Cette analyse de Renaud Girard politiquement très incorrecte – en voie de devenir correcte ? – est remarquablement lucide et informée, dans sa substance et son détail, tandis que sa conclusion est paradoxale. Curieuse [Figarovox, 16.03]. Comment, en effet, après avoir constaté sans ambages la faillite de l’idéologie européiste, peut-il conclure à l’urgence d’établir un réel souverainisme économique européen ? Nous entendons bien : ce souverainisme européen, il le veut réaliste, purgé de l’idéologie, il considère qu’il ne faut en faire qu’un usage pragmatique, dans l’intérêt concret des différentes nations de l’UE. Pourquoi pas ? Il a existé dans l’Histoire, des périodes où un tel esprit européen ait prévalu pour le bien de tous. Franchement, à observer les comportements nationaux aujourd’hui, au sein de l’U.E., il nous paraît assez clair que jamais l’esprit européen dont nous parlons ici y ait si peu existé. Comment Renaud Girard ne le voit-il pas ?
Par Renaud Girard
Il est inacceptable que nous dépendions d’un pays aussi lointain et différent de nous que la Chine pour la fabrication de nos médicaments
Géopolitiquement, la pandémie de maladie à coronavirus, née en Chine en 2019 (Covid-19), a mis en lumière la faillite de trois idéologies : le communisme, l’européisme, le mondialisme. Le Parti communiste chinois (PCC) porte une très lourde responsabilité dans la naissance et la première dissémination de cette maladie très contagieuse. D’origine animale, le virus a été transmis à l’homme à Wuhan, grande ville du centre de la Chine. Cette transmission s’est faite sur le marché de Huanan, à la fin du mois de novembre 2019.
C’était un marché où l’on vendait des animaux sauvages et domestiques vivants, dont les cages étaient entassées, dans des conditions d’insalubrité répugnantes. Le virus a été au départ transmis par une chauve-souris, qui l’a passé à un pangolin. Les riches Chinois sont friands d’animaux sauvages, consommation à laquelle ils prêtent quantité de qualités imaginaires (augmentation de la force physique, de la puissance sexuelle, etc.). Le virus Ebola provenait lui aussi d’une chauve-souris. Le virus du sida a été transmis à l’homme par un chimpanzé.
Le problème est que les autorités chinoises n’ont tenu aucun compte d’une précédente alerte. En novembre 2002, une épidémie de Sras (syndrome respiratoire aigu sévère, dû à un coronavirus) était née dans la province du Guangdong (sud-est de la Chine), sur un marché vendant lui aussi des animaux sauvages et domestiques vivants. Tous les scientifiques connaissent le danger des zoonoses (maladies infectieuses des animaux vertébrés transmissibles à l’homme).
Plus grave encore que cette imprudence, la deuxième faillite du PCC est venue de son addiction au mensonge d’État et à la dissimulation. Obsédé par son impératif de garantir à tout prix la « stabilité sociale », le PCC de la région de Hubei a préféré au départ fermer les yeux. Il a même sanctionné des médecins de l’hôpital central de Wuhan pour avoir sonné l’alerte. Le PCC n’a toujours pas expliqué au monde pourquoi il avait abruptement ordonné la fermeture du laboratoire de santé publique de l’Université Fudan (Shanghaï) le 12 janvier 2020. La veille, ce laboratoire de pointe avait publié le séquençage du virus Covid-19 sur virological.org, un forum scientifique de discussion sur les virus, en libre accès. C’est la publication de ces données sur le génome qui a permis la mise au point d’un nouveau kit de test pour diagnostiquer le virus.
Mensonge et dissimulation
Les cadres du PCC ont fait pendant trois semaines passer la logique d’un pouvoir prétendument infaillible avant la vérité médicale. Ces trois semaines perdues dans le combat initial contre le virus pèsent aujourd’hui très lourd. Si la maladie avait été traitée dès qu’elle a surgi, il n’y aurait pas aujourd’hui de pandémie.
Comme si ce n’était pas suffisant, le PCC a ajouté les « fake news » au mensonge et à la dissimulation. Le 13 mars 2020, Zhao Lijian, le nouveau porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères a osé tweeter que « l’armée américaine pourrait avoir apporté l’épidémie à Wuhan ». En octobre 2019, des soldats américains avaient participé aux jeux militaires mondiaux, qui s’étaient déroulés à Wuhan. Les autorités communistes chinoises sont aujourd’hui très nerveuses car elles saisissent que leur peuple sait parfaitement qu’elles lui ont, au départ, menti, et qu’elles n’ont lancé que tardivement leur implacable – et apparemment réussie – offensive contre le virus.
La deuxième faillite est celle de l’idéologie européiste, qui considère la construction européenne (et sa religion d’ouverture des frontières) comme un idéal en soi, au lieu de n’en faire qu’un usage pragmatique, dans l’intérêt concret des différentes nations de l’UE. Le 13 mars 2020, la présidente de la Commission européenne a critiqué la fermeture des frontières décidées par certains pays de l’UE pour lutter contre la pandémie. Le lendemain, le pays natal d’Ursula von der Leyen adoptait une telle mesure de bon sens… Les Chinois ont bien « fermé » les frontières du Hubei, province cinq fois plus étendue que la Hollande! La décision de Trump de fermer dès la fin janvier ses frontières aux voyageurs en provenance de Chine, explique le retard de la maladie en Amérique par rapport à l’Europe.
Enfin, est aussi en faillite l’idéologie du mondialisme, qui croit aux vertus d’une absolue division internationale du travail, n’obéissant qu’aux lois classiques du libéralisme économique. Il est inacceptable que nous dépendions aujourd’hui d’un pays aussi lointain et différent de nous que la Chine pour la fabrication de nos médicaments ; et que la Maison-Blanche ait essayé de soudoyer le patron du laboratoire allemand CureVac, afin d’accaparer le vaccin qu’il est en train de mettre au point. Quand nous sortirons de cette pandémie, nous devrons établir d’urgence un réel souverainisme économique européen ! ■
C’est bien cela : des considérations intelligentes, des considérations de bon sens gâchées par une conclusion idiote…
De l’absence
Au-delà des culpabilités que l’après crise se chargera de mettre en lumière, la pandémie actuelle révèle la faillite du politique dans le monde qu’il aime appeler post-moderne, pour se rassurer de son emprise de plus en plus faible sur le réel. Comment ne pas voir, en effet, l’absence devenue évidente, de pensée stratégique de la part de la sphère politique, tant nationale qu’internationale, dans les diverses pénuries qui affectent tous les pays touchés par le virus, que ce soit pour les productions de médicaments et de marchandises essentielles à la vie du pays, les absences de contrôles dans les dispositifs de protection, et la circulation des personnes et des biens. Que tous ces pseudo-décideurs-vrais suiveurs n’aient pas consacré une part de leur temps à réfléchir et à décider les formes d’organisation propres à préserver leur pays d’une pandémie aussi prévisible que le coronavirus, est révélatrice d’un état d’esprit qui les place dans la catégorie des inconscients incapables, ou des purs cyniques. Elle les discrédite en tous cas dans leur prétention à exercer un magistère sur le Peuple dont ils ont la charge. Les périodes de paix sont souvent émollientes car elles permettent à ceux qui doivent prendre des décisions difficiles de se cantonner dans l’accessoire, en laissant de côté où en repoussant dans un futur de généralités indéfinies les questions essentielles comme la protection des peuples et l’avenir du pays. C’est ainsi que les billevesées sociétales, les considérations de genre, et la promotion de nouveaux droits pour des minorités sans aucune urgence civilisationnelle, ont pris le pas sur les stocks de masques, le nombre de lits d’hôpitaux, et le travail sur la confection d’un antivirus pour le SARS qui auraient été extrêmement utiles contre la présente épidémie. La logique indolente de la pente douce s’est installée, avec l’émergence des croyances d’un nouveau monde hédoniste conceptualisé sans risque, par la vantardise de la maitrise technique, qui n’existe que dans les mots, offrant une nouvelle fois aux croyances superstitieuses et totalitaires la voie du démiurge, se voulant expiatoire d’une Histoire encombrante de transcendance, de prudence, et de devoirs. Mais la réalité frappe aujourd’hui à la porte pour rappeler que le monde reste dangereux. Agir est mieux que réagir, les gouvernants de par le monde devront s’en convaincre en urgence, s’ils ne veulent pas disparaitre dans la viduité de leur absence.