Par Rémi Hugues.
Réflexions, variations, autour du livre de Pierre de Meuse « Idées et doctrines de la Contre-Révolution ». Suite de 21 articles à paraître les jours prochains, sauf le weekend.
Et nous vivons aujourd’hui les effets de ce troisième cycle révolutionnaire, du Yémen au Liban en passant par lʼIrak. Tout a commencé en Tunisie, pour se poursuivre en Égypte, en Libye, au Bahreïn et en Syrie.
À chaque fois les Frères musulmans prennent une part décisive au renversement des dictateurs en place, que ce soit Ben Ali, Moubarak ou Khadafi. Le vaillant al-Assad est le rescapé miraculeux de cette curée à la sauce arabo-musulmane. En Tunisie et en Égypte des membres des Frères musulmans sortirent vainqueurs des scrutins de sortie de crise. Le parti Ennahda pour le premier pays, Morsi pour le second. Toutefois la gestion erratique des Frères musulmans égyptiens conduisit, à lʼété 2013, à une contestation majeure, qui amena al-Sissi, à prendre les rênes du pouvoir.
Le parti de la Fraternité, qui, potentiellement, pourrait sʼétendre des rives atlantiques du Maroc aux archipels dʼIndonésie et de Malaisie, voit, au sein du monde musulman, un ennemi de taille, lʼIran, dont la révolution islamique de 1979 ne relève en rien du processus révolutionnaire, mais contre-révolutionnaire, ou du moins partiellement.
À ce sujet, notre auteur note : « La Révolution islamique (chiite) se présente tout autant comme une contre-révolution que comme une révolution, puisque Khomeiny voulait rétablir – et lʼa dans une large mesure effectué – les fonctions données au clergé dans lʼancien régime : tribunaux, fondations, enseignement.
De même lʼidentification retrouvée dans la nation iranienne multi-millénaire avec lʼislam chiite dans sa complexité est une œuvre de la Révolution islamique de 1979. On peut même observer que la distinction établie par Marcel Gauchet entre lʼ « hétéronomie » des sociétés traditionnelles et lʼ « autonomie » de la modernité sʼapplique parfaitement à lʼIran actuel.
En effet, lʼidée que le monde nʼest pas totalement soumis à la volonté de lʼhomme, mais reste plus ou moins incontrôlable par lui est une notion commune à la Contre-révolution doctrinale et à la pensée des mollahs. Du reste, la conception du Velayat e faqih qui sous-tend le régime islamique actuel nʼest rien dʼautre que lʼancienne idéologie royale des souverains Qadjar, dans laquelle la fonction royale a été remplacée par le Guide religieux.
Le Velayat e faqih, que lʼon traduit généralement par la « Régence du Vicaire », est une forme politique destinée à sacraliser le pouvoir temporel, celui-ci nʼétant que lʼexpression du pouvoir spitituel. Lʼélavoration de ce concept par les Shahs Qadjârs remonte à lʼétablissement de cette dynastie à lʼextrême fin du XVIIIème siècle, pour en finir avec une période de vingt ans de désordres après la dépossession de la dynastie séfévide, qui avait fait du chiisme la religion de la Perse. Bien entendu la dynastie des Reza, après le renversement des Qadjârs, renversa également cette idéologie de pouvoir, avec un régime laïque à la Mustapha Kemal. » (p. 199)
Quant au kémalisme, qui trouve son origine dans la révolte des Jeunes-Turcs, il appartient au premier cycle de la Révolution – celui de 1789, de la Liberté – tandis que la Turquie dʼErdogan est très liée aux Frères musulmans.
Cʼest même la première puissance, le foyer en somme, du parti de la Fraternité. [À suivre demain vendredi] ■
* Un viatique pour les années 2020 [1] [2] [3] [4] [5] [6] [7]
À lire de Rémi Hugues Mai 68 contre lui-même (Cliquer sur l’image)
© JSF – Peut être repris à condition de citer la source