Par Rémi Hugues.
Étude en 18 chapitres publiée en feuilleton dans JSF.
Le Proudhon de Maurras
« L’Italie », poursuivait Proudhon, votre Italie unie, « va nous tirer aux jambes et nous pousser la baïonnette dans le ventre, le seul côté par lequel nous soyons à l’abri. La coalition contre la France a désormais un membre de plus… » Notre influence en sera diminuée d’autant ; elle diminuera encore « de tout l’avantage que nous assurait le titre de première puissance catholique, protectrice du Saint Siège ».
« Protestants et anglicans le comprennent et s’en réjouissent ; ce n’est pas pour la gloire d’une thèse de théologie qu’ils combattent le pouvoir temporel et demandent l’évacuation de Rome par la France ! » Conclusion : « Le résultat de l’unité italienne est clair pour nous, c’est que la France ayant perdu la prépondérance que lui assurait sa force militaire, sacrifiant encore l’autorité de sa foi sans la remplacer par celle des idées, la France est une nation qui abdique, elle est finie. »
Et, comme ces observations de bon sens le faisaient traiter de catholique et de clérical, « oui », ripostait Proudhon, « oui, je suis, par position, catholique, clérical, si vous voulez, puisque la France, ma patrie, n’a pas encore cessé de l’être, que les Anglais sont anglicans, les Prussiens protestants, les Suisses calvinistes, les Américains unitaires, les Russes grecs ; parce que, tandis que nos missionnaires se font martyriser en Cochinchine, ceux de l’Angleterre vendent des Bibles et autres articles de commerce. » Des raisons plus hautes encore inspiraient Proudhon, et il osait écrire : « La Papauté abolie, vingt pontificats pour un vont surgir, depuis celui du Père Enfantin, jusqu’à celui du Grand Maître des Francs-Maçons » , et il répétait avec une insistance désespérée : « Je ne veux ni de l’unité allemande, ni de l’unité italienne ; je ne veux d’aucun pontificat. »
Deux ans après avoir écrit ces lignes, Proudhon expirait ; assez tôt pour ne pas assister à des vérifications qui devaient faire couler à flots notre sang, mutiler notre territoire, inaugurer le demi-siècle de l’abaissement national ! Cet « immense échec » qu’il avait prévu sans parvenir à comprendre, comme il le disait encore, « l’adhésion donnée par la presse libérale française à cette irréparable dégradation », confirma point par point ce regard d’une sublime lucidité. L’unité italienne et l’unité allemande nous ont fait perdre tout à tour la prépondérance qu’assurait notre force militaire et l’autorité qu’imposait notre foi. Le cléricalisme a été vaincu, le pape dépouillé, et l’on nous a imposé ce gouvernement dont la seule idée stable est l’abaissement du Saint-Siège, le règne de la franc-maçonnerie et de ses grands maîtres divers. Si l’Empereur a disparu, sa politique dure ; la parti républicain en a été quarante ans légitime et fidèle héritier.
Certes, et nous l’avons dit, avec Dumont, avec Georges Malet, avec le Junius de L’Écho de Paris, aux avocats de l’empereur : rien n’efface cette responsabilité napoléonienne que Napoléon III lui-même rattache à la tradition de Napoléon Ier ; mais la vérité fondamentale établie, il faut en établir une autre et rappeler aux hommes de gauche, que leurs aînés, leurs pères, leurs maîtres et, pour les plus âgés, eux-mêmes, en 1860, ils étaient tout aussi Italiens et Prussiens que Napoléon III ! Sauf Thiers, en qui s’était réveillé l’ancien ministre de la monarchie, l’élève de Talleyrand, qui fut l’élève de Choiseul, tous les républicains et tous les libéraux du dix-neuvième siècle ont été contre le Pape et contre la France avec l’Empereur des Français.
Il faut relire dans Bismarck et la France ces textes décisifs auxquels nous ramène Bainville ; le ministre Ollivier développant à la tribune la thèse idéaliste des nationalités et M. Thiers, traditionnel pour la circonstance, s’écriant : « Nous sommes ici tantôt Italiens, tantôt Allemands, nous ne sommes jamais Français », toute la gauche applaudissait qui ? Émile Ollivier ! Guéroult défendait l’unité allemande, Jules Favre, un des futurs fondateurs de la République, déclarait le 4 juillet 1868 que nous n’avions « aucun intérêt à ce que les rivalités se continuent entre les deux parties de l’Allemagne » ! ■ (À suivre).
À lire de Rémi Hugues Mai 68 contre lui-même (Cliquer sur l’image)
© JSF – Peut être repris à condition de citer la source