Pourquoi les manifestations de janvier et février 1934, dont celle, tragique, du 6 février, n’ont pas débouché sur ce changement de régime, pour lequel l’Action française s’était toujours battue ? Maurice Pujo, après avoir conduit toute la campagne de l’Action française sur l’affaire Stavisky et dirigé l’action des camelots du Roi, en a donné l’explication en termes simples * : sans une Action française suffisamment forte et reconnue tant sur le plan de la pensée politique que de la conduite de l’action proprement dite, l’union des patriotes est stérile. Et la leçon vaut pour aujourd’hui.
À force de le répéter, les gens du Front populaire ont fini par croire que le Six Février était le résultat d’une terrible conjuration tramée de toutes pièces par d’affreux « fascistes » contre les institutions républicaines.
Rien ne correspond moins à la réalité. Le 6 Février a été, à son origine, le sursaut national le plus spontané, le plus pur d’arrière-pensées. Il a été la révolte de l’honnêteté et de l’honneur français contre un scandale qui était une des hontes naturelles et cachées du régime : le pillage de l’épargne sans défense avec la complicité des gouvernants qui en ont la garde.
Sans doute, ce scandale a été mis en lumière, développé, « exploité », si l’on veut, par des patriotes conscients qui étaient les hommes de l’Action française. Là-dessus, M. Bonnevay, président de la Commission du Six Février, ne s’est pas trompé lorsqu’il nous a désignés comme les responsables de la mobilisation de l’opinion et de la rue.
C’est nous qui avons publié les deux fameuses lettres Dalimier qui avaient été, aux mains de Stavisky, les instruments de l’escroquerie. C’est nous qui, par nos premières manifestations, avons chassé du ministère ce Dalimier qui se cramponnait. C’est nous qui, pendant trois semaines, encadrant tous les patriotes accourus à nos appels, avons fait à dix reprises le siège du Palais-Bourbon. C’est nous qui, par cette pression sur le gouvernement et les parlementaires, avons arraché chaque progrès de l’enquête, empêché chaque tentative d’étouffement. C’est nous aussi qui avons publié la preuve de la corruption d’un autre ministre, Raynaldi, et c’est nous qui, en rassemblant des dizaines de milliers de patriotes, le 27 janvier, au centre de Paris, avons chassé le ministère Chautemps qui cherchait à se maintenir […]
Tenter le coup ?
Dira-t-on que nous envisagions le renversement du régime ? Eh ! nous ne cessons jamais de l’envisager ! Nous avons, dès nos débuts, proclamé que nous formions une conspiration permanente pour la destruction de la République, cause organique de nos maux, et pour la restauration de la monarchie, qui seule pourra les guérir.
Mais, en menant la chasse aux prévaricateurs complices de Stavisky, nous n’avions pas visé, de façon préconçue, cet heureux événement. Il y avait des services immédiats à rendre à la France ; nous les lui rendions. Si, au terme de cette crise, la restauration de la Monarchie pouvait être tentée, nous n’en manquerions certes pas l’occasion. C’est seulement un fait qu’il n’y a pas eu d’occasion parce que les conditions nécessaires ne se sont pas trouvées réunies.
C’est ce que nous devons répondre à ceux qui, nous faisant le reproche inverse de celui de M. Bonnevay, estiment que nous aurions dû « tenter le coup ». Il y avait sans doute – ce qui est important – un malaise incontestable qui, au-delà des hommes au pouvoir, était de nature à faire incriminer le régime. Il y avait même, à quelque degré, dans l’esprit public, un certain état d’acceptation éventuelle d’un changement. Il y avait aussi l’inorganisation relative et le sommeil des éléments actifs chez l’adversaire socialiste et communiste. Mais ces conditions favorables, en quelque sorte négatives, ne pouvaient suppléer à l’absence de conditions positives indispensables pour avoir raison de cette chose solide par elle-même qu’est l’armature d’un régime resté maître de son administration, de sa police et de son armée. Et il faut un simplisme bien naïf pour s’imaginer qu’en dehors des jours de grande catastrophe où les assises de l’État sont ébranlées, comme au lendemain de Sedan, le succès peut dépendre d’un barrage rompu…
Pourquoi Monk n’a pas marché
Ce qui a manqué au Six Février pour aboutir à quelque chose de plus substantiel que des résultats « moraux », c’est – disons-le tout net – l’intervention de ce personnage que Charles Maurras a pris dans l’Histoire pour l’élever à la hauteur d’un type et d’une fonction, l’intervention de Monk. Un Monk civil ou militaire qui, du sein du pays légal, étant en mesure de donner des ordres à la troupe ou à la police, eût tendu la main à la révolte du pays réel et favorisé son effort. Un Monk assez puissant non seulement pour ouvrir les barrages de police, aussi pour assurer immédiatement le fonctionnement des services publics et parer à la grève générale du lendemain.
La question de ce qu’on a appelé à tort l’échec du Six Février se ramène à celle-ci : pourquoi Monk n’a-t-il pas marché ?
Répondra-t-on qu’il n’a pas marché parce qu’aucun Monk n’existait ? Il est certain que personne ne s’était désigné pour ce rôle. Mais c’est essentiellement un domaine où le besoin et la fonction créent l’organe. Il y aurait eu un Monk et même plusieurs si les circonstances avaient été telles qu’elles pussent lui donner confiance.
Certains s’imaginent qu’ils décideront Monk par la seule vertu de leurs bonnes relations avec lui et dans quelques conciliabules de salon. Singulière chimère ! Monk éprouve très vivement le sentiment de sa responsabilité. Ce n’est qu’à bon escient qu’il acceptera les risques à courir pour lui-même et pour le pays et il a besoin de voir clairement les suites de son entreprise. Devant apporter une force matérielle qui est tout de même composée d’hommes, il a besoin de pouvoir compter, pour le soutenir, sur une force morale assez puissante. Il ne réclame pas de civils armés – c’est là l’erreur de la Cagoule – qui doubleraient inutilement et gêneraient plutôt les soldats, mais il veut trouver autour de lui, lorsqu’il descendra dans la rue, une « opinion » claire, forte et unie.
Et cela n’existait pas au Six Février. Si les manifestants étaient unis par le sentiment patriotique et le mépris de la pourriture politicienne, ils n’avaient pas d’idée commune sur le régime qui conviendrait à la France pour la faire vivre « dans l’honneur et la propreté ». De plus, les rivalités de groupes et les compétitions des chefs empêchaient même que, séparés dans la doctrine, ils pussent s’unir dans l’action.
Depuis le début de l’affaire Stavisky jusqu’au 27 janvier où notre manifestation des grands boulevards renversa le ministère Chautemps, il y avait eu, dans l’action, une direction unique : celle de l’Action française. C’est à ses mobilisations que l’on répondait ; c’est à ses consignes que l’on obéissait. (On lui obéit même le jour où, en raison de la pluie et pour épargner un service plus pénible à la police, nous renonçâmes à la manifestation) Mais, à partir du 27 janvier, devant les résultats politiques obtenus et ceux qui s’annonçaient, les ambitions s’éveillèrent, et les groupements nationaux préparèrent jalousement, chacun de son côté, leur participation à une action dont ils comptaient se réserver le bénéfice. Cette agitation et cette division ne firent que croître, après la démission de M. Chiappe, préfet de police, survenue le 3 février.
Aucune entente
La Commission d’enquête a cherché un complot du Six Février. Mais il n’y avait pas un complot pour la bonne raison qu’il y en avait cinq ou six qui s’excluaient, se contrariaient et se cachaient les uns des autres. Il y en avait dans tous les coins et sur les canapés de tous les salons. On peut se rendre compte qu’il n’y avait aucune entente entre les groupes divers en examinant les rendez-vous qu’ils avaient donné pour la soirée historique, et les dispositions qu’ils avaient prises, sans parler des manœuvres qu’ils firent et dont à peu près aucune n’était d’ailleurs préméditée.
Si, par impossible, les patriotes l’avaient emporté dans de telles conditions, s’ils avaient chassé le gouvernement et le parlement, le désaccord entre eux n’aurait pas manqué d’apparaître presque aussitôt et les gauches vaincues n’auraient pas tardé à reprendre le pouvoir.
C’est à quoi le Monk inconnu, le Monk en puissance, devait songer. C’est pourquoi il s’est abstenu d’une intervention qui aurait été stérile. C’est pourquoi la journée du Six Février n’a pas donné de plus grands résultats.
Maurice Pujo
* étude (extraits) publiée par la Revue Universelle du 15 juillet 1938.
Pour nourrir un éventuel débat. Dans « Je suis partout » Lucien Rebatet donnait son témoignage oculaire et avouait n’avoir pas vu non plus Monk :
« Le Six Février 1934, les chefs nationaux n’étaient pas sur la Concorde. J’y étais, aux minutes les plus meurtrières. Je ne les y ai pas vus, personne ne les y a vus. Ils étaient donc dans leurs postes de commandement. Ce pouvait être leur place. Je les y ai vus aussi, entre deux fusillades. Ils s’y tournaient les pouces, ils y faisaient des mots d’esprit, ils se refusaient à croire qu’il y eût tant de morts que ça ! Ils n’avaient pas une consigne à distribuer, pas une idée en tête, pas un but devant eux. Les uns et les autres étaient moralement les obligés de la démocratie. Hors d’elle, ils n’avaient aucune raison d’exister. Sur ses tréteaux, ils assumaient le rôle obligatoire de l’opposant. Sautant sur une occasion assez considérable en effet, mécontents aussi du limogeage d’un policier indulgent à leurs frasques, ils venaient de se livrer au jeu classique de l’émeute, en forme de menace tartarinesque : « Retenez moi ou je fais un malheur ». Mais pour ce petit jeu là, ils avaient mobilisé des dizaines de milliers de jeunes hommes, de croyants ingénus, d’anciens soldats. Ils les avaient excités, fanatisés, chauffés à blanc. Au moment de l’action, la foule réapprit les gestes du combat et de la barricade, avec des morceaux de plâtre, des poignées de gravier et quelques lames Gillette fichées au bout d’un bâton. Les chefs, qui les avaient jetés poings nus contre les armes automatiques, s’étaient volatilisés, les uns sans doute par calcul (je pense à l’abject La Rocque), les autres, saisis peut-être de vagues et tardifs remords, n’ayant plus guère qu’un souci : nier la gravité de l’événement qu’ils avaient criminellement engendré. Cette nuit là, j’entendis Maurras dans son auto, parmi les rues désertes, déclarer avec une expression de soulagement : « En somme, Paris est très calme ! » Oui, mais c’était le calme d’une chambre mortuaire.
La suite de l’histoire ne fut pas moins déshonorante.
Les « chefs » de la droite firent un concert de clameurs. Certes, les « fusilleurs » étaient ignobles. Mais que leur reprochaient les « chefs » des ligues ? Ils leur reprochaient d’avoir triché en faisant tirer. »
A mon sens l’émeute à échoué pour deux raisons : d’abord parce que certains mouvements d’extrême droite, en particulier les anciens combattants républicains, voulaient bien la manifestation mais pas l’émeute, au nom du vieux réflexe droitier qui veut qu’on ne touche pas aux institutions et que l’on se couche devant la police.
Et d’autres, dont l’objectif était au contraire de renverser la république, soit n’y ont pas cru, soit ont été dépassés par la tournure des événements.
Comme durant la première guerre mondiale, la république à survécu et même en est sortie renforcée.
Renforcée si l’on veut … Pour pas très longtemps, si l’on pense à la suite. Trois ans après.
On s’interroge : La situation était-elle mûre, en 1934 ? Elle n’est jamais mûre; C’est aussi qu’on nous répète aujourd’hui et hier alors que le vaisseau cette fois en février 2014 fait eaux de toutes parts, que le régime au sens propre, rend son eau noire.
Il faut oser L e loyalisme républicain de vrais patriotes en 1934 me fait un peu penser au loyalisme des officiers allemands devant un régime qu’ ils méprisaient; Il a fallu Sophie Scholl et von Stauffenberg pour les mettre devant leurs responsabilité. Après l’attentat raté, le bilan de ce loyalisme est accablant :ils ont refusé de le suivre en grande majorité. Comparaison scandaleuse ?
En tous cas , c’est bien cette république – qui a toujours su faire endosser sa corruption interne par ceux qui la combattent à juste titre, comme aujourd’hui où elle accuse d’intolérance ceux qui s’opposent à sa folle intolérance – qui s’est couché devant Hitler en 1936.
Ce fut véritable cause de l’effondrement de 40 et du reste. Le désastre était bien en gestation chez elle.
Une fois la défaite consommée le reste a suivi.
Pourtant, la situation est parfois « mûre » pour certains. Peut-être faudrait-il se demander comment l’on prend le pouvoir, en France, historiquement, c’est à dire concrètement, depuis Hugues Capet.
Le pouvoir est resté longtemps entre les mêmes mains, celles d’une dynastie, entre 987 et 1789. Mais, ensuite, il y a la Révolution, Bonaparte, Louis XVIII, Louis-Philippe, Louis Napoléon Bonaparte, Philippe Pétain, Charles De Gaulle. Ceux-là ont « pris le pouvoir ». Examiner comment ils l’ont fait, nous serait peut-être plus utile que de raisonner dans l’abstrait ou de ressasser l’histoire assez triste, somme toute, des journées d’émeute ratées de février 1934.
Dans « Si le coup de force est possible », au tout début de l’Action française, Maurras examine la chose historiquement et très concrètement. La manifestation de rue, les « pavés », si j’ai bonne mémoire, n’y oont pas une grande place …
Mon père y était (j’ai oublié son numéro de section CDR) et pour lui l’échec le jour-même tenait tout entier à la pusillanimité des Croix-de-Feu qui, au moment où il fallait pousser, ont tourné les talons et sont rentrés à la maison !
Pour la suite, il partageait l’analyse de Pujo. Rien n’était prêt. On faisait le journal, point-barre !
Après deux garde-à-vue pour rien, il s’est rangé des voitures et a fini ses études… avant d’être mobilisé.
Le commentaire de Catoneo me rappelle ce que me disait mon père, Camelot lui-même et fis de Camelot, qui n’était pas à Paris mais qui « fit » le 6 février à Marseille, avec la section d’AF locale, essuyant les crachats des « cocos » (car il y avait de l’opposition à nos manifs, il ne faut pas se leurrer !…) lorsque le défilé emprunta la rue Saint Férreol (plein centre-ville) pour aller à la Préfecture. Les récits de mon père m’étaient d’ailleurs confirmés par un autre Camelot, que j’ai beaucoup aimé, Louis Ducret, trésorier de la section d’AF de Marseille : il me racontait comment lui, Ducret, qui portait le drapeau de la section, avait du, à un moment, se cramponner à celui-ci afin qu’il ne lui soit pas arraché par un groupe de nervis cocos/socialos sur-excités et qui l’avaient couvert de crachats et d’injures… Plus volcanique et moins diplomate, sans doute, que le père de Catoneo, mon père m’a toujours parlé de la « trahison » (et non « pusillanimité ») de « ce salaud de de la Rocque »… Il est certain qu’il a eu une fin plus digne que son action lors du 6 février, mais sa fin est une autre affaire… Pour le reste, comme pour le père de Catoneo, c’était l’analyse de Pujo qui prévalait à la maison, et on n’avait pas trop intérêt, si l’on ne voulait pas se faire mettre à la porte, à critiquer l’AF…
Alors, « union des patriotes », comme le disent certains aujourd’hui ? Mais, outre qu’on a déja donné, il y a des patriotes partout, en France, de l’extrême droite à l’extrême gauche, quand les gens ne sont pas « idéologues » : peut-on donc bâtir une stratégie sur cette vague, très vague chose, qu’on appelle – un peu facilement – « l’union des patriotes »… ?
Exact académos l’expression » union des patriotes » est ambigüe comme le patriotisme d’union sacrée, elle mérite d’être changée ou approfondie . Dirons nous union des » Politiques » au sens supérieur soucieux de voir leur pays ne plus être otage de ce qui le détruit. union de ceux qui prennent leurs responsabilités, bref d tout ceux qu’un amour raisonnable et non idolâtre à leur communauté de destin rassemble autour d’une légitimité retrouvée…
Ah, oui ! Union des Politiques, « au sens supérieur », tel qu’il est précisé par Henri, c’est, en effet, toute autre chose. Et c’est infiniment mieux.
Dans une « union des patriotes », en fait politicienne et élkectoraliste, l’AF, au mieux, n’aura qu’un strapotin, alors qu’elle est la seule à se relier à une pensée politique à la hauteur des défis du monde actuel; dans une « Union des Politiques », par définition, elle pourrait, au contraire tenir son rang, être utile au pays, cesser de n’être qu’un supplétif.