PAR PIERRE BUILLY.
Remontons les Champs-Élysées de Sacha Guitry (1939).
On pourrait un peu sommairement classer l’œuvre filmé de Sacha Guitry en trois catégories : les adaptations de pièces de théâtre, comme Mon père avait raison, Désiré ou Quadrille, les fictions, comme Le roman d’un tricheur, Ils étaient neuf célibataires ou La poison et les fresques historiques, des Perles de la Couronne à Si Paris nous était conté en passant par Le destin fabuleux de Désirée Clary.
A mon goût, Remontons les Champs-Élysées est ce que Guitry a fait de mieux dans ce qu’il appelle lui-même, en préalable, une fantaisie filmée. Je crois bien qu’il est l’inventeur et l’illustrateur le plus fameux de ce genre, qui a mêlé, pour le bonheur de millions de spectateurs éblouis la grande Histoire et l’anecdote.
Il se peut que Si Versailles m’était conté ait eu plus de spectateurs, et ait davantage marqué la mémoire immédiate ; mais c’est, à mes yeux en tout cas, un joyau un peu moins pur du genre, du fait des numéros d’acteurs célèbres, qui en sont certes un des charmes, mais qui détournent légèrement l’attention en la focalisant, à plusieurs reprises, sur le jeu de l’un ou la transformation étonnante de l’autre.
Dans Remontons les Champs-Élysées, rien de tout cela : aucun acteur vraiment célèbre, à peine quelques notoriétés ici et là : Lucien Baroux, Jane Marken, Sinoël et quelques autres ne sont pas vraiment des étoiles de première magnitude. On est donc tout au sujet, et – évidemment ! – tout à Guitry lui-même ; qui ne le supporte pas est donc ardemment prié de passer son chemin loin de ces Champs-Élysées là, puisque le Maître y joue deux rôles essentiels et occupe une bonne moitié du temps le devant de la scène.
Mais si l’on aime, le festival est superbe et étonnant ! Après la Guerre, il me semble, et du fait des injustes mésaventures connues à la Libération, Guitry deviendra plus acide, plus grinçant, même, et ne retrouvera pas – ou ne cherchera plus – la désinvolture, la légèreté, l’insouciance qu’on perçoit ici.
Cette façon d’entrelacer des histoires personnelles, des anecdotes spirituelles à la grande Histoire, de faire en sorte que l’on se demande à tout moment si ce qu’on nous montre de plus invraisemblable, de plus étonnant, n’est pas vrai, cela c’est le grand art de Guitry ; présentant avec grâce coups de théâtre et révélations, l’inimitable voix de l’auteur nous dit à tout instant »Et cela est rigoureusement exact » ou »Et c’est l’absolue vérité’‘ d’un ton si convaincant que nous nous empressons de le croire, ou de faire comme si… Vérités historiques ? Assurément non ! Mais appréhension de l’esprit de l’Histoire, ce qui est assurément bien mieux, bien plus fort et bien plus pénétrant.
Et aussi merveilles des mots, jonglerie étourdissante de chaque instant, traits d’esprit exquis (Louis XV commençant à se lasser de la Marquise de Pompadour, mais ne pouvant se résoudre à la délaisser : »Il y était très attaché ; mais sentir qu’on est très attaché, c’est en somme s’apercevoir qu’on n’est pas libre. »).
Amour profond de la France, enfin, amour de tous les siècles, au delà des régimes, qui sont passagers, qui correspondent à certains états d’âme du moment, et qui ne dissimulent en aucun cas la permanence du pays.
Et c’est ainsi, d’ailleurs que se termine le film qui, je le rappelle, est de 1938, à un moment où l’on ne peut plus ignorer les nuages qui s’amoncellent : Il est trois mots qui nous mettront toujours d’accord, et ces trois mots, disons-le bien haut, ces trois mots sont Vive la France !‘ ■
Quelques remarques adventices.
– Je ne me souvenais plus du tout que c’est dans Remontons les Champs-Élysées que l’on entendait, pour la première fois, le célèbre quatrain qui clôt Si Versailles m’était conté et qui est la plus belle défense qui se puisse de l’œuvre de Louis XIV :
On nous dit que nos Rois dépensaient sans compter
Qu’ils prenaient notre argent sans prendre nos conseils
Mais quand ils construisaient de semblables merveilles
Ne nous mettaient-ils pas notre argent de côté ?
– Il me semble que la scène où, à l’heure de la disparition de Louis XV, en 1774, on souffle une bougie qui brûle sur la balustrade du balcon de la chambre du Roi à l’heure précise de sa mort, apprenant ainsi au Dauphin qu’il devient Louis XVI, et la course éperdue des courtisans vers le nouveau Souverain a été reprise presque exactement par Jean Delannoy dans Marie-Antoinette, Reine de France..
– Quelqu’un saurait-il si Peter Sellers (ou, pourquoi pas ?, Stanley Kubrick !) a vu Remontons les Champs-Élysées ? La ressemblance de la dégaine du Docteur Folamour et de Louis-Philippe (André Marnay) est si hallucinante que je m’interroge sur un improbable et pourtant vraisemblable hasard…
Le DVD n’existe que dans le coffret « l’âge d’or » qui présente 9 films de Guitry ; env. 100 € mais ça en vaut la peine.
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Guitry a subi les outrances de la Libération et les basses vengeances de la médiocrité sur l’intelligence , il a pressenti le déclin de la France et serait effondré par ce qui s’y passe actuellement où ce qui faisait l’essence même de l’esprit frnçais n’existe plus. Sacha Guitry est mort à temps.
( excusez moi j’ai vécu cette période et comme le disait également Jean Rochefort je n’ai pas exactement le point de vue politiquement correct actuel )