Par Pierre Debray.*
Cette nouvelle étude reprise de Je Suis Français (1983) est une suite publiée ici au fil des jours de la semaine sauf le week-end. Elle s’achève aujourd’hui. Une fois opérés les correctifs contextuels substantiels qui découlent du changement d’époque, et discerné ce qui est devenu – fût-ce provisoirement – obsolète, elle constitue une contribution utile à la réflexion historique, économique, sociale politique et stratégique de l’école d’Action Française.
Chacun, s’il dispose des diplômes requis, sera libre d’ouvrir là et quand il le voudra, un établissement scolaire.
La seule condition sera celle de la compétence du personnel. Néanmoins, chaque commune sera obligée d’ouvrir une ou plusieurs écoles primaires, dont elle désignera le ou les directeurs.
Ceux-ci embaucheront librement leur personnel et pourront le licencier, après accord de la haute autorité ou de son antenne régionale qui conserverait le nom de rectorat. De même chaque arrondissement possédera au moins un C.E.G., chaque département au moins un lycée, chaque région au moins une université, que géreront les instances locales, conseil général ou conseil régional. Des établissements concurrents s’installeront, à ceci près que les pouvoirs publics ne prendront en charge que les locaux qu’ils gèrent.
L’enseignement sera rigoureusement laïc dans les établissements communaux, départementaux et régionaux. L’inspection générale y veillera. Par contre, les autres pourront être confessionnels, ou même marxistes, existentialistes, athées, peu importe, l’essentiel étant que les parents sachent où ils mettent leurs enfants et s’ils choisissent l’école laïque qu’ils soient assurés de sa stricte neutralité. Quant à l’enseignement technique, il relèvera des chambres de commerce mais les professions, les entreprises ou les particuliers resteront libres d’ouvrir des établissements.
Chaque famille recevra un chèque éducation pour ses enfants qu’elle remettra à l’école de son choix. Elle pourra ajouter une contribution personnelle si elle préfère des établissements ne relevant pas du secteur laïc, le seul où la gratuité soit totale, par principe. Il va de soi que les autorités de tutelle, si elles désirent attirer de meilleurs enseignants auront une certaine liberté financière et seront autorisées à voter des subventions, qu’elles attribueront à leur gré mais seulement dans les limites fixées par la loi.
En effet, les enseignants toucheront, en fonction de leurs diplômes, un salaire minimum. Par contre les meilleurs maîtres recevront un salaire double ou triple si un établissement tient à s’assurer leur service. Rien n’empêchera un département, s’il accepte l’effort financier, d’essayer d’avoir un lycée de haute réputation. L’émulation entre les divers types d’établissement et entre les enseignants se développera, comme c’était le cas dans l’ancienne France, quand Aix ou Montpellier (Photo) débauchaient les professeurs les plus réputés, de la façon la plus libre.
Au niveau des universités, il conviendrait que l’Etat gère un certain nombre de grandes écoles, de facultés scientifiques et de C.H.U. de très haut niveau, mais en règle générale les régions, les chambres de commerce, les professions seront responsables des établissements d’enseignement supérieur qui correspondront à leurs besoins. Les professeurs seront élus par leurs pairs, les autres chargés de cours, maîtres assistants et assistants seront désignés par un conseil d’administration dépendant de l’autorité de tutelle. Seule l’assemblée des professeurs aura pouvoir pour licencier l’un des siens. Un recours devant la haute autorité, qui tranchera, après enquête de l’inspection générale, restera possible contre toute décision soit d’embauche, soit de licenciement.
Les étudiants recevront eux aussi un chèque éducation pour les deux premières années. Ensuite il leur faudra payer leurs études à leur vrai prix. Certaines entreprises afin de s’assurer les services des meilleurs éléments prendront en charge les frais de scolarité, contre un contrat à durée limitée. Ceux qui ne bénéficieront pas de cette chance, emprunteront à une banque, qu’ils rembourseront dès qu’ils gagneront leur vie. Rien n’empêchera une collectivité locale ou une fondation d’accorder des bourses ou des prêts d’honneur à faible taux d’intérêt. L’essentiel, c’est que l’étudiant constate que les études coûtent cher. Il les prendra au sérieux s’il sait que redoubler le contraindrait à s’endetter pour des années. De toute façon, il est anormal que des gens, qui recevront des salaires parfois considérables, fassent leurs études aux frais des contribuables.
Naturellement, la carte scolaire sera abolie. Ecoles et Universités, gérées comme des entreprises, pourront disparaître pour cause de faillite, si elles ont un corps enseignant de médiocre qualité, une pédagogie inadaptée, une discipline relâchée. Assurément, les écoles communales, les lycées départementaux, les universités régionales échapperont à ce risque mais l’électeur interviendra pour sanctionner le conseil municipal, départemental ou régional alors qu’il n’a aucune prise sur le ministère de l’éducation nationale.
Seule la concurrence permettra d’améliorer notre système d’enseignement. Le S.N.I. le sait si bien que s’il veut détruire l’école catholique ce n’est pas par sectarisme laïcard, ou ce ne l’est que subsidiairement. Au demeurant, l’école catholique l’est si peu, dans trop de cas, que seul le désir de supprimer toute concurrence, donc d’instaurer le monopole des maîtres fainéants, explique la hargne des laïques.
Levons pour finir deux objections. La première relève de la justice sociale. Les familles pauvres, ne pouvant compléter le chèque scolaire, seront condamnées à mettre leurs enfants dans les écoles relevant des collectivités locales. Il est facile de répondre que rien n’empêche les collectivités locales de faire l’effort financier nécessaire afin de disposer d’écoles de haut niveau. Un système de bourses payé par l’Etat ou les professions sélectionnera les sujets les plus brillants, sortant de familles à faible revenu. L’autre objection émane des enseignants. Ils craignent des disparités de salaires et même pour certains le chômage. Les disparités de salaires se retrouvent chez les ingénieurs sortis de la même école. Elles ne choquent personne. Si les enseignants veulent être payés à leur juste prix, ils doivent accepter d’être traités de la même façon que les ingénieurs. Quant au chômage, les besoins non satisfaits sont si grands, qu’il n’est guère à craindre. On peut envisager, dans un premier stade, une garantie de salaire pour les enseignants, si nuls qu’ils se révéleront inutilisables dans un système concurrentiel. On pourra toujours les employer à des tâches administratives !
Une réforme indispensable à toute entreprise de redressement
Napoléon a aboli les libertés universitaires. Il est urgent de les rétablir. Le système que nous proposons est d’ailleurs à peu de choses près, celui qui existe dans les pays anglo-saxons. Nous ne sauverons l’économie française que si les entreprises disposent de la main d’œuvre dont elles ont besoin, pour développer les techniques de pointe. La France est désormais en retard, par rapport à la Corée du sud, à Taiwan ou à Singapour, en ce qui concerne la modernisation des structures industrielles et commerciales. Cela tient au manque de ressources financières des entreprises. Une réforme de l’impôt et des charges sociales y remédiera. Cela tient aussi à la pénurie de matière grise. Serait-on moins intelligent à Brest ou à Digne qu’à Singapour ?
Notre système scolaire nous conduit à la forme la plus pernicieuse de sous-développement, le sous-développement intellectuel. La nation sera sur la voie du redressement quand les journaux se rempliront d’annonces de collectivités locales ou professionnelles et d’entrepreneurs indépendants, offrant des emplois bien rémunérés à des enseignants hautement qualifiés !(Suite et FIN) ■
* Je Suis Français, 1983
Lire aussi notre introduction à cette série…
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