Laurence Gauthier et Jacqueline Zorlu, Paris en latin. Legenda est Lutetia : Grands et petits secrets des inscriptions latines dans la capitale, Paris, Parigramme, 2014, 176 p. (11.90 euros)….
Paris et Rome sont jumelles. La silhouette de la louve capitoline, coincée entre Cluny et la Sorbonne, en atteste. Sous le bronze de la lupa nourricière, la pierre parle aux passants. On y a gravé cette formule :
AD FIDEI ET AMORIS VINCVLA FIRMANDA QVIBUS TRAQVE CIVITAS ALTERIS FAVSTE CONIVGITVR ROMA FABVLOSVM HOC SVAE ORIGINIS INSIGNE GEMINAE SORORI LVTETIAE PARISIORVM Etc.
Ce qui, dans la langue de Molière, se traduit comme suit :
« Pour consolider les liens de confiance et d’amitié qui unissent heureusement les deux villes, Rome apporte en présent amical ce symbole légendaire de son origine à sa sœur jumelle Lutèce des Parisiens, » etc.
La statue et la formule datent de 1962. Depuis la fin des années cinquante, Paris n’est jumelée qu’à Rome. En retour, la Ville éternelle ne se juge digne que de la Ville Lumière.
La gémellité entre les deux cités ne s’arrête pas là. On sait combien les anciens Romains tenaient en haute estime la langue latine. A deux millénaires d’intervalle, la capitale française est encore couverte de ses formules. Des porches des églises au fronton des monuments civils, des canons des Invalides aux cadrans solaires : certaines sont aisées à débusquer ; d’autres, plus pudiques, demandent un œil attentif et une curiosité aiguisée.
Retrouver le fil des centaines d’inscriptions latines parsemant la capitale, c’est la tâche que se sont assignée les auteurs de ce guide savoureux et admirablement conçu.
Au fil des pages, le lecteur parcourra des formules tantôt lapidaires – Cave Canem, au 227 rue Saint-Jacques – tantôt longues et pompeuses, à l’image de l’épitaphe du dernier roi catholique d’outre-Manche, au Collège des Ecossais. La promenade latinophile se mène quartier par quartier : sans surprises, le lecteur débutera ses pérégrinations sur l’île de la Cité, lieu de pouvoir et de droit depuis les origines. Puis, de Saint-Michel au Panthéon, les époques se mêlent et se répondent pour donner à la Montagne Ste Geneviève ses lettres latines. La Concorde, les Grands Boulevards, le Marais : l’heureuse chasse au latin n’épargne pas un quartier. Loin de se limiter à un recensement sommaire des formules, l’ouvrage nous fait nous plonger dans l’histoire du lieu et le sens des lettres. C’est tout le roman national qui s’éclaire à nouveau.
Car, bien postérieures à l’ère gallo-romaine de Lutèce, ces inscriptions illustrent le destin français et le regard que porte la France sur elle-même. Notre nation est profondément marquée du sceau de la latinité. Baptisée par un évêque gallo-romain dans la religion catholique romaine, alors qu’était ondoyé un chef franc romanisé ; élevée à la gloire par trois races de rois dont l’une – la carolingienne – rêva d’une rénovation de l’Empire ; soucieuse d’une indépendance nationale que les monarques allaient garantir en se drapant dans les prérogatives des empereurs romains ; fille aînée de l’Eglise romaine ; débitrice du génie latin qui conféra ses nobles accents à la langue de Ronsard ; éternelle nostalgique de la grandeur antique, du Roi-Soleil à l’Empereur corse : telle fut la course de la France.
L’ombre de la Louve plane toujours sur sa capitale. « Je suis Romain parce que si je ne l’étais pas je n’aurais à peu près plus rien de français », proclamait Maurras. Ce livre fascinant vous propose d’en faire l’expérience. •
Source : Le Rouge & le Noir
YANN CORFMAT sur Un espoir, le roi
“C’est ce que l’on appelle de nos voeux !”