordinaire attiré par les grands chantiers qui s’ouvraient. Sans qualification, cette main d’œuvre ne pouvait s’employer que de façon précaire. Privée de ses cadres religieux et sociaux, rongée par l’alcoolisme, elle ne survivait, en temps de crise, que d’aumônes ou de menus chapardages. Ainsi se constituait un lumpen prolétariat, un prolétariat en guenilles, dont Marx parle avec mépris, car il était inutilisable par la Révolution. En majorité, les « classes dangereuses » étaient honnêtes. La plupart de leurs membres étaient disposés à accepter n’importe quelle tâche, si pénible soit-elle, qu’on leur proposait à la journée. Elles fournissaient, toujours selon Marx, « l’armée de réserve du travail », cette masse de main-d’œuvre disponible, qui donnait à l’appareil productif son élasticité puisqu’on y puisait, en cas de besoin, les manœuvres dont on se débarrassait au premier fléchissement de l’activité. Comment un tel milieu n’aurait-il pas engendré des délinquants. surtout parmi les jeunes. élevés dans la rue, habitués par l’exiguïté du logement à la promiscuité, tôt initiés à l’absinthe ? Il est remarquable que le grand débat entre les partisans de la répression et ceux de la prévention soit né à cette époque.
Aujourd’hui les « classes dangereuses » se recrutent parmi les immigrés mais, à ceci près que la drogue remplace l’absinthe, les similitudes paraissent frappantes. Des gamins qui ne se sentent plus algériens mais sans être devenus français, incapables de recevoir une formation professionnelle, et qui, cependant. ne voulant plus travailler comme leurs pères à la chaîne, deviennent des délinquants. Cependant leurs rangs tendent à se grossir des jeunes Français, sortis à seize ans de l’école, sans métier, analphabètes, parfois drogués. Ce n’est pas une affaire de race mais un échec de notre société. L’essor de l’industrie avait permis de résorber les anciennes classes dangereuses. Nous les avons reconstituées. Ce n’était pas une fatalité. Le surpeuplement ayant empêché le Japon de recourir à la main-d’œuvre immigrée — en dehors de Coréens, qui fournissent par tradition des domestiques — celui-ci a su conserver une classe ouvrière indigène et quand elle est devenue insuffisante, robotiser les tâches répétitives. (À suivre, demain jeudi) ■
* Je Suis Français, 1983
Lire aussi notre introduction à cette série…
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