On peut « passer » sans problème l’hommage rendu par Jacques de Saint Victor à Raoul Girardet.
Par contre, on ne peut pas « laisser passer » les deux énormités proférées par un Jacques de Saint Victor que l’on a connu beaucoup mieux inspiré.
La première, et la moins grave, concerne « l’antisémitisme de certains proches de Maurras ». Jacques de Saint Victor dit vrai, car il y avait bien des antisémites dans l’entourage de Charles Maurras, mais il pêche par omisssion, en faisant comme s’il ignorait que l’antisémitisme était, hier, et reste, aujourd’hui, répandu et partagé, de l’extrême droite à l’extrême gauche; Jacques de Saint Victor veut-il laisser entendre qu’il n’y avait d’antisémitisme que chez « certains proches de Maurras » ? Son propos est flou, ambigu, et surprenant pour le journaliste et universitaire sérieux que l’on connaît…
Mais le pire, et franchement inadmissible, est dans le second « coup » : « …la politique de collaboration défendue par Vichy et Maurras. » Là, on reste confondu, on se demande si on a bien lu, on se frotte les yeux pour vérifier qu’il s’agit bien d’un article écrit par Jacques de Saint Victor. Et on est obligé de se rendre à l’évidence : oui, c’est bien lui, et il a bien écrit « ça » !
Nous ne lui répondrons pas trop longuement, l’ayant fait plusieurs fois pour plusieurs autres personnes (on l’a résumé ici et ici).
Nous lui apprendrons simplement, puisqu’il semble l’ignorer ce jugement d’Otto Abetz (dont on ose espérer – maintenant qu’on n’est plus sûr de rien… – qu’il sait de qui il s’agit…) : « L’Action Française est l’élément moteur, derrière les coulisses, d’une politique anti-collaborationniste, qui a pour objet, de rendre la France mûre le plus rapidement possible, pour une résistance militaire contre l’Allemagne »…
Et nous le renverrons aux propos de Bainville – c’est-à-dire de L’Action française, donc de Maurras… – datant de 1930, traitant Hitler d’ « énergumène », de « monstre », de « Minotaure » : c’était neuf ans avant que L’Humanité ne soit interdite de parution pour son approbation du pacte germano-soviétique. Jacques de Saint Victor a, de toute évidence, du mal à voir qui sont et où furent les premiers « résistants », et qui sont et où furent les premiers « collabos » !…
Pour le reste, n’étant ni sectaires ni bornés, nous « passons » malgré tout, ci-après, l’hommage à une grande figure, du moment que nous avons dit ce qu’il y avait à dire…
Raoul Girardet avait fondé le cycle d’histoire du XXème siècle à l’Institut d’études politiques.
Spécialiste de l’histoire des idées, ce résistant, officier de la Légion d’honneur, a joué un rôle fondateur dans la formation des élites françaises. Il vient de s’éteindre dans sa 96ème année.
Raoul Girardet, dont les obsèques auront lieu lundi 23 septembre dans l’intimité, était un historien de très grand renom. Cet intellectuel, qui s’est éteint mercredi dernier dans sa 96ème année, avait joué un grand rôle dans la formation des élites françaises contemporaines. Né le 6 octobre 1917 dans une famille républicaine, Raoul Girardet avait été très jeune attiré par le nationalisme intégral de l’Action française et le rayonnement intellectuel de Charles Maurras. Il y avait chez lui une forme prononcée de nostalgie pour le passé glorieux de la France. Il analysera d’ailleurs la nostalgie comme la «quête d’une unité perdue».
Mais si le jeune Raoul Girardet goûte le nationalisme de l’Action française, ainsi que son romantisme et son anti-germanisme, il ne partage nullement l’antisémitisme de certains proches de Maurras. En outre, dès le début de la guerre, son nationalisme bien compris lui interdit d’adhérer à la politique de collaboration défendue par Vichy et Maurras. Il rompt donc avec le mouvement et s’engage dans la Résistance. Il sera Croix de guerre 1939-1945 et officier de la Légion d’honneur.
Cet historien deviendra après guerre un des maîtres des idées politiques. Il créa notamment à l’Institut d’études politiques, où l’histoire avait alors une place majeure, le cycle d’études d’histoire du XXème siècle. Dans ses travaux, il se consacra surtout à l’histoire des idées contemporaines, ce qui lui permit d’embrasser amplement son siècle. Son cours sur le «Mouvement des idées politiques dans la France contemporaine» et son séminaire sur la France des années 30, assurés conjointement avec Jean Touchard et René Rémond, ont marqué des générations d’étudiants.
Sentiment national
Raoul Girardet ne renoncera cependant pas à ses idées et, au moment de la guerre d’Algérie, il restera fidèle à l’Algérie française, considérant que ce n’était pas les généraux putschistes mais le général de Gaulle qui avait manqué à la parole donnée. Il prit part, à sa mesure, aux activités de l’OAS, dans sa branche «Action politique et propagande» aux côtés de certains universitaires comme François Bluche ou Jules Monnerot et de quelques écrivains comme Jacques Laurent. Il écrivit aussi des articles dans L’Esprit public et signa un manifeste d’intellectuels français réaffirmant «la mission civilisatrice de l’armée en Algérie», avec des écrivains comme Roger Nimier ou Henri Massis. Il se consacrera ensuite essentiellement à une œuvre intellectuelle de grande valeur, qui tournera autour de ses grands thèmes de prédilection, le nationalisme, le colonialisme et la question militaire. Il publiera ainsi des ouvrages de référence sur La Société militaire en France, Le nationalisme français, L’idée coloniale en France et un essai sur Mythes et mythologies politiques.
En 1990, dans un livre d’entretiens avec le journaliste Pierre Assouline, Singulièrement libre, il revint sur son parcours personnel qui pouvait paraître assez mouvementé pour un universitaire mais qui témoignait, de la Résistance à son engagement en faveur de l’Algérie française, d’un amour profond et sincère pour son pays. Aujourd’hui, sa trajectoire peut paraître audacieuse, mais elle témoigne d’un esprit honnête et courageux qui, en outre, n’était pas sectaire.
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PS : Puisqu’il termine son court hommage en parlant de Singulièrement libre, Jacques de Saint Victor aurait dû lire plus attentivement ces deux extraits (et d’autres encore…) :
1. Sur Maurras protégeant les esprits de toute tentation totalitaire : « La doctrine maurrassienne constituait à cet égard une barrière solide: la conception totalitaire de l’Etat et de la société lui était complètement étrangère. Le national-socialisme allemand était dénoncé quotidiennement dans « L’Action Française » comme l’une des pires incarnations du germanisme éternel, un « nouvel Islam » disait Léon Daudet. Restait enfin la hantise du danger allemand, la menace qui se précisait, le vieux réflexe national de défense. Bainville avait sans doute disparu, mais ses leçons restaient présentes. Nous étions trop imprégnés d’elles pour rêver à Nuremberg, à son exaltation de la terre et du sang, et à ses cathédrales de lumière… » (confirmé par ce texte de Daudet, « Sur, et contre, le fascisme italien »…).
2. Sur ce que, lui, Raoul Girardet, avait retenu de l’enseignement de l’Action française en général, de Maurras en particulier : « Le bilan, tout compte fait, cinquante ans plus tard, me paraît plutôt positif. Si l’on admet que, dans la France du XXème siècle, tant d’intellectuels (pardonnez le terme, il me gêne mais je n’en trouve pas d’autre) ont connu la tentation de l’engagement, celui-là ne me semble pas pire que beaucoup d’autres. Il apprenait au moins à appliquer aux choses de la politique une certaine logique, les lois d’un certain raisonnement, à développer par conséquent l’esprit d’analyse et l’acuité critique, à explorer le contenu des mots, à se méfier de leurs seules résonances. En d’autres termes, c’est en fonction même de la méthode qui se trouvait enseignée qu’il était possible de se libérer du dogmatisme intrinsèque de cet enseignement.
Il faut y ajouter l’apprentissage de l’irrespect à l’égard des pouvoirs et du pouvoir, de ses détenteurs, de ses représentants et de ses serviteurs: disposition d’esprit que le cours le la dernière de nos Républiques ne semble pas exceptionnellement favoriser. Y ajouter encore le souvenir de tant de livres qui auraient pu ne pas être lus. Y ajouter enfin la reconnaissance à l’égard de tant d’amitiés, et qui ont échappé, elles, à toutes les remises en cause.
C’est assez pour ne pas faire le dégoûté, non ? »
On ne saurait mieux dire…
Merci d’avoir commenté avec pertinence le texte de Jacques de Saint Victor sur la mort de Raoul Girardet.
Je me permettrai d’ajouter ceci:
l’emploi politiquement correct,donc « malveillant » du mot « colonialisme », néologisme qui salit l’oeuvre colonisatrice de la France, Outre-mer.
Raoul Girardet, historien digne de ce nom a parlé de l’idée coloniale ou de Colonisation.
Encore merci et bien cordialement
Pierre Gourinard
Refuser l’antisémitisme de Charles Maurras est un anachronisme. Avant-guerre, la société intellectuelle française était antisémite autant qu’aujourd’hui le parc automobile français marche au diesel !
Par contre, traiter le Martégal de collabo, c’est too much là !
J’ai,moi aussi,fait état de ma vigoureuse protestation auprès de Saint- Victor.
Les premiers résistants-non camouflés-furent les camelots du roi de l’AF qui ont eu le courage d’aller manifester leur nationalisme le 11 novembre 1940 sur la tombe du soldat inconnu.2 d’entre eux furent exécutés sur place par les soldats allemands,et 9 emprisonnés sans jugement.
Il faut se méfier de colporter la pensée unique,surtout quand on n’est pas ou mal informé.
Sur le blog Boulevard Voltaire, Dominique Jamet, généralement mieux inspiré, fait du camelot du roi Raoul Girardet (chef d’équipe camelot : Hémon !) un gentil républicain « Un moment tenté par l’Action française, parce que nationaliste, ».
Comme quoi même les moins malveillants doivent réviser leurs sources. Effectivement, jusqu’au bout Raoul Girardet a assumé son engagement dans l’ACtion française en tant que « mouvement école ». En cela il rejoint completement le jugement des anciens de « la rue Saint André des arts » de l’entre -deux guerres. On trouve sur ce thème de l’AF mouvement école de nombreux témoignages positifs. Celui de l’historien Philippe Ariès ou celui très interessant de François Leger dans ses mémoires d’un réactionnaire (éditions François Brigneau) qui méritent vraiment la lecture.
Ce souci du mouvement école est toujours majeur comme le démontre vos textes sur le succès du dernier camps de jeunes d’AF 2013 (les CMRDS d’après 1945, dont le premier chef de camp fut Nicolas Kayanakis ).
Ce souci est remis à la première place dans ce qui est devenu le « bréviaire stratégique » des militants royalistes, le texte du sociologue grenoblois Michel Michel « Cohérence » dans lequel la première phase du processus de reconquête du pouvoir passe obligatoirement par « faire de la force » au travers le mouvement école.
Ce souci de la formation des tètes biens faites, du « penser claire pour marcher droit » est resté jusqu’au bout celui de Raoul Girardet, comme en témoignent les « post » de nombre de ses anciens élèves de l’école miltaire sur le blog bien connu de Merchet.
Ce souci de la formation intellectuel est également parfaitement assuré au travers le present blog et on ne peut que vous féliciter de la qualité de vos travaux.