Belle unanimité contre le projet de réforme du Collège avec la mobilisation de très nombreux représentants de « l’Intelligence » française : MM. Luc Ferry, Régis Debray, Laurent Joffrin, Pascal Bruckner, etc. Cela fait beaucoup de monde et surtout beaucoup de gens aux arguments pertinents et tous d’accord pour dénoncer « un désastre ». Les principales critiques concernent la mort programmée du latin-grec (mais aussi de l’allemand), une vision a-chronologique et culpabilisante de l’Histoire, et surtout l’usage d’un galimatias fortement suspecté de masquer la vacuité de prétendus « enseignements ».
Cette réaction est certes salutaire. C’est oublier quand même un peu vite que les réformes, réelles ou avortées, se sont succédé depuis mai 68 et que la présente n’est qu’une énième mouture. Mais aussi, et ce n’est pas un paradoxe, qu’elles ont été concoctées sous des ministères de droite et de gauche : les ministres Haby (1975), Jospin, (1989), Bayrou (1993), Allegre (1998), Fillon (2005) et Darcos (2008) ont tous cherché, sans toujours y parvenir, à laisser leur empreinte. Une succession de projets et parfois de réformes plus ou moins démagogiques et idéologiques, allant toujours dans le même sens pour l’essentiel, la philosophie de base restant d’enseigner et d’exiger de moins en moins, d’animer et de faciliter de plus en plus.
Même si Mme Belkacem doit lui donner son nom, le projet présenté aujourd’hui prend sa source en 2013 (ministère Peillon) : il exprime avec une rare violence la pensée des idéologues fous de la pseudo-pédagogie « moderne » réunis dans le Conseil supérieur des programmes. Les enfants de France sont les premières victimes du mythe de « l’Ecole de la République » – refondée ou pas. On se fourvoie, ou plutôt on les fourvoie, dès lors qu’on fixe comme finalité à « l’éducation nationale » la promotion d’un citoyen idéal à travers des objectifs comme le suspect « vivre ensemble » ou l’utopique « réussite pour tous ». La dénomination même d’ « éducation nationale » constitue une impropriété dangereuse. Sans revenir à la formulation « instruction publique », mieux vaudrait adopter le terme convenable d’ « enseignement », un enseignement fondé d’abord sur une relation inégalitaire assumée maître-élève et sur des programmes justement qualifiés de « fondamentaux ».
Mme Polony fait remarquer, dans Le Figaro, que M. Joffrin, directeur de la rédaction du journal Libération, fait partie de ceux qui, selon le mot de Bossuet « maudissent les conséquences des causes qu’ils chérissent ». Mais beaucoup d’autres, parmi les contempteurs de Mme Belkacem, sont dans le même cas, dans la mesure où ils prétendent conjuguer, de façon contradictoire, certaines des « valeurs » de Mai 68 et les exigences d’un enseignement digne de ce nom. On peut pourtant penser que le tollé provoqué par le nouveau projet est sans doute un signe, un de plus, donc la confirmation, d’une prise de conscience de nombreux intellectuels : cette réaction des intelligences préfigure même peut-être le grand retour de l’Intelligence. •
« …cette réaction des intelligences préfigure même peut-être le grand retour de l’Intelligence. », écrivez-vous, Monsieur Delanglade.
Puissiez-vous avoir raison!
Et puisse la France ne pas avoir à attendre d’ avenir trop lointain pour le dire!
Il faut lire, selon moi, la conclusion – ou simplement la fin – de cet excellent article de LJD dans la perspective maurrassienne telle qu’elle est développée dans l’Avenir de l’Intelligence. Cette dernière, après avoir affaibli les pouvoirs traditionnels pour les diriger n’a fait que précipiter leur chute et en définitive la sienne propre. Car au lieu que le ‘lettré » – l’intellectuel, l’écrivain, le philosophe, l’artiste, – soit devenu « roi » à la place des rois et des princes de l’ancienne Europe, il est tout simplement tombé, comme tout le monde nouveau, toute la société, dans la dépendance des puissances d’argent. L’esprit soumis à la force brutale du matériel : c’est ce que Maurras appelle l’âge de fer, ou âge barbare. Comme le fera en son temps Jean-François Mattéi.
Maurras accorde toutefois à l’Intelligence (la classe, la profession) la capacité de mesurer l’erreur commise et ses conséquences tragiques et il pense que l’ordre qu’elle a contribué à détruire, elle peut alors aider à le reconstruire.
C’est ce que Maurras, à la fin de l’Avenir de l’Intelligence (dernier chapitre) appelle « l’Aventure » … Exposé quasi stratégique qui, constatant l’état du monde civilisé, redoutant sa disparition, commence par le fameux « A moins que … » reconstructeur. Il faudrait relire et faire lire ces pages presque prophétiques qui demeurent d’une remarquable actualité. Car parmi les intellectuels d’aujourd’hui, de nombreuses voix s’élèvent et, semble-t-il, de plus en plus nombreuses, de plus en plus pertinentes, pour contester les désordres et les mauvais principes du monde actuel.