PAR MATHIEU BOCK-CÔTÉ.
Cette tribune est parue dans Le Figaro d’hier, samedi. Elle relate une réalité et pressent de sombres perspectives. Il faudra à ceux qui tenteront de s’y soustraire et d’y soustraire notre société, notre civilisation, à la fois du courage et une solide culture, une pensée politique, même, qui soit à la fois apte à connaître les ressorts profond du chaos en train de se développer et les conditions d’une renaissance, non pas à l’identique, mais fondée sur les principes immémoriaux de l’ordre et de la civilisation qui sont les nôtres. Vaste programme !
« La vie de l’esprit dans l’Ouest devra peut-être, demain, retenir les leçons de la vie intellectuelle telle qu’elle se vivait dans l’Est, hier. »
Si la querelle entourant l’université passionne autant des deux côtés de l’Atlantique, c’est qu’à travers elle se pose celle de l’avenir de la liberté intellectuelle en Occident. Que l’on parle en France de l’islamo-gauchisme ou en Amérique du Nord du «wokisme», c’est de la même tendance à l’idéologisation et à la falsification du savoir dont il est question.
L’institution qui, théoriquement, devrait se montrer la plus ouverte au pluralisme intellectuel s’y montre aujourd’hui hostile. Rien n’est moins ouvert à la vie de l’esprit aujourd’hui que l’université occidentale.
L’orthodoxie diversitaire domine non seulement les sciences sociales, mais progresse aussi dans les domaines les plus inattendus comme les mathématiques et la physique, qu’il faudrait aussi «décoloniser» pour les délivrer de l’empire de «la suprématie blanche». Tout le génie du jargon qui la caractérise consiste à faire passer pour scientifiques les pires élucubrations et à transformer en péquenauds ceux qui s’entêtent à ne pas s’y soumettre.
Thèmes de recherche
Il y a dans l’université des thèmes et des perspectives de recherche qui s’imposent de manière quasi obligatoire. Qui ne les embrasse pas est condamné aux marges et n’y fera probablement pas carrière. Jean-François Revel, dans un texte peu connu, Création et clandestinité, explorait les conditions de la vie intellectuelle en URSS: «Le crime idéologique) semble bien commencer au moment où un intellectuel s’intéresse à autre chose qu’aux thèmes de la propagande officielle. Les dirigeants paraissent se sentir menacés dès qu’un esprit se tourne vers autre chose que le maintien de ce qu’ils appellent la réalité soviétique.» De même, un jeune chercheur aujourd’hui qui n’embrasse pas les études de genre ou la théorie postcoloniale a bien peu de chance de se faire une place en sciences sociales. Et plus les années passeront, plus les derniers professeurs, héritiers de la grande tradition universitaire, disparaîtront. Les derniers espaces de liberté dans l’université s’effaceront.
C’est une certaine manière d’aborder le monde qu’il n’est déjà presque plus possible d’envisager dans les institutions de haut savoir. À l’université, on ne pense plus, on montre plutôt qu’on pense comme tout le monde, et pour cela, on emprunte certains mots codés qui seront tous perçus comme tout autant de signes de ralliement au régime. Même celui qui dévie de l’orthodoxie discrètement doit d’abord pratiquer devant ses totems une génuflexion, et souvent dénoncer rituellement les ennemis du régime avant de s’autoriser son petit moment de liberté intellectuelle personnel. Il peut s’agir du méchant populiste du moment, ou de l’intellectuel à mauvaise réputation dont il suffit de prononcer le nom pour donner à tous un frisson. C’est d’un ethnologue de grand talent dont on aurait besoin, aujourd’hui, pour comprendre les codes du milieu universitaire.
Échapper au contrôle idéologique permanent
Ce sont les conditions mêmes de la vie intellectuelles qui s’affaissent. Quoi qu’en disent ceux qui ne prennent pas au sérieux l’hypothèse d’un totalitarisme diversitaire, la vie de l’esprit, dans l’Ouest, devra peut-être, demain, retenir les leçons de la vie intellectuelle telle qu’elle se vivait dans l’Est, hier. On s’en souvient peut-être, mais dans les pays de l’Est, une partie de la vie intellectuelle, à l’heure de la dissidence, prenait la forme de séminaires clandestins – on parlait même d’universités clandestines. Ils avaient une vertu essentielle: dégager un espace de réflexion ne condamnant pas ceux qui y participaient à multiplier les acrobaties théoriques pour marquer discrètement un demi-désaccord avec le régime mais permettaient d’en examiner les fondements, de réfléchir à partir d’une autre base, sans être soumis au contrôle idéologique permanent. On y trouvait le bonheur de la pensée sans soumission au dogme. Il est bien possible que le travail de la pensée doive renouer avec de tels espaces, et qu’ils en viennent à ressaisir l’idéal aujourd’hui renié de l’université. Ils joueraient le rôle d’oasis intellectuelles.
Cette idéologisation de la pensée dépasse largement l’université. En Amérique du Nord, la multiplication des formations «antiracistes» dans tous les domaines de l’existence, qu’il s’agisse de l’entreprise, des syndicats ou de l’école, transforme la société en camp de rééducation permanent. Avec la multiplication des lois censées réprimer les «discours haineux», dont la définition ne cesse de s’étendre, le prix à payer pour marquer un désaccord avec le régime est de plus en plus souvent une forme de bannissement social et professionnel. Il existe, en notre temps, une telle chose qu’une persécution idéologique. Le quidam, croyant prononcer une phrase encore banale la veille, se découvre coupable au petit matin d’un propos scandaleux. Pour s’opposer à ce mouvement, dans la mesure où la chose sera encore possible, c’est probablement à l’Ouest que renaîtront un jour les samizdat. ■
Mathieu Bock-Côté
Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l’auteur d’Exercices politiques (éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois (éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Ses derniers livres : Le multiculturalisme comme religion politique, aux éditions du Cerf [2016] et le Le Nouveau Régime (Boréal, 2017).
Sélection photos © JSF
Bonjour ,Ce qui se passe dans le Universités est tout simplement effarant.Mais cela se déroule aujourd’hui dans tout
l’espace de la société Française ,et en particulier dans les entreprises, surtout celles qui appartiennent aux grands groupes ,mais pas seulement .Le modeste employé catégorie « petit travailleur » qui n’est rien dans une gare, doit subir tous les jours une propagande qui viens d’en « haut »,autant que celle de ces collègues surtout ceux issue de cette « merveilleuse » diversité dont on nous rabat les oreilles chaque jour! Autant dire que les insultes sont monnaies courantes envers ceux qui ne partage pas la doctrine révisionniste d’aujourd’hui .La comparaison avec le bloc Soviétique de hier et à peine exagérée sans le Goulag bien évidemment ,nos sociétés moderne n’en ont pas besoin ,la mort sociale envers le « dissident » suffit amplement .Que l’on songe à cet employé de librairie licencié il y a quelque années pour avoir mis le livre d’Alain SORAL dans la vitrine .
Au septième siècle et ensuite, ce furent les monastères qui relancèrent la vie intellectuelle après les grandes invasions; voir « how the irish saved civilisation ». Pourraient-ils jouer à nouveau un rôle aujourd’hui?