Entretien paru aujourd’hui sur Boulevard Voltaire. Lafautearousseau reviendra prochainement sur ce colloque.
Le journal L’Action Française a organisé, le 9 mai, un colloque de réflexion politique : « Dessine-moi un roi ». Il a réuni de nombreux intervenants parmi lesquels Hilaire de Crémiers, Gérard Leclerc, Frédéric Rouvillois. Philippe Mesnard, son rédacteur en chef, revient sur cet événement.
La monarchie en France en 2015 : une nostalgie, une utopie ou une espérance ?
Je ne pense pas qu’aujourd’hui la monarchie soit une nostalgie : c’est une possibilité. Il y a évidemment une dimension historique, fondamentale, dans l’analyse que les royalistes font de l’état actuel du pays et du recours au système monarchique comme solution pour la France. Mais l’analyse historique est une pure évidence, au niveau des régions comme au niveau du monde. Pour tenter un parallèle, Emmanuel Todd et Barack Obama sont eux aussi dans l’analyse historique, le premier avec ses catholiques zombifiés, le second avec sa géopolitique aberrante. Recourir à l’histoire, ce n’est pas se vautrer complaisamment dans un passé fantasmé, c’est tenir compte de ce qui a structuré l’espace physique et social, et qui le structure encore suffisamment pour que beaucoup veuillent en détruire ce qui en reste. Sinon, bien sûr, c’est une espérance : quel Français, inquiet du sort de sa patrie et blessé par ce que vivent ses concitoyens, n’espèrerait pas que son pays sorte du régime qui le détruit ? Et quant à notre colloque, « Dessine-moi un Roi », il a une dimension utopique, ou plutôt uchronique : imaginer quelles seraient les conditions et règles d’exercice d’une monarchie, en France, aujourd’hui, dans le monde tel qu’il est. On voit bien, d’ailleurs, qu’il ne s’agit pas de nostalgie : nous ne cherchons pas à ressusciter un décor, nous cherchons à déterminer les formes actuelles d’un bien commun délivré de la dictature des partis et de l’idéologie républicaine. C’est sans doute son originalité, et je suis très heureux qu’il y ait des représentants de la plupart des mouvements royalistes dans les intervenants pour partager ces réflexions.
En quoi pour vous, notre république est-elle finissante ?
La république est perpétuellement finissante, abattue, dissoute par ses propres fervents. Quand elle ne verse pas dans le césarisme, elle pourrit dans le parlementarisme et doit sans cesse être refondée, réinventée : aujourd’hui, les partis les plus divers réclament une VIe ! Mais surtout, la république se meurt de son propre mouvement, en se coupant du peuple qui est sa seule légitimité théorique (et le déluge ahurissant de critiques contre le populisme est symptomatique, ainsi que l’absence complète de démocratie directe), et se meurt en se fondant dans l’Europe : la république règne sur un territoire au frontières floues, aux peuples mouvants, aux lois étrangères, sans monnaie, sans souveraineté, sans identité. C’est un cénotaphe, un sépulcre blanchi. La seule chose qui est vivace, c’est le féroce appétit de ses élites.
La laïcité à la française est elle compatible avec votre conception de la monarchie ?
Si la laïcité consiste à séparer la spirituel du temporel, oui : c’est d’ailleurs une invention médiévale, qui a répondu aux vœux tout à la fois semblables et antagonistes de l’Église et des états, désireux d’indépendance mutuelle. Si la laïcité à la française consiste à nier que le fait religieux existe, et plus encore à lui nier toute existence politique et donc toute capacité sociale, non : il faut être un idéologue aveugle, un pur produit de l’anticléricalisme républicain français, pour croire que l’humanité puisse se passer de religion – et surtout pour continuer à le proclamer aujourd’hui, avec ce que nous vivons. La monarchie française intègrera bien sûr le fait religieux dans sa gouvernance, ce qui ne signifie pas avoir une religion d’état.
Un mot sur le Prince ?
Le colloque a plus été l’occasion de parler du cadre du gouvernement que de la personne même du Prince ou de son arrivée au pouvoir, même si l’AF a théorisé à plusieurs reprises, de Maurras à Michel Michel, les conditions d’accession – théories très théoriques ! Un pouvoir réel doit être un pouvoir incarné, c’est certain, et une continuité historique est un symbole fort. Cela dit, si le symbole est nécessaire, c’est la capacité à gouverner qui est cruciale, une capacité fondée sur la personne du Prince et presque plus sur les institutions. Ce sont celles-ci qui seront l’objet de notre attention. Je ne doute pas que lorsque le moment sera venu, le choix d’un prince revêtira ce caractère d’évidence qu’il a toujours eu. •
Tout cela est excellent et montre la vitalité de l’AF et la qualité politique de notre ami Philippe Ménard. Cependant, Je m’étonne toujours , chez les royalistes de raison, cet assaut de précautions langagières sur la perspective d’une religion d’état. les pays scandinaves, pour ne prendre que ces exemples, aujourd’hui ont une religion d’état et personne n’y voit à redire. Est-ce que c’est le fait d’envisager que l’Eglise étant fondatrice et consubstantielle à la France et au royaume, ne pourrait être l’expression de la religion historique d’état? Cela voudrait-il dire que le roi ne serait pas sacré à Reims dans la religion catholique? Craindrait on qu’une religion d’état soit un obstacle à la liberté religieuse? Cela mériterait pour le moins un débat qui ne soulève pas la question de la foi , mais qui est éminemment politique.
Je ne sache pas, quant à moi, que l’Action française ait jamais fixé une position – en quelque sorte « doctrinale » – qui affirmerait la nécessité pour la France d’aujourd’hui d’une religion dite Religion d’Etat. Ni aux origines de l’A.F., par exemple dans l’Enquête sur la Monarchie – ni ultérieurement.
Que l’Etat reconnaisse le rôle prééminent de l’Eglise catholique dans la formation de la nation, qu’il l’aide à le conserver ou à le reconquérir dans la France d’aujourd’hui, n’implique pas nécessairement que, si l’on peut dire, l’Etat ait une religion. Que le Roi – éventuel pour l’instant – soit catholique, que sa famille le soit aussi, ne l’implique pas non plus.
Dans l’état actuel de la société française – et, j’ajouterai de l’Eglise catholique elle-même – je ne crois pas souhaitable ni possible qu’il soit institué en France une religion dite Religion d’Etat.
Je ne crois une telle confusion souhaitable ni pour l’Etat ni pour l’Eglise.
S’il devait y avoir un jour une monarchie en France, il faudrait, je trouve, commencer par le commencement. C’est à dire, pour ce qui est du domaine politique, refaire un Etat qui en soit un; pour ce qui est de la société, lui rendre les lois et les principes qui en reconstitueraient la force et la cohésion; et pour ce qui est de l’Eglise espérer qu’elle retrouve, elle-même, sa capacité d’attraction et d’influence positive, refondatrice. Mais ceci ne va pas de soi, ne dépend pas de l’Etat, il faudrait en demander raison aux clercs.
La France n’est ni la Scandinavie ni la Grande Bretagne. Elle n’est pas non plus, aujourd’hui, ce peuple rassemblé et communiant dans la même foi,, dans la même loi, sous le même roi, qu’elle fut au Moyen-Âge et, encore, sous l’Ancien Régime.
Sur ce sujet, je dirai ce que Maurras disait à propos de l’Europe : « Faites, mais ne faites pas comme si c’était fait ».
La question de la religion , dite d’Etat , n’a jamais été approfondie à ma connaissance à l’Action française. S’agissant du roi, il est la plus haute représentation de l’Etat, il ne peut être que catholique et je ne vois pas où est le problème. Il n’y a que chez nous pour le poser en ces termes. Comme disait de Gaulle, la république est laïque, mais la France est Catholique, et j’ajouterais , non pas parce que les français ont la foi, ils sont de moins en moins nombreux, mais parce que ce pays a été construit par l’Eglise comme aimait à le répéter Maurras dans ses entretiens avec Boutang et que la dégradation de l’Eglise affaiblit la France , comme la dégradation de la France affaiblit l’Eglise. Je vous renvois aussi à : »la vocation spirituelle de la France » de Georges Bernanos pour vous en persuader . Et surtout , ne me prenez pas pour un mystico- dingo, engeance que j’abhorre particulièrement , mais pour un adepte du « politique d’abord » qui n’oublie pas que nous sommes, peuple de France, en premier lieu des héritiers.
On ne définit pas une politique religieuse pour la France d’aujourd’hui en quelques lignes de commentaire, fût-ce sur Lafautearousseau. Les rapports du politique et du religieux ont toujours été un sujet fort délicat qui ne se résume pas à des pétitions de principe; les réalités – en l’occurrence, celles de l’Etat, de la société, de l’Eglise et de ce qu’elle-même est devenue – y ont une large part.
Lors du colloque Dessine-moi un roi, Hilaire de Crémiers a traité ce sujet et, selon moi, a dressé les grandes lignes de ce que pourrait être une politique religieuse sérieuse et équilibrée pour une France qui serait redevenue royale. Son intervention m’a paru assez remarquable pour considérer que le mieux, s’agissant de la question religieuse, serait de s’y reporter.
Maurras et l’Action française ont beaucoup traité de ce sujet, beaucoup écrit, beaucoup publié en matière de politique religieuse. Il me semble que dans cet ensemble – où le rôle prééminent de l’Eglise catholique est toujours affirmé – une religion d’Etat n’est prônée nulle part.
Bien d’accord sur l’essentiel, sauf que si on n’a jamais abordé la question de la religion d’Etat, c’est peut-être aussi que, s’agissant du royaume de France, la question allait de soi. Le laïcisme est bien une invention républicaine, tandis que la notion de laïcité remonte bien plus haut et se trouve être inventée par l’Eglise elle même. Cette dernière visait à distinguer les pouvoirs temporels et spirituels, ce que les capétiens ont toujours rigoureusement observé. Maurras , bien qu’agnostique cependant, ne pouvait pas imaginer une France qui ne soit alliée étroitement à l’Eglise qui est en réalité sa mère et sa marraine. Quant aux royalistes politiques qui ‘ont précédé le maître de Martigues et qui étaient partisans du comte de Chambord comme La tour du Pin par exemple, il n’y avait même pas débat sur la question de religion d’Etat, tellement c’était une évidence. En fait, il s’agit en réalité d’un faut débat qui a été, en partie de mon point de vue , biaisé par une bourgeoisie conservatrice et complexée qui voulait ramener la monarchie à petits pas de clercs, pour paraphraser Bernanos et qui cherchait à mettre de côté ce sujet de contradiction qui ne fait pas sérieux dans un argumentaire politique au parlement, fondé sur des données matérielles et des statistiques autrement plus rationnelles et rassurantes C’est comme la notion de droit divin (qui n’a jamais existé dans les lois fondamentales et qui semble être une invention comme tant d’autres de Jules Michelet) qui ne fait que reprendre le rend à César du Christ, complété par ces autres paroles délivrée à Ponce Pilate: « Tu n’as ce pouvoir que parce-que mon père te l »a donné » » , :De fait , je considère pour ma part que je suis père de famille de droit divin. Qui viendrait , à moins qu’il ne soit athée, me contester cette évidence? Bref, si on ne sait y répondre ne posons pas la question de la religion d’Etat et faisons comme si tout cela s’inscrivait dans la tradition, car je ne voudrais pas que le roi reçoive sa couronne au Panthéon des mains d’un haut fonctionnaire.
Merci à Philippe Mesnard de faire référence à Michel Michel, qui au-delà de théories parfois très théoriques, a su réintroduire une approche sociologique dans une famille politique pétrie de juridisme, théologie, philosophie.