PAR MATHIEU BOCK-CÔTÉ.
Cette tribune est parue dans Le Figaro du 23 juillet. Elle nous ramène à la prise de . position de Michel Onfray que JSF a publiée la veille, 22..07. Le débat – ici civilisationnel – se prolonge et intéresse à titre particulier. C’est à lire, évidemment. .
L’homme ne se grandit pas en se désincarnant, et la foi fleurit bien mal sur les cendres d’une liturgie incendiée
Le trouble suscité bien au-delà des milieux «traditionalistes» par la décision du pape François non pas de redéfinir le statut de la messe selon le rite préconciliaire mais de programmer son extinction, en l’empêchant non seulement de croître, mais plus encore, en le traitant à la manière d’un résidu encore utile pour accommoder quelques vieillards enfermés dans leurs tendres souvenirs et exagérément attachés aux mystères de l’église d’hier, montre bien la portée de cette décision, sa violence, aussi.
Il semble bien, mais la chose n’est pas si nouvelle, que l’Église se veut aujourd’hui absolument œcuménique et ouverte à tous, sauf à ceux, parmi les siens, qui se veulent gardiens de ses traditions liturgiques les plus profondes. Comme si l’Église devait mener en ses propres rangs la chasse aux réactionnaires et humilier ceux qui croient encore aux vérités qu’elle a toujours prêchées, au langage à travers lequel elle les prêchait, et qui gênent aujourd’hui ceux qui s’agenouillent moins devant la croix que devant l’esprit du temps. Les catholiques de tradition seraient-ils les seuls à ne pas avoir leur place dans l’Église ?
Michel Onfray, dans un remarquable texte du Figaro, a rappelé avec raison que la messe tridentine appartient au patrimoine spirituel et culturel de la civilisation occidentale. On ajoutera que la liturgie ne sert pas qu’à embellir les vérités de la foi et les prières de toujours: à travers elle se déploie un langage capable d’interpeller des régions inaccessibles de l’âme et de donner accès aux vérités autrement inexprimables du sacré. La beauté peut conduire à la foi. Le rituel est un langage modelé par l’histoire mais qui ne se réduit pas, quoi qu’on en dise, à une accumulation arbitraire de traditions plus ou moins bien assemblées, qu’on pourrait sacrifier pour les moderniser. On oublie d’ailleurs que le rituel traditionnel, malgré son refoulement dans les marges, continue de conduire des hommes vers le catholicisme, qu’il transforme ceux que Louis Pauwels appelait les chrétiens du porche en croyants et en pratiquants, et qu’à travers lui, plusieurs s’y convertissent ou renouent avec lui.
Cela nous conduit au cœur d’une question trop souvent négligée. On s’inquiète avec raison de la déchristianisation de l’Europe, mais on s’est insuffisamment inquiété de la déseuropéanisation du christianisme. Car le catholicisme est indissociable des médiations à travers lesquelles il s’est incarné dans l’histoire. Il se déploie à travers les nombreux visages de l’humanité, et est étranger à la tentation niveleuse qui, au nom d’un retour fantasmé à la révélation primitive, justifierait l’arasement des cultures et des formes historiques particulières qui permettent aux hommes d’habiter le monde sous le signe d’une continuité vivable. C’est une bien étrange idée d’assimiler l’héritage à une scorie, et c’en est une encore plus étrange de croire que la foi, pour s’offrir à tous les hommes, doit abolir jusqu’au souvenir des rites par lesquels elle a modelé le noyau d’une civilisation, au point d’en devenir indissociable. On aurait tort de réduire cette conscience à une forme de catholicisme « identitaire », comme on dit pour se faire peur. Il faut plutôt y voir un souci légitime des sources les plus intimes de la culture.
L’homme ne se grandit pas en se désincarnant, et la foi fleurit bien mal sur les cendres d’une liturgie incendiée. Nul ne s’attend à ce que Rome replace le rite traditionnel au cœur de ce qu’on appellera la liturgie dominante. Il ne semble toutefois pas exagéré d’espérer que le pape ne cherche pas à l’éradiquer. La tentation serait forte de citer Brassens, qui avait compris qu’une religion renonçant à sa propre tradition sacrifiait le langage sans lequel ses vérités risquaient de devenir inaudibles. Je pourrais aussi citer Montherlant qui dans ses carnets, si je ne me trompe pas, disait à sa manière espérer rencontrer un prêtre qui croit.
La formule n’est pas banale: les hommes et les femmes qui se sont aventurés au seuil de l’Église, avec le désir de le franchir, ont souvent rencontré, sur leur parcours, des prêtres à la foi flageolante, presque méfiants à l’endroit de ceux qui frappent à leur porte, comme s’ils venaient à leur messe avec une ardeur suspecte. Ils ne risquent toutefois pas de recevoir un tel accueil chez ceux qui se veulent les gardiens non seulement d’un rite, mais aussi, d’un rapport à la foi qui trouve dans la liturgie traditionnelle non pas une béquille mais une manière d’accéder à la plus riche des expériences. La force d’attraction de la messe traditionnelle ne s’explique pas nécessairement par la complaisance nostalgique. Ceux qui se demandent pourquoi les communautés « traditionnelles » parviennent à croître malgré l’anathème jeté sur elles trouveront peut-être là un début de réponse à leur interrogation. ■
Mathieu Bock-Côté
Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l’auteur d’Exercices politiques (éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois (éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Ses derniers livres : Le multiculturalisme comme religion politique, aux éditions du Cerf [2016] – le Le Nouveau Régime (Boréal, 2017) – Et La Révolution racialiste et autres virus idéologiques, Presses de la Cité, avril 2021, 240 p., 20 €.
Sélection photos © JSF
Croire est une grâce et la foi est de nature fluctuante, mais réunir tous les chrétiens sous un même drapeau et une même langue à été le travail de l’Eglise à travers les siècles . Le nôtre est fait de laideur et de pathos. Nul ne peut nier que la beauté d’une messe de Mozart ou le requiem de Verdi touche tous les humains au plus profond de l’âme ; les habits du sacerdoce et jusqu’aux odeurs de l’encens nous transportaient dans un autre monde et la beauté et l’architecture des lieux font que du plus riche au plus pauvre chacun y trouve une force et.un espoir
La modernité est passée par là et le minimalisme , le conformisme et le désir de plaire à tous ont fait le reste . Les anciens ne se reconnaissent peau dans cette nouvelle liturgie simpliste et les jeunes ne sont pas attirés pour autant par les chants nouveaux et l’image banale de leur quotidien .
Le seul argument des adversaires de « la messe en latin »: « les gens ne comprennent pas »… C’est dire l’inconvénient de « la messe en français » : les gens ont l’illusion de croire qu’ils ont compris. Le mystère divin dépasse notre capacité d’entendement, même de celui des plus subtil théologien…Les linguistes savent que dans beaucoup de sociétés il y a plusieurs langues. En famille on n’emploie pas la même langue quand on s’adresse aux petits, pour déclarer son désir amoureux, pour marquer son appartenance à une province ou pour faire son testament. Les Indiens ont plusieurs langues autochtones, pour se comprendre, ils utilisent l’Anglais. Les musulmans ont une langue sacrée, pour convertir, ils enseignent l’Arabe « classique ».
Pour marquer le caractère sacré des rites, ceux-ci sont dits en langue ancienne : les russes en vieux slavon à Rome, les chrétiens continuent à user des expressions grecques (Kirie eleison) et les Grecs les expression des Hébreux (Alléluia, Amen). Au temps du Christ, on parlait l’araméen et pourtant on priait et on étudiait la Bible en Hébreux ancien. C’est une manifestation du hiératique qui est esthétique du sacré.
Le latin est la langue de la Chrétienté occidentale romaine. C’est la seule marque de l’unité de l’Europe où jusqu’aux XVIIIe siècle, intellectuels et savants écrivent leurs oeuvres en latin. La Chrétienté est morte? Pas sûr. Les Juifs sont parvenus à faire d’une « langue morte » l’Hébreux ancien, une langue vivante.
En outre les traductions sont toujours bancales. « traductor, traditore » dit le proverbe italien. « De même nature » ne traduit pas correctement « homoiesus ». On garde la langue où les termes sont bien définis, sinon la doctrine se corrompt.
qui ont plusieurs langues se comprennent grace à l’Anglais, les musulmans ont une langue sacrée. Pour marquer le caractère sacré des rites, ceux-ci sont dits en langue ancienne : les russes en vieux slavon, les romains gardaient les expressions grecques (Kirie eleison) et les Grecs les expression des Hébreux (Alléluia, Amen). Au temps du Christ, on parlait l’araméen et pourtant on priait et on étudiait la Bible en Hébreux ancien. C’est une manifestation du hiératique qui est esthétique du sacré. Le latin est la langue de la Chrétienté occidentale romaine. La Chrétienté est morte? Pas sûr. Les Juifs sont parvenus à faire de l’Hébreux ancien une langue vivante. En outre les traductions sont toujours bancales. « traductor, traditore » dit le proverbe italien. « De même nature » ne traduit pas correctement « homoiesus ». On garde la langue où les termes sont bien définis, sinon la doctrine se corrompt.
Les adversaires du latin : « les gens ne comprennent que le français » mais cela est une illusion de leur donner à croire qu’ils ont compris
C’est vrai que la liturgie moderne est généralement laide, ennuyeuse, parfois ridicule, mais elle peut s’améliorer, et le pape parie là dessus. Quant à deseuropeaniser l’Eglise, c’est nécessaire. Il faut que chaque peuple trouve dans son génie une manière originale de célébrer ke culte. Nous n’en sommes qu’au début. Vivent les cultures! À bas l’uniformisation du monde!
Ce que vous dites, Escaich, c’est le concept d’inculturation, forgé par les Jésuites pour aller à l’assaut de mondes culturels très différents du nôtre et…y parvenir.
Voir l’admirable film « Silence » de Martin Scorsese.
J’ai vu ce film sublime. Oui, l’inculturation, l’incarnation dans la culture de chaque peuple est une nécessité.
Poblème posé à la bonne hauteur. Bravo!
La vision politique partisane devient facilement l’occasion d’idées fixes et de passions qui peuvent se révéler destructrices. Quand elle se subordonne la foi religieuse et l’instrumentalise, cela devient du fanatisme qui échappe à toute raison. L’histoire de notre pays montre combien nous sommes doués pour l’anathème. Ne serait-il pas plus simple de lire, en essayant de se dépouiller de ces dangereuses formes passionnelles, ce qu’a pris soin d’écrire le Pape François dans la lettre explicative de son motu proprio ? Dans la foi catholique, c’est le pape qui est le gardien de la Tradition et de la Communion de l’Eglise, et non pas ceux et celles à barrette ou à bonnet carré qui dogmatisent. Comment peut-on dire d’un texte du Pape qu’il est violent tout simplement parce qu’il ne convient pas à une minorité partisane aux vues réactionnaires ? Pour se dégriser, il serait peut-être utile et sage de lire ou relire sur internet l’excellent ouvrage du cardinal Congar à ce sujet. Il date de 1977 mais il est toujours d’actualité « La crise dans l’Eglise et Mgr Lefebvre » (https://archive.org/details/lacrisedanslegli0000cong) Ça permettra d’éviter d’employer des arguments qui n’en sont pas. Pout ma part, je rends grâce à Dieu par l’intercession de Notre-Dame du Mont-Carmel puisque le texte est du 16 juillet. Il montre que, selon l’antique tradition, Marie demeure toujours victorieuse de toutes les hérésies.
Vous pouvez toujours arguer ..seul le résultat compte. Or les êglises sont désertées.
Donnez une messe de Mozart dans un lieu chargé d’Histoire avec la musique de Bach et des chants grégoriens faites parler un prêtre avec des mots simples qui touchent et vous verrez les gens remplir les êglises. Peu importent leurs motifs la solenité la beauté feront les transporteront au delà de leur condition humaine. Les anciens l’avaient compris.
Avec les enfants qui jouent dans les travées , la musique et les chants faux ou bruyants le prêtre inaudible et ennuyeux les bancs peu confortables à la place des chaises pour les plus âgés ..etc etc On déserte les églises où on ne peut même plus prier en paix. L’Eglise est a l’image de la modernité.
Le père Vignon dans la même phrase exhale son mépris -et pas n’importe quel mépris – (une » haine de prêtre ) envers ceux qui se sentent désorientés ou plus par le dernier Motu Proprio de François en écrivant :
« Comment peut-on dire d’un texte du Pape qu’il est violent « simplement parce qu’il ne convient pas à une minorité partisane aux vues réactionnaires ? ».
La discussion est impossible, c’est préjugé par lui. Ensuite il parle de Marie comme « victorieuse des hérésies. » Franchement où et quand a-t-on vu que la messe traditionnelle était hérétique? Oui; Il y a dans l’Eglise bien placés des violents. Un gouffre me sépare d’eux. Qui va le combler?
Vous avez raison, Henri, la discussion n’est pas possible. C’est bien pour ça que le Pape François a très sagement pris les mesures qui s’imposaient. Sa lettre d’explication est très claire. Le chemin de l’Eglise se trouve avec lui, et pas avec ceux qui voudraient lui imposer leur pratique, ne vous en déplaise. Quant à ma « haine de prêtre », je vous la pardonne bien volontiers car vous ne me connaissez pas. Veuillez malgré tout accepter ma courtoisie sacerdotale, sans la soupçonner d’hypocrisie.
« minorité patisane e et sectaire »cela ne vous dérange pas Père Vignon; Je corrige mon expression, il est vrai trop forte :nous ne sommes pas regardés On sent bien quelque chose. On en arrive à réagir violement. . Quant à votre invocation à Marie pour lutter contre les hérésies , la messe traditionnelle? cà propos, vous ne m’avez pas répondu.
Soyez assuré de mon filial dévouement Mon Père
Comme expliqué par le cardinal Congar dans l’ouvrage que j’ai cité de lui, le risque de schisme et d’hérésie ne concernait évidemment pas le texte de la messe mais l’idéologie politico-religieuse qui soutenait sa promotion par Mgr Lefebvre et ceux qui le suivent dans ses théories. Force est de constater que les essais d’entente du Saint-Siège avec cette tendance n’ont pas fonctionné. Le Pape François y a mis fin. Les insultes qu’il reçoit montrent, à mon point de vue, qu’il n’a pas totalement tort. Cela dit, je ne suis pas un homme avec un couteau entre les dents et je reçois bien volontiers votre mot final qui me touche. Il faut dire que, parmi mes défauts, j’ai toujours eu, depuis ma jeunesse, le penchant d’acérer ma plume pour mieux la planter dans le derrière des autres. Je n’ai jamais pu me faire à la langue du milieu où on enrobe tout de saint-chrême. Mea maxima culpa. Portez-vous bien, bon été, et n’en veuillez pas trop à l’oiseau
Mon Père, merci de votre réponse, mais je crois que je l’avais devinée : en gros ; personnes attachées à la messe tradi et refus du concile, même combat. Mais peut être que depuis Congar les choses ont un peu changé!
Eh bien justement je ne suis pas tout à fait d’accord avec cette extrapolation, pratiquant, si j’ose dire, les deux rites. Quand je vais à la messe tradi , je concentre mon attention sur le mystère de la messe , et je ne pense pas à une seconde au concile, et je suppose que les autres assistants sont dans la même attitude.. Idem quand je vais à la messe conciliaire. Dans les deux cas je suis porté par la ferveur des participants, de profondeur se leurs chants, de leurs visages. Certes, nous avons une très bonne amie , qui parle de « vilaine messe » à propos de la messe conciliaire où nous allons en famille . Cela nous attriste, c’est un manque de respect à la prière sincère venant du cœur de l’assistant. Le respect doit être réciproque aussi .
Maintenant il est sûr que le concile qui est complexe peut susciter légitimement des interrogations et des discussions cinquante après, sans hérésie ? C’est une question difficile. J’ai lu la biographie volumineuse sur Benoît XVI en allemand de Peter Weiss. En toute honnêteté j’ai été parfois un peu dépassé par les problématiques ardus du concile, même si j’ai compris la nécessité de revivifier la foi et et ne pas l’ossifier ( souci de Ratzinger ) Ce que j’ai mieux compris, ce sont les problèmes qu’a rencontrés Ratzinger dans son interprétation du concile vis-à-vis d’un part de l’épiscopat allemand et de Hans Küng, et ce n’est pas fini ! .
Aujourd’hui vous avez des tradis remontés encore contre le concile, la Fraternité Saint Pie X. Ce sont souvent d’excellentes personnes, parfois un peu péremptoires, mais chez les prêtres il y a une réflexion sur la foi, par exemple sur Bernanos ;
Vous avez aussi les tradis revenus dans le giron de l’Eglise, aussi d’excellentes personnes souvent. C’est leur cas visé. Beaucoup suivent cette messe, non pas par une nostalgie stérile, mais par le désir de l’actualiser à ce jour avec sérieux.
Enfin vous avez aussi tous les catholiques conciliaires, excellentes personnes, je n’en doute pas non plus, qui ignorent un peu beaucoup ce qui se passe à côté. (Chez leurs frères tradis).
Je ne prétends pas clore le débat, simplement prêter attention;
A mon tour mea culpa, j’aui pu dériver et portez vous bien.