Quel bilan 28 mois après l’entrée en guerre de Paris, et 20 mois après l’assassinat de Mouammar Kadhafi (20 Octobre 2011)
Toutes les belles déclarations du printemps 2011 et des mois suivant n’ont plus beaucoup de poids en balance avec un échantillon rapide et très incomplet de ce qu’écrit aujourd’hui le peu de presse qui s’intéresse encore à la Tripolitaine.
À vrai dire il a fallu beaucoup moins de temps pour reconnaître que les lubies pusillanimes concoctées à l’Élysée par des Sarkozy, Juppé, et autres Jean-David Levitte, le tout avec l’imprimatur BHL, avaient conduit à une catastrophe, dont l’analyse est en cours.
Dès le 4 Juillet 2012, le Canard Enchainé écrivait sur le désastre, sur le film stupide du philosophe, sur l’évaluation de 100.000 morts (rebelles, civils, kadhafistes), les attentats, en se fondant certainement sur la lecture de dépêches diplomatiques.
La littérature spécialisée parle souvent de milice et de gangs plutôt que de tribus. En fait les trois sont aujourd’hui mélés.
Au hasard sur la toile :
* http://m.marianne.net/Libye-la-catastrophe-dont-personne-ne-parle_a229287.html
* http://www.rue89.com/2013/06/11/libye-entre-grignotage-islamistes-milices-armees-243225
* http://www.cameroonvoice.com/news/article-news-11242.html
Certes le Tchadien a un intérêt historique à tirer le signal d’alarme craignant pour son pays.
Un pays en ruine
Aucun ultimatum pour intégrer les milices à une armée nationale n’a jamais abouti. Ces couples tribus-milices contrôlent les bâtiments publics, les ministères (ou ce qui en tient lieu), où seuls comptent les accointances tribales et idéologiques. L’activité économique est mise en coupe réglée, par le vol et le racket (travaux publics, hôpitaux …). Les milices ne cherchent d’ailleurs pas à entrer de façon visible dans le gouvernement, avoir des politiciens à leur main leur suffit. Si une façade est préservée avec un Conseil National Général, son président, l’élection le 7 Juillet 2012 d’une assemblée constituante à bulletin secret devant une «communauté internationale» forcément béate (même si les femmes sont exclues, quota limité à 10%), un premier ministre, rien ne se décide sans l’accord de ces pouvoirs tribaux. Une milice peut compter jusqu’à 10.000 hommes, lourdement armés (au plus fort de la crise en 2011, le Qatar a livré 18.000 tonnes d’armes dans un désordre total). Les milices pénètrent l’administration via des « purges », largement orchestrées par la Haute Commission pour l’Intégrité et le Patriotisme (HCIP) créée en Janvier 2012, entre les mains de Frères musulmans.
Les islamistes gagnent du terrain en imposant la charia, et en remplaçant les oulémas traditionnels par des imams salafistes (Tripoli, Benghazi, Syrte et Misrata, pour commencer …). Dans le prolongement la prise en main de la justice est un objectif logique, sur un mode qui a très peu de rapport avec « les droits de la défense ». Et de regretter Kadhafi … Quand elles le peuvent les milices usent de leurs réseaux pour aller chercher des réfugiés à l’étranger, comme le 24 Juin 2012 avec le quasi enlèvement en Tunisie de Al Baghadi (ex premier ministre de Kadhafi), contre 200 millions d’Euro payé au premier ministre tunisien, sans le consentement de son Président. Nous n’en sommes évidemment plus à parler de justice équitable. D’autant que la vengeance est un élément fort du code traditionnel tribal en Libye. Et Kadhafi ne fut pas le dernier à en user.
Paru dans « Jeune Afrique » : des salafistes exigent la mise en accuastion des ex-kadhafistes….
Pour donner une idée de l’ampleur de cette guerre civile larvée, on peut tenter d’établir une liste des villes sous contrôle tribal local. Gharyan (100 km au sud de Tripoli), Assaba, Zentan, Barqa (3000 chefs tribaux), Derna, Machachia, Sebha, Koufra, les Toubous, Misrata (un état dans l’état) et les Warfallahs. Quant à Tripoli, ce sont 8000 miliciens qui se partagent la ville, et surtout les ministères (ou ce qui en tient lieu). Sans omettre de rappeler que certaines haines entre tribus sont ancestrales. Dès lors est il abusif de parler de guerre civile ?
Retour d’expérience ?
C’est l’expression consacrée dans la conduite des projets et les Armées en ont fait une matière très sérieusement traitée. À cela près qu’il ne s’agit que des opérations militaires et non du contexte géopolitique du pays et de la région.
Avec un court recul, car les évènements vont très vite, cette aventure engagée par l’administration sarkozy laisse un profond malaise, et compromet une nouvelle fois la France dans le monde arabe (après l’Afghanistan). Il n’y a guère que deux hypothèses: ou notre haute administration est devenue totalement incompétente, ce que nous ne retenons pas, ou le chef des Armées a obéi à des instructions venues d’ailleurs, ce qui reste la seule explication. Un bruit avait circulé, impossible à authentifier. Kadhafi a signé son arrêt de mort, le jour où il a émis l’idée de ne plus accepter le dollar américain contre ses hydrocarbures. La même hypothèse fut émise au sujet de Saddam Hussein.
Ce qui n’a pas dissuadé quelques intellectuels de tirer des feux d’artifices à la gloire des armes de la France. Il est vrai que c’est plus facile contre un adversaire qui n’oppose que quelques barcasses et quelques blindés rouillés. Le plus bel aveuglement que nous avons lu, est ce papier dans l’excellente revue de sciences politique « Commentaire », N° 138 été 2012, de monsieur Guillaume Lagane (ci-contre, ndlr) « Premier bilan de la guerre en Libye ». Il se présente ancien de l’ENA, administrateur civil au Ministère de la Défense et rapporteur à la Cour des Comptes.
Après un exposé approximatif et tendancieux des années Kadhafi il voit une nouvelle politique arabe de la France …! Tout en reconnaissant que cette aventure en Libye ne fut pas une décision européenne, il extrapole sur ce que pourrait être une défense européenne afin de s’affranchir des États Unis. On ne peut qu’être consterné par ces élucubrations qu’il n’est hélas pas le seul à développer.
Pour notre part nous nous en tiendrons qu’à une seule question : « France, qu’as-tu fait de ton Histoire ? ». Et notre retour d’expérience est de redire inlassablement que l’islam reste l’islam, qu’il repose sur ses cinq piliers (le ramadan en est un), peu importe qu’il prospère en Tunisie, en Égypte, en Algérie, en Libye ou … à Lyon et Marseille.
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p.s. :
1. Quand les Américains sont-ils entrés en Méditerranée ? Michel Jobert dans les éditoriaux qu’il écrivait pour les media marocains avait avancé que «les Américains sont entrés en Méditerranée en 1942, et n’en sont jamais ressortis». Ce qui est inexact. Partant de Philadelphie, ils vinrent en Méditerranée à partir de 1801 pour protéger leurs navires marchands contre les barbaresques. Là se situe l’épisode fameux du raid audacieux du capitaine Stephen Decatur en 1804, entrant de nuit avec quelques marins dans le port de Tripoli, pour saboter la frégate américaine « Philadelphie » dont les barbaresques s’étaient emparés. Decatur y mis le feu afin qu’elle ne puisse plus être utilisée contre les Etats Unis. Les Libyens gardaient précieusement l’un des mâts de la frégate. Decatur est aussi célèbre par le toast qu’il prononça « My country, right or wrong ».
2. En outre chez Bernard Lugan, on trouvera une analyse très détaillée sur les tribus en Libye, dans les savants papiers de Mme Hélène Bravin.
http://www.lepoint.fr/monde/la-grogne-monte-en-libye-27-07-2013-1708942_24.php
et l’explosion en Egypte.
Quand on pense aux heures de télévision, aux pages de journaux, dithyrambiques pour nous convaincre de l’arrivée de Montesquieu et de Tocqueville dans les pays arabes … Ce qu’ils appelaient un «Printemps». Et où sont les gens qui ont entrainé notre pays dans ces utopies ? Monsieur Fillon ne s’en souvient plus ?
Ce billet est très incomplet sur la personne de Ali Zeidan, cité comme l’auteur des 6.000 morts de Kadhafi. Or il est aujourd’hui le Premier Ministre de la Libye.
Né en 1950, il fut diplomate en poste en ambassade. Dans les années 1970 en Inde, il défecta pour rejoindre en 1980 le Front National pour le Salut de la Libye (National Front for the Salvation of Libya, NFSL), qui devint en 2005, la Conférence Nationale de l’Opposition Libyenne (Nationale Conference for the Libyan Opposition), installée à … Londres.
Zeidan est élu PM en Décembre 2012, bien que n’étant pas majoritaire, dans une Chambre elle-même plutôt fantoche (le Congrès Général National).
Comme pour la Syrie, tout part de Londres. Si l’on a un doute sur les vrais montreurs de marionnettes …