Les Lundis.
Par Louis-Joseph Delanglade*.
Jacques Chirac a donné toute la mesure de sa médiocrité le jour où il a refusé de célébrer le bicentenaire de la magnifique victoire d’Austerlitz (2 décembre 1805). Aussi ne critiquerons-nous pas M. Macron : cinq ans après son hommage à Jeanne d’Arc (« Jeanne était une bergère, Jeanne n’était personne, mais elle porte sur ses épaules la volonté de progrès et de justice de tout un peuple. Elle était un rêve fou, elle s’impose comme une évidence » – Orléans, 8 mai 2016), il a voulu évoquer, à l’occasion du bicentenaire de sa mort, le souvenir de celui qui fut l’empereur Napoléon.
Il a bien fait, ne serait-ce que pour ne pas céder à la prétention de ceux qui, rejoignant ainsi le délétère courant post-moderne et déconstructeur, prétendent, au moins pour les plus enragés d’entre eux, aller jusqu’à « annuler » une Histoire au motif que des actes ou événements ne leur conviennent pas : en l’occurrence le rétablissement de l’esclavage de 1802. On pourrait faire remarquer, bien sûr, que ce rétablissement (décret du 20 mai 1802) n’est pas le fait de Napoléon empereur (1804), mais bien du général Bonaparte, Premier consul depuis 1799. Le vrai reste que, et cela ne devrait pas plaire non plus à tout le monde, surtout pas aux communautaristes nombrilistes, cette mesure n’est qu’une péripétie historique d’ordre secondaire.
On se rappelle que, dans sa dystopie, George Orwell met en scène la suppression de toute trace d’un passé historique non conforme à l’idéologie régnante ( « Celui qui a le contrôle du passé a le contrôle de l’avenir ; et celui qui a le contrôle du présent a le contrôle du passé »). En fait, Orwell n’a fait qu’imiter la réalité totalitaire. On revoit les clichés truqués de l’époque stalinienne : tantôt on fait disparaître la victime de la dernière purge, Staline restant finalement seul sur la photo de 1926, après effacements successifs des camarades devenus indésirables ; tantôt c’est Staline lui-même qui a disparu, par exemple de la photo prise lors de la signature du pacte germano-soviétique. Plus près de nous, dans la Chine communiste contemporaine, on ne trouve plus aucune trace – écrite, sonore ou visuelle – des événements de 1989, notamment de la tuerie de la place Tian’anmen. Aujourd’hui même, la radio-télévision publique hongkongaise purge ses archives de toute référence aux manifestations de 2019.
’Histoire, même la nôtre, court donc bien un risque de dénaturation, voire de disparition. Revenons à Napoléon. On peut, comme Eric Zemmour, considérer que dans le Napoléon tout est bon (« De Bonaparte à Napoléon, j’assume tout »). On peut, comme le Comte de Paris, avoir pris part aux cérémonies du bicentenaire de sa mort « en tant que descendant du roi Louis-Philippe, le dernier roi des Français, qui avait organisé le retour des restes de Napoléon Ier en France en 1840. » On peut même, comme Laurent Joffrin, admirer son oeuvre civile et son génie militaire, avec la mauvaise conscience que donne à un homme de gauche cette admiration pour un homme des plus autoritaires et de surcroît esclavagiste.
Le mieux reste évidemment de porter un jugement strictement politique et plutôt négatif sur cet empereur, enfant naturel des Lumières et de la Révolution, dont l’ubris a laissé une France tellement amoindrie qu’on n’est pas sûr qu’elle s’en soit jamais remise. C’est l’analyse de Jacques Bainville : « Sauf pour la gloire, sauf pour l’ « art », il eût probablement mieux valu qu’il [Napoléon Bonaparte] n’eût pas existé. »
Mais, justement, on ne peut pas faire comme s’il n’avait pas existé. Alors on commémore, on célèbre, on a des problèmes de conscience, on le condamne même : c’est notre Histoire. ■
** Agrégé de Lettres Modernes.
Retrouvez les Lundis précédents de Louis-Joseph Delanglade.
© JSF – Peut être repris à condition de citer la source
Pour les Chouans il restera celui qui a restauré l’usage de la torture et de la dénonciation rémunérée ; même s’il n’était pas encore empereur (mais ça ne va pas s’arranger après!).
Pour nous il reste « l’usurpateur » le règne des nouveaux riches …mais il a surtout fait face aux coalitions et beaucoup de ses guerres lui ont été imposées. Ce n’était pas un tendre , une sorte de génie (dans la mesure où il sortait de l’ordinaire) pour faire rayonner la France en bien ou en mal …
Napoleon c’est le duc d’Enghien ,.c’est aussi Austerlitz.
Notre époque où on prétend redresser les torts et imposer de nouvelles notions de vertu est faite de la nullité et de la platitude qui fabriquent le déclin.