Les Lundis.
Par Louis-Joseph Delanglade*.
Tout commence par une opération de police qui permet à la sécurité biélorusse d’arrêter M. Protassevitch, opposant virulent au pouvoir de M. Loukachenko. Fin du voyage pour le jeune journaliste qui comptait atterrir à Vilnius et se retrouve dans les prisons de son pays : aller simple pour Minsk, donc. Fureur immédiate mais bien compréhensible des médias occidentaux qui n’ont pas de mots assez violents pour stigmatiser l’arrestation de leur confrère, d’un des leurs : M. Loukachenko a commis une faute inexpiable, lui qui pensait sans doute, et non sans quelque raison, neutraliser un ennemi dont la proximité suspecte avec l’Otan et les Etats-Unis est avérée.
Il est pourtant excessif de parler d’un « acte de piraterie aérienne » : en intervenant dans leur espace aérien, les autorités de l’Etat souverain de Biélorussie n’ont pas enfreint la Convention de Chicago qui coordonne et régule le transport aérien international depuis 1944. Rappelons ici deux précédents fameux. Le 22 octobre 1956 (gouvernement S.F.I.O. de Guy Mollet), un DC-3 marocain mais immatriculé en France, convoyant de Rabat à Tunis cinq des principaux dirigeants du F.L.N., est contraint par la chasse française de se poser à Alger. Plus près de nous, le 2 juillet 2013, les Etats-Unis de M. Obama obtiennent de la France, de l’Italie et de l’Espagne qu’elles trouvent un prétexte pour fermer leur espace aérien au Dassault Falcon 900 du président bolivien Moralès, l’obligeant à atterrir à Vienne pour que puisse y être appréhendé l‘espion Edward Snowden que les Américains pensaient (à tort) être à bord.
Cela dit, le plus étonnant reste cette ambiance de retour à la guerre froide qui a régné en Europe au début de la semaine dernière. M. Bourlanges, député Modem des Hauts-de-Seine et président de la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale, déclare au micro de France Inter que le détournement de Minsk constitue une « atteinte caractérisée à l’Union européenne ». Et, de fait, l’U.E., peut-être grisée par l’emballement médiatique, plonge dans un psychodrame qui confine à la paranoïa : elle s’estime agressée. Par la Biélorussie ? On rêve.
La comédie ne dure qu’un moment : on comprend vite qu’il s’agit pour elle d’exploiter au mieux cette occasion inespérée de redorer son blason, terni récemment par l’humiliation moscovite de son Haut représentant, M. Borrell. L’évocation récurrente de ce souvenir dans les propos de nombreux oligarques européens montre bien que, derrière M. Loukachenko, c’est M. Poutine qui est visé. Prises par l’U.E. dans la précipitation, les sanctions aériennes contre la Biélorussie sont ainsi censées signifier au Kremlin qu’on sait se faire respecter. On verra bien le résultat de ce « test de crédibilité ». Pour l’instant, « les vingt-sept » paraissent tous (ou presque) très satisfaits d’eux-mêmes – comme quoi, il leur en faut peu.
Ils oublient simplement que rien, à ce jour n’accrédite la thèse que Moscou ait été seulement informé de l’opération et encore moins ait donné son feu vert. Que MM. Poutine et Loukachenko se soient rencontrés à Sotchi samedi dernier ne prouve qu’une chose : M. Poutine, lui, est en train de tirer profit de la situation en monnayant son soutien à M. Loukachenko, lequel aurait donc bien agi de sa propre initiative. Les petites manœuvres de l’U.E. seraient donc plutôt contre-productives. De toute façon, cette Union n’a pas la dimension politique qui lui permettrait de traiter avec la Russie. C’est bien M. Biden, l’Américain donc, que M. Poutine viendra rencontrer à Genève le 16 juin prochain. Il y a fort à parier que le tropisme états-unien de la quasi-totalité des pays de l’U.E. primera : on s’alignera. M. Borrell pourrait alors faire le voyage de Minsk, pour des discussions correspondant à son niveau : qu’il n’oublie pas alors son billet de retour. ■
** Agrégé de Lettres Modernes.
Retrouvez les Lundis précédents de Louis-Joseph Delanglade.
© JSF – Peut être repris à condition de citer la source
A signaler aussi, sur le sujet, ce très bon retour sur les faits et quelques conclusions:
https://www.investigaction.net/fr/detournement-du-vol-ryanair-fr4978/