Avez-vous déjà lu un magazine cynophile ? J’ai bien dit cyno, pas ciné. Bref, un magazine pour les passionnés de chiens. Ça m’est arrivé par hasard. Eh bien, c’est l’expérience intellectuellement la plus dépaysante qu’on puisse faire dans notre joli monde. Imaginez : pas une once d’idéologie ! Des faits, des descriptions, des conseils, des comparaisons, le tout porté par un véritable amour du réel. A quoi s’intéressent les rédacteurs et les lecteurs d’une revue de ce genre ? D’abord aux différentes races de chiens.
Figurez-vous que l’on peut aimer l’espèce canine en général, tout en reconnaissant qu’elle comprend différentes races. C’est d’ailleurs, en partie, ce qui fait le charme d’une espèce. Et l’on prend plaisir à lire la description des caractéristiques bien marquées des différentes races, ce qui suppose l’emploi d’une langue riche, capable de saisir les morphologies, les comportements, les tempéraments, les caractères, les vertus, les travers. On sent chez les rédacteurs et l’on suppose chez les lecteurs un véritable goût pour une chose que l’idéologie contemporaine du métissage voudrait voir disparaître, mais dont, par un mécanisme psychologique d’inversion compensatrice, elle nous rebat les oreilles tout en interdisant qu’on la décrive : la diversité.
Dans une revue comme Atout chien (par exemple), c’est le contraire : on ne parle pas de la diversité, on la pratique. Sur cette question, la position de l’idéologie dominante concernant les humains est totalement absurde. Elle consiste à dire que 1° les races n’existent pas (il est même interdit de prononcer le mot), 2° que la diversité est une bonne chose (mais alors diversité de quoi?) et 3° que le métissage, qui consiste à faire diminuer progressivement la diversité pour aller vers un état général homogène, est quasiment une obligation morale. C’est exactement comme si quelqu’un vous disait : « Les appellations contrôlées pour les vins, ça n’existe pas; mais ce qui est bien, c’est la diversité des vins; d’ailleurs l’idéal, c’est de mélanger tous les vins. » On pourrait légitimement conclure qu’on a affaire à quelqu’un qui ne comprend pas le sens des mots, ou qui a définitivement renoncé au principe de non-contradiction.
Mais revenons à nos chiens. Car ce n’est pas tout. Les magazines cynophiles traitent beaucoup du dressage et donnent aux maîtres des conseils d’éducation. On y apprend par exemple qu’il ne faut pas laisser croire au petit chiot qu’il est le maître, qu’il faut donc éviter de placer son panier à une place trop centrale ; qu’il ne faut pas lui céder systématiquement ; qu’il faut lui créer un cadre stable doté de règles simples et systématiquement appliquées ; on lit aussi que la télévision n’est pas bonne pour les chiots, et qu’il vaut mieux s’occuper d’eux, privilégier les interactions réelles. Vous apprendrez également que les déménagements fréquents et les divorces ne sont pas bons pour chiens (je n’invente rien), qui en sont troublés et attristés (d’une tristesse de chien, peut-être, mais attristés quand même). Vous lirez des articles sur la situations des chiens maltraités par les mendiants professionnels et autres punks-à-chiens qui se sont établis un peu partout aux abords des gares dans notre pays ; vous apprendrez même que les pouvoirs publics sont en passe de prendre des mesures de protection en faveur de ces malheureux animaux.
Imaginons maintenant une revue intitulée Atout Homme, qui s’émerveillerait de la beauté des races, encouragerait le maintien de leur diversité, montrerait par des données empiriques que l’éducation libertaire est un désastre, que le bougisme est pathogène, que le divorce est un fléau et qui préconiserait de retirer aux Roms les enfants-esclaves qu’ils traînent dans le métro pour les faire mendier… On rêve. •
corcelles sur Quand, il y a 155 ans,…
“Je comprends mal la fureur de Barbey car si Flaubert – qui se prenait pour Mme…”