Léon Daudet n’est pas l’objet de cette sorte de détestation a priori dont certains entourent encore le nom et l’œuvre de Charles Maurras. Il s’en est distingué sur les plans esthétique et littéraire, aucunement en matière politique. Le lit-on ? Qui a-t-il été ? Philippe Conrad a eu la bonne idée de publier le 2 juillet une courte et synthétique notice qui vaut mieux, même s’il faudrait y apporter, de notre point de vue, d’importantes nuances, que les torrents de phrases souvent redondantes et creuses dont Daudet est parfois victime. Nous reprenons ici cette notice. Le lecteur en fera la critique. Au bon et vrai sens du terme.
30 juin 1942, mort de Léon Daudet, politique et polémiste français (° 16 novembre 1867).
Après des études de médecine interrompues, qui lui inspirent Les Morticoles (1894), violente et savoureuse satire des milieux médicaux où apparaissent sa verve et sa causticité, Léon Daudet envisage une carrière littéraire que confirme bientôt Le Voyage de Shakespeare (1895), fresque fantastique sur les problèmes de la création esthétique.
Journaliste-né, il fait ses débuts à La Libre Parole de Drumont. Conduit au nationalisme par l’affaire Dreyfus, son retour au catholicisme se situe avant sa rencontre avec Maurras ; ensemble, ils lancent le quotidien L’Action française, en 1908.
Avec Daudet, le Parti royaliste fait une recrue de choix, qui saura donner « un corps à ce qui n’était encore qu’une doctrine » (E. Weber). Du quotidien, il fait une tribune qui se prête parfaitement à son goût pour la polémique ; il y mène de nombreuses campagnes contre l’espionnage allemand avant 1914, contre le défaitisme en 1916-1917, contre le pacifisme de Briand après la guerre. Sans relâche, il développe son antisémitisme qui dérive en droite ligne de Drumont.
En 1912, il se présente à la députation ; élu, il anime de son talent oratoire une chambre où il est le porte-parole de l’extrême droite. La mort tragique de son fils Philippe, dans des circonstances mystérieuses (1923), le bouleverse ; il en accuse la police et le gouvernement, et les attaque violemment dans ses articles ; inculpé, il se rend après un siège épique, est condamné à la prison, d’où il s’évade pour la Belgique.
Très atteint par la défaite, il se retire en 1940 en Provence et s’occupe de moins en moins de la direction du journal et du mouvement.
Fils d’Alphonse Daudet, ayant épousé en premières noces la petite-fille de Victor Hugo, il est, dans le domaine des lettres, d’un rare éclectisme ; héritier de Drumont et ami de Massis, il défend Gide ; fidèle de Maurras, il voue un culte à Claudel ; non seulement il impose Proust aux Goncourt, mais il lance Bernanos et sacre Céline.
S’il n’a guère réussi dans le roman malgré le succès de scandale remporté par Les Bacchantes (1932), Daudet, qui dans sa jeunesse avait rencontré Hugo et Zola, Gambetta et Renan, a laissé, avec le cycle des Souvenirs (1914-1941), une œuvre importante de mémorialiste.
Il est vrai que cette petite note ne rend pas réellement hommage à l’extraordinaire figure que fut celle de Léon Daudet. Notamment parce que ce l’on appelle ses «talents de polémiste» dépassent largement ce que l’on entend habituellement par ces termes : il était un TRÈS, TRÈS, TRÈS grand écrivain et c’est cette grandeur que l’on entend confondre avec un simple «talent». De plus, c’était un homme touché par l’Esprit ou, plus exactement PÉNÉTRÉ par l’Esprit, si bien que la moindre de ses tournures de style procède directement de l’Intuition intellectuelle… Politique intraitable, intransigeant, violent, il était tel en toutes choses et, très spécialement, en critique «littéraire et artistique» : nulle grandeur n’a échappé à sa conscience intellectuelle profonde, de l’actuel méconnu Élémir Bourges au bien mal connu René Guénon, en passant par Marcel Schwob ou Léon Cladel et jusqu’à Antonin Artaud, sans oublier, en effet, le sublime Paul Claudel… Je tiens Léon Daudet pour quelqu’un de totalement essentiel dans la «culture» française… Certes, il semble ne pas avoir souffert autant que d’autres de l’ostracisme inculte dont les crétins frappent habituellement ceux qui ont du génie, mais, comme d’aucuns ont trouver ici ou là matière à limiter son génie à un banal talent, voilà qui les a rassurés, si bien qu’ils ne l’ont pas vomi, probablement, parce qu’ils l’ont fort mal lu. Ne pas omettre le fait que son œuvre est énorme, à tous les sens du terme : intellectuellement gargantuesque, formidablement synthétique, stylistiquement supérieure à celles de tous les polémistes, culturellement infaillible et, par ailleurs, d’une abondance considérable. Vive Léon Daudet !
Je ne trouve pas que le romancier ait grand intérêt rien à voir avec son père Alphonse, qu’il ne faudrait pas confiner, loin de là, aux « Lettres de mon moulin », « Contes du lundi » et « Tartarin de Tarascon.
Mais les mémoires, souvenirs, chroniques de Léon, judicieusement rassemblés sont absolument remarquables pour qui connait un peu le monde des Lettres, des Arts et de la politique du temps. (excellente édition « Bouquins »).
Je souscris au commentaire précédent. Je trouve que Léon Daudet est trop méconnu alors que c’est une écrivain passionnant., avec ses critiques littéraires, ses récits historiques, son style alerte. N’oublions pas que c’est lui qui, avant tout le monde, a imposé Marcel Proust et ce n’est pas rien. Lisez sa lettre de condoléances au Professeur de médecine Adrien Proust lors du décès de son fils: déchirant !
Il y a 2 récits étonnants: l’enterrement de son père Alphonse , ami de Zola qu’il déteste et qu’il décrit tenant un cordon du poêle devant le corbillard ( avec Drumont), les adjectifs sublimes: une « voix de rogomme stercoraire » !, et puis le coup de tonnerre de la victoire de Mangin le 11 juin 1918 à Mery Courcelles, qui bouleverse enfin le cours de l’avance allemande, alors que Daudet est dans le train qui le ramène de Normandie.
Il a une connaissance profonde de l’Allemand qu’il déteste ( comme Maurras) et de sa mentalité et il a cette idée novatrice à savoir que la langue conditionne la pensée, que ce n’est pas un simple véhicule, par exemple avec la place du verbe dans la phrase.
N’oublions pas son rôle dans la dénonciation du Bonnet Rouge en 1917 , (suicide d’Almereyda en Aout 1917, et démission de Malvy ) après la catastrophe du Chemin des Dames, le 16 avril 1917. A la demande de Malvy lui-même, la lettre de Daudet est lue devant les députés par Paul Painlevé, président du Conseil et ministre de la Guerre, le 4 octobre 1917.
Lisez: : Contre l’Esprit allemand. De Kant à Krupp,1915 et les 8 volumes d’Ecrivains et artistes. C’est lui qui a lancé le fameux « stupide XIX éme siècle » hostile au romantisme.
Je corrige une erreur de mon commentaire récent. Il ne s’agit pas de condoléances au père de Marcel Proust mort bien avant ( 1903) mais au frère Robert, médecin aussi.
« J’ai trop de chagrin pour tenter aujourd’hui même une esquisse du grand écrivain, à la fois traditionnel et neuf, et de l’ami délicieux et sûr qu’était notre cher Marcel Proust. Sa perte sera cruellement ressentie par toute la génération de beaux romanciers, dont il était incontestablement le maître et le premier »
Il ajoute dans l’Action Française: » Si le prix Goncourt n’avait pas en 1919 mis en vedette le nom de Marcel Proust, nous en serions encore, quant à cet étourdissant romancier, au silence, ou aux niaiseries qui accueillirent , par exemple , l’infortuné Arthur Rimbaud, et ce serait honteux. »
Rappelons que Léon Daudet fut l’artisan de ce prix, en 1919, contre Roland Dorgelès., et vint l’annoncer en personne à l’auteur, avec Gallimard.