Entretien entre le roi Mohamed VI et le prince Jean de France au palais royal de Tétouan (juillet 2003).
La monarchie est la clef du miracle marocain, comme l’explique en substance Jean-Claude Martinez, dans un petit livre à paraître le mois prochain, où l’auteur souligne les bienfaits d’un roi « stabilisateur », ayant notamment préservé son pays des vents violents du Printemps arabe.
Il n’y a pas de miracle en politique. En revanche, il y a des exceptions, c’est-à-dire des situations singulières, mais explicables, dès lors que, contrairement aux miracles, elles ont des causes. Tel est le cas de ce que l’on a pris l’habitude, depuis quatre ans, d’appeler “l’exception marocaine”. Car, de fait, il s’agit bien d’une exception. Début 2011, alors que des autocraties que chacun pensait indéracinables, en Égypte et en Tunisie, s’effondrent en quelques heures au grand vent du Printemps arabe, le Maroc ploie sans rompre, et profite même de l’occasion pour accélérer le train de ses réformes et donner un coup de jeune à son organisation constitutionnelle. De même, à l’automne 2011, lorsque les islamistes du PJD (Parti de la justice et du développement) remportent les élections législatives et se trouvent propulsés à la tête du gouvernement, le royaume ne connaît ni les troubles suscités en Tunisie ou en Égypte par la victoire d’Ennahdha et des Frères musulmans, ni, a fortiori, l’abominable guerre civile qui ensanglanta l’Algérie durant des années après le triomphe du FIS (Front islamique du salut) en 1991. Au lieu de cela, on assiste à une tranquille passation de pouvoirs, selon « une procédure dont la modestie sciemment organisée a voulu symboliquement montrer qu’il n’y avait là qu’un cours ordinaire des choses, enlevant aux résultats des élections toute dimension de révolution », comme le souligne Jean-Claude Martinez dans un ouvrage publié au lendemain de l’attentat de Tunis, Le Roi stabilisateur.
Le tournant de la modernité
Dans cet essai au titre significatif, l’auteur, ex-député européen mais aussi ancien directeur des études de l’ENA du Maroc, entend précisément répondre à la question évoquée plus haut : cette (étonnante) exception marocaine, quelles peuvent en être les causes ? Et pour Jean-Claude Martinez, une réponse s’impose, de toute évidence : c’est la présence d’un roi. D’une monarchie qui, après avoir construit le Maroc au cours d’une histoire millénaire, lui permet aujourd’hui de prendre, de façon prudente mais résolue, le tournant de la modernité. Sans l’institution monarchique, assure Martinez, le pays s’effondrerait du jour au lendemain : « Il n’est pas besoin d’être grand futurologue pour savoir ce qu’il adviendrait en moins de cent jours si une chimère politique, issue d’un nouveau printemps, remplaçait des siècles de stabilité alaouite par quelques semaines d’aventure démocratico-participative, à l’égyptienne d’hier sinon à l’irakienne de maintenant. »
Le commandeur des croyants
Le propos de de l’ouvrage est d’abord d’éclairer en quoi, et comment, le roi du Maroc produit un tel effet. Un effet que Martinez attribue en premier lieu à sa double dimension temporelle et spirituelle – naguère affirmée dans le fameux article 19 de la constitution, qui fut, pendant des décennies, la bête noire des progressistes –, et qui demeure, selon lui, la grande force du système. Sur un plan spirituel, le monarque est qualifié d’amir al-mouminine, commandeur des croyants, un titre que même le roi d’Arabie saoudite, “gardien des deux saintes mosquées”, ne lui discute pas. En tant que tel, le monarque marocain se trouve en mesure de promouvoir une lecture modérée de l’islam, celle que propose le rite malékite – et, ce faisant, de s’opposer de façon crédible, aux yeux des musulmans eux-mêmes, aux entreprises des fondamentalistes. Il constitue par conséquent un indispensable « stabilisateur religieux » et, de nos jours, un contrepoids capital à « la fascination du Califat ». Mais cette fonction permet aussi au roi d’être un « stabilisateur social » – comme il le montra au début des années 2000 en imposant, contre une approche intégriste, une vision relativement ouverte et libérale de la condition féminine – et un « stabilisateur politique », ou géopolitique, dans une région aussi stratégique pour l’Afrique que pour l’Europe. En tant que roi, ancrant sa légitimité dans la tradition et dans l’histoire, et non dans le hasard de volontés changeantes et plus ou moins contraintes, il bénéficie du consensus et de la durée. Peu importe son âge, le roi sait qu’il n’est qu’un passeur, et qu’après lui, son fils lui succédera comme lui-même a succédé à son père. Ce qui lui « permet d’attendre et de voir venir ce qui est en marche inéluctablement » : par exemple, dans cette région, le jour sombre où, vers la fin des années 2030, l’Algérie, ayant définitivement épuisé ses réserves d’hydrocarbures, se réveillera à la fois ruinée, révoltée et surpeuplée, et deviendra quelque chose comme une bombe à fragmentation accrochée au flanc Sud de l’Europe. « C’est ce maelström d’agitation et de manipulation que le roi, bénéficiaire de la durée, peut », mais peut seul, tenter de « stabiliser ».
Le Maroc, un verrou migratoire
Cependant, Jean-Claude Martinez, s’il est universitaire, est aussi et d’abord un politique. À ce titre, il ne se contente pas d’expliquer les causes de l’exception marocaine. Il souligne, à l’attention de la France et de l’Europe, à quel point ce Maroc équilibré et équilbrant leur est objectivement nécessaire. Et combien il serait périlleux de faire mine de ne pas le comprendre, au nom d’intérêts médiocres ou de lubies idéologiques. Stabilisateur, le Maroc l’est en particulier en tant que « verrou migratoire », « garde-frontières » entre l’Afrique subsaharienne et l’Europe de l’Ouest : c’est pourquoi « la politique européenne de voisinage, en Méditerranée ne repose plus pour l’essentiel que sur ce pays et sa stabilité, et donc, sur sa royauté qui la garantit. Que l’on déstabilise celle-ci […] et toute la Méditerranée […] accélère son déversement. » Que l’on prête la main à de telles folies, et ce sont, aux portes de l’Europe, mille Lampedusa qui risquent de fleurir, d’innombrables “camps des saints” qui se multiplient sans que personne soit en mesure de les gérer jusqu’à la catastrophe ultime.
Et c’est sans doute l’une des grandes leçons de ce précieux petit livre : que la France a, plus que jamais, intérêt à soigner cet allié de toujours. Et qu’elle doit se souvenir que, dans certains cas, la loyauté est la plus payante et la plus raisonnable des politiques. •
Jean-Claude Martinez, Le Roi stabilisateur, Jean-Cyrille Godefroy, à paraître le 7 mai 2015, 233 p., 15 euros.
L’Action Française 2000, 16 avril 2015
tres bien et vrai
cordialement