PAR PIERRE BUILLY.
Benedetta de Paul Verhoeven (2021).
Mic-mac au couvent.
On sait bien que Paul Verhoeven est un réalisateur qui ne fait pas dans la dentelle et qu’il emploie même souvent de la paille de fer à la place. Avec Benedetta il va encore bien plus loin que dans ses derniers films, Black Book ou Elle qui, en comparaison, pourraient presque paraître compassés. Mais c’est souvent en perdant la mesure que des cinéastes comme lui – tout sauf classiques et mesurés, donc, mais outranciers et brutaux – parviennent à laisser demeurer une trace dans le paysage très formaté du cinéma d’aujourd’hui. Oui, oui, tout ce que l’on veut, il y a dans les films de Verhoeven beaucoup de mauvais goût, souvent trop, mais au moins il y a du goût : on reconnaît et on aime (ou non).
Je dois dire que cette après-midi, dans la salle obscure où je voyais le film, j’étais bien décontenancé et même, d’une certaine façon, bien déçu, agacé peut-être ennuyé pendant la première demi-heure. L’histoire de cette jeune Benedetta entrée dans un couvent de théatines toscanes au début du 17ème siècle me paraissait un peu convenue, voguant dans des historicités diverses (quoique antérieures) dans la veine du Décaméron mis en scène par Pasolini ou du Nom de la rose adapté par Jean-Jacques Annaud. Je retrouvais la beauté des pierres dorées italiennes, les bandes de reîtres ravageant la campagne, la religiosité obsédante et méticuleuse, l’omnipotence de l’Église (dont on peut bien dire que ce n’est pas la meilleure période !).
J’aurais pu évoquer aussi à mon souvenir un film plus ancien (1985) de Paul Verhoeven, qui s’appelle La chair et le sang, qui se passe dans l’Europe ravagée du début du 16ème siècle et présente une héroïne, Agnès (Jennifer Jason Leigh), déchirée entre deux hommes et deux natures, érotique et romantique. Parce que, d’une certaine façon, Benedetta (Virginie Efira) est tout autant écartelée entre sa sensualité saphique et son mysticisme exalté qu’elle réconcilie, d’une certaine façon en les assimilant, les confondant comme s’ils étaient un élan identique.
Benedetta, depuis toujours, a toujours eu une ferveur spéciale envers la Vierge Marie et elle est fermement persuadée d’avoir noué une relation particulière avec Jésus, dont elle croit qu’Il exauce toutes ses demandes. La supérieure du couvent, la Mère Félicita (Charlotte Rampling) est à la fois intéressée par l’étrange fille dont elle a la charge et plutôt réservée sur un mysticisme qui confine quelquefois à l’exaltation voire à l’hystérie. Dans l’atmosphère particulière des clôtures conventuelles féminines se développent vite des attitudes singulières ; on songe un moment aux Diables de Ken Russell sur les fameuses Possédées de Loudun. Claustration, macérations, illuminations, austérité, jalousies et amours mal formulées et jamais assouvies, voilà un cocktail possiblement détonnant.
Il se trouve que Benedetta bénéficie d’une certaine aura auprès de ses compagnes ; en tout cas elle fascine beaucoup Bartoloméa (Daphné Patakia), pauvre paysanne entrée au couvent pour fuir son père et ses frères incestueux. D’emblée les deux jeunes femmes sont séduites l’une par l’autre et il ne faut pas beaucoup de temps à Bartoloméa pour entraîner Benedetta dans les grandes vagues du plaisir.
Cette aventure lesbienne, si scandaleuse qu’elle puisse apparaître, surtout du fait de son évidence, ne serait pas décisive (on en voit bien d’autres dans Diderot et dans Casanova) si Benedetta ne se prétendait pas l’interprète directe du Christ, ne recevait, comme Saint François d’Assise les stigmates de Jésus sur la croix et n’était pas propulsée par des hiérarques ecclésiastiques comme une sorte d’image vivante édifiante et possiblement fructueuse.
Car c’est bien cela qui entraînera sa mise en examen et sa condamnation : la révélation de son imposture et de ses faussetés, bien davantage que l’impureté de ses mœurs qui ne permettront, en fait, que de sceller le procès.
Le film de Paul Verhoeven est mené à grandes guides ; il ne s’arrête jamais, ne reculant pas devant des scènes grotesques, ridicules, folles, invraisemblables, mais toujours si bien adossées au récit que, même si on s’en irrite, on est bien conduit à les accepter. Et que, au final, ce mélange tonitruant, baroque, indigeste, devient un film étrange et quelquefois bouleversant dont on se souviendra. 21 juillet 2021. ■
Vous trouvez ça sulfureux ? Retard ! Aujourd’hui, Benedetta serait un trans à poils et à moustaches. Barbe de trois jours et voix de mec. Article excellent, cependant ! Comme d’hab.
J’essaye toujours d’avertir les yeux chastes et les âmes pudiques !
Heureusement que Pierre Builly précise ; fort justement .
Ce n’est pas seulement affaire d’ âmes pudiques mais plutôt affaire de cadre : ce qui passe dans un contexte attendu ( genre carabins ou autres coutumiers de langage « cru » ) peut être mal venu au cinéma . Sans même parler de la couleur idéologique de faiseurs de films présentant leurs fantasmes .
NB : idem pour les cadavres longuement filmés , les scènes sanguinolentes . Il y a de l’ abus !
On mourrait beaucoup dans les tragédies de Jean Racine: mais , en coulisse . Sur scène , les trépas étant simplement annoncés , cela passe ( passait ) très bien .
Pour citer un beau film , de cette chronique : » Marie Octobre » ne tombait pas dans le mauvais goût non plus .
Certes, certes, les amis, on peut tout à fait ne pas apprécier le cinéma très cru, souvent très violent et provocateur de Paul Verhoeven. Mais – c’est ce que j’écris au début – pour ma part je ne déteste pas les arômes puissants.
C’est en ce sens que j’avertissais le lecteur et, plus encore l’éventuel spectateur.
la beauté du diable
résume ce film
virginie Effira est tombée dans le panneau pour quelques pièces d argent ……….