Comme tout un chacun nous avons suivi, par médias interposés, les nouvelles du Sommet des Amériques qui vient de s’ouvrir au Panama. Nous avons écouté – sans surprise – le président Obama réaffirmer avec de fortes, traditionnelles et même assez martiales paroles, le rôle universel des Etats-Unis et leur fierté d’avoir à l’assumer pour la paix du monde, la démocratie et – naturellement – pour le bonheur des peuples. Des peuples, des sociétés civiles, a-t-il ajouté très impérial, avec lesquels les Etats-Unis se doivent de dialoguer directement, comme, accessoirement, ils le font aussi avec les Etats qui les représentent … Ces derniers ne sont-ils pas d’ailleurs, en quelque sorte, comme jadis Rome avait les siens, des Etats vassaux dont on tolère la survivance, pour ne vexer personne ?
Alors nous nous sommes souvenus de la description et du commentaire que Jacques Bainville avait donné en son temps d’un semblable sommet panaméricain et, lors du même sommet, du comportement d’un Obama de l’époque, aujourd’hui bien oublié, le président Coolidge. Sommet et président tellement ressemblants à ceux d’aujourd’hui ! Le lecteur n’a pas grand mal à transposer. Et nous avons eu envie de relire ce texte si bainvillien et si actuel. Et, mieux encore, comme l’on trouve tout dans Lafautearousseau, ce qui rend ce blog irremplaçable, nous l’avons retrouvé d’un clic. Le voici. Lisez, réjouissez-vous ! •
Du Journal, Tome III (1927/1935); Note du 18 janvier 1928, pages 34 à 36)
On ne peut manquer d’être frappé de l’assurance avec laquelle le président Coolidge s’est exprimé dans son discours d’ouverture du congrès panaméricain. Cette assurance paisible est celle que donnent la puissance et la richesse. De loin, une vue superficielle des choses laissait croire que les États-Unis, à l’assemblée de La Havane, seraient jugés par les Républiques latines, qu’ils auraient des comptes à rendre ou des excuses à fournir pour leur politique d’intervention au Nicaragua, en Haïti et ailleurs. La grande République de l’Amérique du Nord a tout de suite paré le coup. Tout au moins, en présence du président Coolidge, la question ne sera pas posée.
La grande République des États-Unis a la majesté de la république romaine. M. Coolidge s’est rendu à La Havane avec un déploiement de force, un appareil de luxe qui font penser au voyage d’un proconsul. Il a derrière lui le Sénat de Washington, qui rappelle le Sénat romain. Et il parle aussi de paix, comme en parlait Rome, qui a, en effet, pendant plusieurs siècles, donné la paix au monde d’alors, mais en intervenant partout où cette « paix romaine » était troublée.
Virgile avait donné la formule d’une doctrine de Monroe lorsqu’il conseillait aux Romains de se souvenir qu’ils étaient destinés à gouverner les peuples. Cet orgueil tranquille est l’accompagnement de la grandeur. A quoi sert de se dissimuler que les États-Unis sont très grands, qu’ils ont en hommes et en ressources des disponibilités immenses et qu’ils n’ont à subir le contrôle de personne ? On ne peut, en somme, que rendre justice à leur modération. C’est celle d’Auguste disant a Cinna : « Je suis maître de moi comme de l’univers. »
Le respect – le Code dit très bien « la crainte révérentielle » – que les États-Unis inspirent, se traduit, à chaque instant, par des soumissions imprévues. On croyait que le Mexique, très avancé et un peu bolchévisant du président Calles, tenait tête à la République voisine. Il est devenu doux comme un agneau. Il y a un parti yankee au Nicaragua, et ce n’est peut-être pas le moins influent. Ne dites pas aux citoyens de la République de Panama qu’ils sont sous influence étrangère; ils se fâchent. Ne dites pas aux citoyens de la République de Colombie que la politique du dollar, aidée par la politique du gros bâton, a séparé d’eux les citoyens de Panama; vous les offenseriez. Le récent manifeste de M. Romain Rolland et de quelques autres défenseurs de la liberté des peuples à disposer d’eux-mêmes court grand risque de n’être pas entendu.
Mais on s’explique aussi que les Etats-Unis, habitués à trouver autour d’eux si peu de résistance, n’acceptent pas de discussion avec la vieille Europe, qu’ils se tiennent dédaigneusement à l’écart de la Société des Nations, que, pour les dettes, dites de guerre, ils proposent des chiffres qui sont à prendre ou à laisser, qu’ils construisent autant de navires de guerre qu’il leur plaît dès que l’Angleterre n’admet pas leur formule de limitation des armements navals, qu’ils aient leur conception du « bannissement de la guerre » et qu’ils l’imposent, bref qu’on ne gagne jamais à vouloir ruser ou finasser avec eux.
On a trop encensé autrefois la liberté américaine. On la comprenait comme la liberté civique, l’idéal de la démocratie etc… Mais, être libre c’est être fort. Parce qu’ils sont forts, les États-Unis possèdent une liberté souveraine qui en arrive à ne pas se distinguer beaucoup de l’impérialisme, sinon par le fait que le président Coolidge, à la différence du président Hindenburg, ne porte pas d’épaulettes, d’éperons ni de sabre. •
Illustration ci-dessus : le président Coolidge
corcelles sur Quand, il y a 155 ans,…
“Je comprends mal la fureur de Barbey car si Flaubert – qui se prenait pour Mme…”