(Continuation de La Suite économique de François Reloujac)
Chaque fois qu’un Gouvernement, qu’il soit de droite ou de gauche, se propose de créer un nouvel impôt ou d’en augmenter un ancien, il le prétend toujours plus « juste ». Tout accroissement de la pression fiscale est désormais décidé au nom de la « justice fiscale ». Or si un tel discours satisfait une partie de la population – essentiellement celle qui échappe à cette augmentation –, il exaspère toujours un peu plus l’autre partie – celle qui supporte ce surcroît de charge
Si la compréhension du terme « impôt » ne pose pas de grosse difficulté, chacun ayant conscience qu’il s’agit de la charge financière imposée par l’Etat afin de lui permettre de financer ses propres besoins, le terme « juste » est quant à lui ambigu. D’un point de vue sémantique, cet adjectif vient du latin « justus » qui signifie « conforme au droit », « équitable ». Dès lors, on peut dire qu’un impôt régulièrement consenti par le pouvoir législatif est nécessairement juste… sauf à démontrer que la loi régulièrement votée est elle-même injuste !
L’impôt juste résulte d’une loi juste
Une loi régulièrement votée est juste si elle répond à trois conditions : la première, c’est que le législateur n’excède pas ses pouvoirs ; la deuxième, c’est qu’elle ait exclusivement pour but la recherche du bien commun ; la troisième, c’est que les contraintes qu’elle fait peser sur les citoyens soient « ajustées ». Compte tenu des termes mêmes de la Constitution française, il apparaît qu’un impôt régulièrement voté n’excède que rarement les pouvoirs du législateur qui sont immenses en ce domaine. Le Conseil constitutionnel est là pour y veiller. A l’inverse, il n’existe pas réellement en France d’instance chargée de veiller au respect des deux autres conditions.
Dans le monde actuel, la notion de bien commun est sujette à discussion. Dans son encyclique Mater et magistra, le Bienheureux Jean XXIII la définissait comme « l’ensemble des conditions sociales permettant à la personne d’atteindre mieux et plus facilement son plein épanouissement » (§ 65). Dans un livre récent (Doctrine sociale de l’Eglise et bien commun, Beauchesne, 2010), Monseigneur Minnerath ajoute que c’est ce qui « permet aux hommes de tendre vers le bonheur ». Toute loi qui répondrait à un simple désir de puissance du législateur, qui viserait à promouvoir un simple égalitarisme entre les habitants ou qui aurait une visée purement démagogique, ne peut donc être foncièrement juste. Mais qu’est-ce que le plein épanouissement de la personne pour reprendre les mots de Jean XXIII ? Pour y voir clair, prenons un exemple. Toute personne estimant que la vie est le premier des droits de l’homme ne peut accepter l’idée que la liberté d’avortement participe à l’épanouissement de la personne. De ce fait, la partie de l’impôt servant à rendre gratuite cette opération est… « injuste ». Au regard de ces critères, une bonne partie des impôts qui pèsent sur les citoyens français peut être considérée comme foncièrement « injuste ».
La répartition de la charge doit être conforme à la justice
Quant au critère relatif à la répartition de la charge, il convient de s’interroger : la « justice » doit-elle conduire à une répartition égalitaire (comme dans le cas de la TVA) ou à une répartition proportionnelle aux facultés contributives (comme dans celui de l’impôt sur le revenu) ? En pratique, lorsque l’Etat a de gros besoins, la seule répartition égalitaire de la charge de l’impôt risque d’être insuffisante pour lui permettre de mener à bien ses missions ; elle peut également devenir insupportable pour une partie de la population. Il ne paraît donc pas anormal que l’Etat cherche à viser une répartition proportionnelle qui, d’ailleurs, peut être une façon de mettre en œuvre une certaine solidarité. Mais, pour que cette répartition inégalitaire soit « juste », encore faut-il qu’elle respecte trois conditions : que le montant de l’impôt soit ajusté aux missions de l’Etat, que la charge qu’il représente laisse à chacun des contributeurs la possibilité d’agir librement – c’est un aspect du principe de subsidiarité –, qu’il ne soit jamais confiscatoire.
L’impôt doit être ajusté aux missions régaliennes de l’Etat (défense nationale, police, justice, diplomatie…). Tout impôt qui excède ce qui est nécessaire à la couverture de ces besoins est confiscatoire. Mais tout impôt insuffisant pour les couvrir transfère une charge sur les générations futures qui ne bénéficieront pas forcément de ces actions de l’Etat ! Aucune dépense de fonctionnement de l’Etat ne peut donc être financée par l’emprunt. Et toute dépense d’investissement financée par l’emprunt doit répondre à un souci de première nécessité (en cas de crise grave) ou à un objectif d’investissement utile à long terme. Sous prétexte qu’à certaines époques les contributeurs ont les moyens de participer à un effort particulier, il n’est pas pour autant permis à l’Etat d’accroître inutilement ses pouvoirs. Tout impôt qui permet à l’Etat de mener à bien des missions qui ne sont pas de son ressort est par nature injuste car il n’est qu’un abus de pouvoir.
Toute répartition de l’impôt proportionnelle à l’importance des facultés contributives des citoyens doit être calculée au plus juste. Elle risque sinon de conduire à des situations de frustration dans la mesure où elle aurait pour effet d’empêcher les personnes en ayant les moyens – avant impôt – d’accomplir les tâches auxquelles elles tiennent, d’exercer leur solidarité vis-à-vis des plus faibles, d’entreprendre de nouvelles actions au service de la société. En un mot la répartition inégalitaire de la charge de l’impôt ne permet pas de priver qui que ce soit de sa liberté propre, laquelle est toujours un élément intrinsèque de son épanouissement.
Poussons le raisonnement à l’extrême et examinons le cas de l’impôt confiscatoire, celui qui empêche telle ou telle partie de la population de gagner les sommes auxquelles elle a droit mais qui ne rapporte pas véritablement de ressources à l’Etat. Cet impôt est toujours « injuste ». Non seulement il porte atteinte à la liberté et décourage la création de richesse, mais il excite de plus la jalousie et désigne certaines catégories de la population à la vindicte des autres. Cet impôt n’est pas destiné à subvenir aux besoins légitimes de l’Etat. Il est un instrument révolutionnaire qui porte atteinte à la cohésion nationale.
Souvenons-nous, enfin, que l’impôt est toujours une contrainte. Dès lors, s’il est un instrument au service de gouvernant, il n’est pas un moyen de gouverner. L’Etat a dans sa boîte divers outils : l’impôt n’en est qu’un parmi d’autres. C’est pourquoi le recours à l’impôt n’est légitime et l’impôt n’est « juste » que si l’objectif qu’il vise à obtenir ne peut pas être atteint par un autre moyen, moins douloureux.
* Analyse économique parue dans le numéro 124 (décembre 2013) de Politique magazine
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“Vive le Roi Felipe VI ! Longue vie à lui ! signé: Yann Corfmat”