Pour celles et ceux qui penseraient -peut être….- que nous parlons trop souvent des problèmes d’insécurité; ou que nous exagérons quand nous critiquons la politique que mène la république, quand nous disons qu’elle conduit à la banalisation et à l’institutionnalisation de la violence et de la délinquance ordinaire (la pire, donc…)…..
Voici -sans autres commentaires- l’article publié dans Le Monde du vendredi 25 avril, sous le titre « Grigny: l’état d’urgence »…..
Au fond du local des boulistes, béret sur la tête et langue bien pendue, un sexagénaire joue aux dominos avec un ami. A côté, sur une autre table, les copains retraités font une partie de rami. Dehors, au milieu des immeubles, c’est la pétanque de 16 heures au soleil. Ambiance formica, verre de thé et franche rigolade : « On n’est pas heureux, là ? » La petite troupe d’anciens acquiesce généreusement. Bienvenue dans le quartier de la Grande-Borne à Grigny (Essonne).
Bienvenue ? En fin d’après-midi, au même endroit, où à quelques dizaines de mètres, selon les soirs, l’ambiance peut changer radicalement. Des adolescents ou de jeunes adultes enfilent des cagoules ou se dissimulent sous leurs capuches. Puis ils remplissent des chariots Leclerc avec des pierres ou des cocktails Molotov. Et se lancent à l’assaut des policiers en patrouille. Le ministère de l’intérieur parle de véritables « guets-apens ». Convaincus qu’un jour il y aura un mort, les policiers de terrain évoquent, eux, des scènes de « guérilla urbaine ».
De la quiétude du terrain de pétanque à l’émeute et à l’ultraviolence. Des vieux immigrés, qui s’excuseraient presque d’être là, aux jeunes cagoulés clamant leur haine de l’Etat. Du jour à la nuit. Quantitativement, le noyau dur des émeutiers représente une cinquantaine d' »individus ». A peine plus, si l’on ose dire, que le noyau dur des boulistes. Une goutte d’eau sur les 11 000 habitants du quartier, coincés entre l’autoroute A6, une route nationale et une zone industrielle. Mais un impact social énorme. L’image d’une ville tout entière, l’image d’une jeunesse enragée.
Dans le palmarès informel des cités difficiles, la Grande-Borne est au sommet. « Certainement un des quartiers les plus durs d’Ile-de-France », note Michel Lernoux, procureur adjoint de la République à Evry. Toujours précurseur dans les violences urbaines, bien plus sensible, en réalité, que Clichy-sous-Bois (Hauts-de-Seine) ou Villiers-le-Bel (Val-d’Oise), les stars mondiales des french riots. Les premiers coups de feu contre les policiers pendant des émeutes ? A Grigny, lors des violences de l’automne 2005, puis à nouveau en mars 2008. La mode des incendies de bus ? Grande-Borne, octobre 2006. Les « caillassages » de pompiers ? Les mortiers improvisés avec des feux d’artifice ? Les attaques de particuliers sur la nationale ? Les incendies d’école ? De voitures ? La Grande-Borne, encore et toujours. Le quartier, dont une petite partie se trouve sur le territoire de Viry-Châtillon, était pourtant né d’une utopie. Celle de l’architecte Emile Aillaud de créer une cité-dortoir qui devienne une « cité des enfants ». Des immeubles de deux ou trois étages, construits entre 1967 et 1971 pour faire face à la poussée démographique. Des ruelles piétonnières qui serpentent entre les bâtiments colorés. Des places où les anciens prennent le soleil l’après-midi et où les enfants peuvent jouer. Et, au milieu de ce triangle, un immense espace vert – pelouse, pâquerettes, arbres – qui donne un faux air de campus universitaire, en moins bien entretenu.
Mais cette utopie s’est transformée en cauchemar sécuritaire. Les livreurs ne viennent pas – ou alors, avant 10 heures du matin, avant que les « racailles » qui se couchent tard ne commencent à se réveiller. Des médecins refusent les visites. Une partie des commerçants ont baissé le rideau, fatigués de subir des braquages. Des enseignants ont fait grève après plusieurs agressions. Les employeurs mettent de côté les CV où figure l’adresse de la cité. La police, elle, envoie régulièrement un hélicoptère survoler le quartier. Des patrouilles incessantes en journée. Des fouilles de véhicules, des contrôles d’identité innombrables. Des camionnettes de CRS qui tournent au ralenti le soir et qui donnent le sentiment de se trouver dans un territoire occupé.
Quelques dizaines d’adolescents face à l’Etat. Une poignée de jeunes face à 11 000 habitants. Le rapport de forces semble déséquilibré. Et pourtant, ce sont les premiers qui tiennent le territoire, qui imposent leur loi. Les anciens comme les mères de famille peuvent certes circuler en toute tranquillité. Y compris la nuit. Mais à condition de ne pas regarder ce qu’ils ne doivent pas voir – ou du moins de faire comme s’ils n’avaient rien vu. Les boulistes peuvent bien jouer, rigoler, plaisanter, vivre leur vie – et ils ne s’en privent pas. Mais à condition de ne pas déranger, de ne pas se mêler des affaires des autres.
« On est bien ici, mais faut se tenir à sa place », répète le président de l’association des boulistes retraités, dans le quartier depuis 1971. Il refuse que son nom soit publié. On le comprend : derrière le terrain de pétanque, sur les places bétonnées, c’est une autre partie qui se joue, partiellement invisible. Selon la police, la zone est une « plaque tournante » du trafic de stupéfiants, essentiellement du cannabis amené par l’autoroute A6. Un secret de polichinelle dans la cité. « Il y a des centaines de kilos qui transitent par cette place », glisse un commerçant.
La Grande-Borne, c’est finalement l’histoire d’une prise de pouvoir par une poignée de jeunes. Lorsque commence une émeute, une bagarre, lorsque se déroulent des opérations liées aux trafics, les adultes poursuivent leur chemin, comme si de rien n’était. Agnès Daviau, 77 ans, dont trente-six passés à la Grande-Borne, n’a pas peur de vivre au milieu du quartier. La militante, bénévole dans une association de soutien scolaire, réfléchit. Aucune agression subie. Pas de menaces particulières. Mais une obligation de discrétion qu’elle a intégrée dans sa vie quotidienne. « Faut pas prendre la mouche, ici. Un jeune peut te bousculer parce qu’il a un truc dans les oreilles », raconte cette ancienne « travailleuse familiale ». « Quand on leur parle, on met pas de violence dans nos réponses. Quand ils font du bruit à 23 heures, devant nos fenêtres, on est tolérants. »
Sylvie Alipio, 35 ans, six enfants, prend le café chez son amie, Orkia Benaïssa, 39 ans, trois enfants, au milieu de la Grande-Borne. Salon oriental, immense écran plat, appartement briqué. Elles racontent la convivialité et le plaisir d’habiter un « village » qui font oublier la difficulté à boucler les fins de mois avec un RMI. Mais Sylvie Alipio décrit aussi la loi implicite de la cité. Rester discret, laisser faire plutôt que de prendre le risque d’intervenir.
« Quand on habite ici, il ne faut jamais montrer qu’on a peur. Il faut toujours faire comme si c’était normal. Il y a une arme ? C’est normal. Il y a une bagarre ? C’est normal. Il y a une émeute ? C’est normal. » Avec quelques parents d’élèves, les deux mères de famille tentent de faire évoluer cette culture du silence. Courageusement, elles ont organisé une marche contre la violence à l’automne 2007. Mais la reconquête est difficile : « Au fond, les adultes ont peur des enfants. Même des gamins de 10 ans », se désole Sylvie Alipio.
Le problème, c’est qu’à la Grande-Borne, la jeunesse déborde. Avant d’être la ville des émeutes, Grigny est la ville des poussettes. Près de 800 naissances par an, soit un millième du total des naissances en France pour une commune de 25 000 habitants. Le taux de natalité de la ville se situe exactement entre la moyenne française (13 naissances pour 1 000 habitants) et la moyenne du continent africain (38 pour 1 000). Des gamins partout, dans les crèches, les écoles, le collège, au bas des immeubles, dans les halls, sur les places, au gymnase, sur les stades : 28 % de la population ont moins de 14 ans, 23 % ont entre 15 et 29 ans. « On doit être la ville la plus jeune de France », relève Omar Dawson, 29 ans, titulaire d’un DESS en commerce international, créateur de sa PME dans l’audiovisuel.
Grigny sert de porte d’entrée aux migrants qui arrivent en provenance d’Afrique noire, notamment. Des zones rurales à la banlieue parisienne, la secousse est rude. Oreillette Bluetooth qui clignote, pantalon et veste en jean, De-Charles Claude Aka, fils de diplomate ivoirien, a longtemps été éducateur spécialisé dans les rues de Grigny. Il s’occupe aujourd’hui d’une association qui propose des cours d’alphabétisation. De ce poste, il observe, au quotidien, le choc culturel pour les parents et les enfants. « Quand les familles arrivent ici, elles sont sur une conception traditionnelle de l’éducation : elles pensent que tout le monde va être responsable des enfants. Que les voisins, les tantes, les cousins vont surveiller les gamins. »
Au milieu de fratries importantes, notamment lorsqu’il s’agit de familles polygames, ces jeunes finissent par s’élever tout seuls ou entre eux. Dans la rue, pour certains. Dans son F5, au 2e étage, Orkia Benaïssa montre du doigt le bâtiment en face de chez elle. « Un soir, il faisait nuit, il y avait des petits de 8 ans qui jouaient sur le toit. Ils pouvaient tomber et se tuer. Les parents, ils sont où ? » Pas démissionnaires, mais dépassés par un mode de vie et des codes sociaux qu’ils ne maîtrisent pas. Dépassés par l’obligation d’assurer la survie immédiate. Déboussolés aussi par leurs enfants qui apprennent le français plus rapidement et qui obtiennent un statut d’adulte en rapportant un peu d’argent grâce au « business ». Le résultat est désastreux : une large partie des jeunes quitte le système éducatif sans le moindre diplôme. Donc sans possibilité d’insertion durable.
A la rupture culturelle s’ajoutent la précarité et la pauvreté. Le chômage est deux fois plus élevé à la Grande-Borne que sur le reste du territoire. Les revenus sont inférieurs de moitié à la moyenne nationale. Une situation connue : depuis trente ans, les pouvoirs publics n’ont jamais cessé d’envoyer dans le quartier les familles les plus en difficulté. « On ramène à la Grande-Borne tous ceux dont on veut pas ailleurs. Et on s’étonne que ça n’aille pas bien ! », note le président des boulistes, nostalgique du temps où il y avait encore des « Français » – comprenez des « Blancs » – en nombre. L’Etat a beau avoir la volonté d’investir des centaines de millions d’euros pour la rénovation urbaine, c’est le sentiment d’abandon qui prévaut. « La Grande-Borne, c’est comme le triangle des Bermudes. On vous y met et c’est comme si vous y disparaissiez de la société », résume Omar Dawson.
Des jeunes, des pauvres, des « sans-avenir ». Un cocktail explosif. Avec un acteur qui fait l’unanimité contre lui et fédère les générations : la police. Les jeunes sont les seuls à jeter des pierres contre les forces de l’ordre mais la colère est beaucoup plus vaste. Plus inquiétante aussi. La perte de confiance est totale et générale. « Le manque de respect de la police, c’est pour les habitants le signe du manque de respect de la société tout entière », décrypte Hervé Seurat, l’écrivain public du quartier qui vivote en rendant service à des adultes perdus dans les démarches administratives.
Vieux, jeunes, hommes, femmes, les habitants ont tous des anecdotes vécues personnellement. Le patron des boulistes, du haut de ses 67 ans : « Quand un policier vous arrête à Paris, il vous salue poliment. Ici, il demande de mettre les mains sur le toit de la voiture. » Alain Huillé, 56 ans, le président de l’amicale des locataires, habitant de la Grande Borne depuis trente-deux ans : « L’autre jour, on va acheter une pizza. On passe devant des CRS qui nous contrôlent. On revient par l’autre côté et d’autres CRS nous contrôlent. » Orkia Benaïssa : « Il y avait une altercation en bas de chez moi. J’ai dit au policier : « Vous n’y arriverez pas sans discuter. » Ils m’ont répondu : « On n’est pas là pour se faire écouter. » Comme je parlais avec les mains, un autre policier est arrivé et a pointé son flash-ball sur moi. »
Pour les travaux pratiques, il suffit de suivre une patrouille dans le quartier. Contrôle d’identité, tutoiement de rigueur et dialogue musclé avec deux jeunes sur un parking en milieu d’après-midi. Le policier approche son visage à une dizaine de centimètres de son interlocuteur du même âge : « Tu restes pas là, tu rentres chez toi, maintenant. » Un abus d’autorité mais les deux jeunes sans uniforme plient bagage devant le jeune en uniforme. Ils connaissent la règle : un mot de trop, et c’est l' »outrage » avec condamnation quasi automatique. On connaît malheureusement la suite. Pour les plus solides ou les plus raisonnables, un sentiment d’injustice. Pour les plus fragiles ou les plus violents, la tentation des représailles une fois la nuit tombée : la rage au ventre, une capuche sur la tête, une pierre dans la main… Et Grigny explosera à nouveau.
On n’a qu’a lire les paroles de certaines chansons de rappeurs pour voir que tout est déja écrit… Il faut matter ces voyous et ceux qui ne sont pas Français doivent être renvoyer chez eux. Pour les autres employons les méthodes Américaine vues dans l’émission « Reportage » samedi dernier. S’il n’est pas mis fin rapidement à ces actes de barbarie, un jour le peuple de France se lévera et nous irons vers une situation Bosnie- Kosovo.