Professeur à l’université de Paris-II, Jean-Louis Harouel (1) tire à boulets rouges sur l’art contemporain. Dans sa ligne de mire, l’exposition Jan Fabre au Louvre.
Voici l’intégralité du très bel article qu’il a publié dans Le Figaro du 16 Avril. Où l’on voit qu’avec panache et finesse il rejoint Finkielkraut sur un point majeur et tout à fait essentiel: Alain Finkielkraut, qui a souvent insisté sur le fait que nous étions la première société dont les élites étaient sans Culture, ne se soulève-t-il pas contre la vulgarité et la dé-civilisation ?
Pour la vraie Culture, pour la Civilisation, voici unis le Professeur et le Philosophe. Harouel/Finkielkraut: même combat ?…..
La vampirisation du Louvre par l’art contemporain.
Ce qu’on appelle de manière inadéquate art contemporain prend depuis 2004 une place croissante face aux chefs-d’œuvre du Louvre. L’an dernier, autour du tombeau de Philippe Pot, merveille de la sculpture du XVe siècle, étaient accrochées des rangées de faux, comme dans une quincaillerie de campagne d’autrefois. Aujourd’hui, le centre de la vaste salle où se déploie la vie de Marie de Médicis peinte par Rubens est un amas chaotique de pierres tombales pareil à l’arrière-cour d’un marbrier funéraire négligent. L’imposture règne au Louvre.
En règle générale, le prétendu art contemporain n’est qu’imposture. Au cours du XXe siècle, et surtout dans sa seconde moitié, ceux qui s’obstinaient contre l’évidence à se dire artistes ont de plus en plus abandonné la vraie création artistique pour y substituer une intention philosophique, sociologique, spirituelle ou autre, laquelle, quand on peut la connaître, est généralement indigente. Avec le plus souvent pour résultat, d’un point de vue artistique, le rien ou le n’importe quoi. Le soi-disant artiste contemporain continue de brandir les vieux poncifs éculés de transgression et de révolte ressassés depuis un siècle, alors qu’il poursuit en réalité une stratégie ambitieuse de réussite personnelle. Car l’éternelle répétition des vieilles provocations de l’art vide et de l’anti-art ne choque plus personne et procure fortune et prestige. C’est l’académisme de notre temps.
Marchands, collectionneurs, critiques, musées, médias, pouvoirs publics présentent comme art une immense farce bafouant l’art. Le succès de cette duperie est étrange, mais approprié au règne des puissants sans culture, privés des modèles sociaux supérieurs qui les guidaient jadis. L’absence de contenu artistique du prétendu art contemporain abolit la distinction entre incultes et cultivés, ménage l’ego du plus ignorant en art et en histoire. Pour poser à l’amateur d’un tas de pierres ou d’un bloc de ferraille, point n’est besoin de connaissances, de travail de lecture, d’analyse et de compréhension. Il suffit de clamer que c’est génial et de payer une somme fabuleuse pour se croire un grand collectionneur, un grand mécène. Un art qui n’en est pas un convient parfaitement à des élites incultes.
Mais, d’où vient la rage de faire entrer cette farce dans les musées classiques, et tout particulièrement au Louvre ? C’est que, malgré sa colossale réussite commerciale, malgré le tam-tam médiatique dont il bénéficie, malgré l’adhésion des milliardaires incultes s’imaginant amateurs d’art et celle de toutes les dupes triomphantes qui l’encensent, les plus lucides parmi les sectateurs du prétendu art contemporain savent bien qu’il souffre d’une totale absence de légitimité artistique. Or, le dialogue postulant l’égalité, organiser un supposé dialogue entre, d’une part, les authentiques chefs-d’œuvre du passé et, d’autre part, les impostures actuelles permet de proclamer la haute valeur artistique de celles-ci. L’art contemporain, qui n’est pas de l’art, cherche à se donner une légitimité artistique en établissant une confrontation forcée avec les plus grands chefs-d’œuvre de l’art. Il les vampirise pour tenter de s’affirmer réellement comme art. L’exposition Jan Fabre au Louvre n’apporte rien à Van Eyck, Memling, Rembrandt ou Rubens. En revanche, elle apporte à Jan Fabre l’illusion d’avoir dialogué d’égal à égal avec eux, et donc d’être un grand artiste.
Malheureusement, ces plaisanteries sont ruineuses. À l’heure où la France laisse partir à vau-l’eau des pas entiers d’un prodigieux patrimoine artistique, où raser une église faute de moyens pour l’entretenir tend à entrer dans les mœurs, il est choquant de voir les plus hauts responsables de la culture orienter l’argent public et celui du mécénat vers les bouffonneries de ce qu’on appelle indûment art contemporain.
(1): auteur de « Culture et contre-cultures », PUF, Collection Quadrige; 329 pages, 10,45 euros. Argument: Renouer avec la tradition quasi perdue de la culture personnelle, de la « cultura animi », est sans doute la plus extraordinaire des aventures individuelles qui puissent être tentées à notre époque. En tout cas, c’est la plus authentique démarche de liberté qui puisse se concevoir. La seule manière d’échapper au despotisme feutré mais réel de l’opinion, à la « pression immense de l’esprit de tous sur l’intelligence de chacun » qui caractérise au plus haut point nos sociétés.
Enfin on brise le tabou de « l’artistiquement correct ».
Oser dire que le fait d’habiter un même lieu ne fait pas de Jan Fabre l’égal d’un Rubens, est une prise de position curageuse qu’il faut saluer et soutenir.
En matière d’art tout n’est pas équivalent. Il est temps de remettre la beauté classique à sa juste place.