PAR MATHIEU BOCK-CÔTÉ.
Cette chronique parue dans Le Figaro du 8 mai, pose directement, radicalement, de bien redoutables questions à la démocratie, et tout spécialement à la démocratie française qui présente cette particularité d’être née d’une révolution à la fois idéologique, institutionnelle, sociale, spirituelle et anthropologique, contre l’héritage national tout entier et d’une révolution qui finit par inventer la Terreur. Qu’elle a exportée partout sur notre pauvre terre. Mathieu Bock-Côté ne relève pas, par ailleurs, que les régimes totalitaires qui nous menaçaient dans les années 1930 étaient eux aussi originellement des produits de la démocratie, ce que savait George Steiner. Il n’empêche : les questions posées ici sont essentielles et à l’évidence elles nous concernent. Nous écrivions en commentaire de la dernière chronique de Mathieu Bock-Côté publiée dans ces colonnes : « À chaque problème, sa réflexion (est) spécifique, mais de façon toujours radicale, si l’on accepte de prendre ce mot en son vrai sens qui n’est pas exagération, extrémisme, exaltation vulgaire mais bien plutôt : à la racine. Il nous semble que c’est là l’apport propre de Mathieu Bock-Côté. Il nous paraît aussi que dans ces temps sans boussole, la radicalité prise en ce sens, le recours aux racines, est un bien précieux. » Et c’est sans-doute là que l’on peut trouver un premier début de réponse aux interrogations légitimes que suscitent en beaucoup d’esprits contemporains les défaillances de notre démocratie.
Ce qui nous frappait tous – et à juste titre –, c’était le contraste entre la paralysie des régimes démocratiques et le relèvement spectaculaire de l’Allemagne hitlérienne.
Raymond Aron, « Mémoires »
Mai-juin 1940 demeure dans l’histoire de la Seconde Guerre mondiale un moment quelque peu énigmatique. Sur le strict plan militaire, la France n’était pas condamnée à l’effondrement en six semaines.
Certes, l’univers intellectuel du commandement des armées était fossilisé, accroché à des conceptions stratégiques désuètes qui n’avaient pas intégré le mouvement propre à la guerre moderne. La mobilisation s’était aussi faite sans lyrisme et le grand affrontement à venir contre l’ennemi héréditaire n’avait aucune charge poétique. Il ne s’agissait pas de la der des ders, non plus que de la guerre pour mettre fin à toutes les guerres. Le patriotisme français était moins conquérant qu’angoissé et la suridéologisation de la vie politique divisait intimement le pays. Les soldats étaient néanmoins prêts au combat, comme s’ils avaient toujours su qu’un jour ou l’autre viendrait le temps d’un nouvel affrontement avec l’Allemagne.
L’effondrement de mai-juin 1940 s’explique plus aisément, toutefois, lorsqu’on revient sur l’état psychologique d’une bonne partie des élites françaises tout au long des années 1930, prostrées, par exemple, devant l’occupation de la Rhénanie en 1936, ou consentant avec soulagement aux accords de Munich, en 1938, comme s’il fallait à tout prix reporter la guerre à venir, quelles qu’en soient les conséquences. Encore un instant, Monsieur le Bourreau ! La « drôle de guerre » engagée en septembre 1939 suite à l’invasion de la Pologne par Hitler était de même nature. Dans ses Mémoires, Paul Reynaud est revenu sur cette période en se présentant comme une triste Cassandre, incarnant une forme de lucidité impuissante, comme si le peuple français, au fond de lui-même, croyait pouvoir éviter l’épreuve de force. On ne peut relire les pages qu’il consacre à la guerre à venir sans ressentir un certain désespoir devant la bêtise des hommes.
Il serait trop facile de revenir sur ces années de manière moralisatrice. Il ne nous est pas interdit, toutefois, d’y reconnaître une forme de décadence française – et britannique, car la Grande-Bretagne, avant le sursaut churchillien, semblait prête à bien des compromis avec l’Allemagne. Dans L’Ombre de la guerre, Raoul Girardet a eu cette formule terrible: « Le temps de mon enfance fut celui où les monuments aux morts étaient encore neufs. » La France pouvait-elle se permettre une nouvelle grande saignée ? Elle ne voyait pas la guerre à venir sous le signe de la revanche et n’était pas animée d’un profond ressentiment, comme c’était le cas de l’autre côté du Rhin. Le traumatisme de la Grande Guerre avait accouché d’un pacifisme dogmatique, étranger aux rapports de force internationaux. Bertrand Russell résumera cet esprit d’une formule: « Pas un des maux qu’on prétend éviter par la guerre n’est un mal aussi grand que la guerre elle-même. »
Ce pacifisme était aussi un défaitisme. Les démocraties étaient-elles impuissantes devant ce qui semblait être la vigueur des régimes totalitaires, qui exaltaient la volonté nationale à travers une esthétique martiale célébrant la mobilisation totale ? La démocratie n’était-elle pas coupable d’amollir les peuples en leur imposant une forme d’avachissement qu’elle faisait passer pour la vraie liberté ? Cette question n’était pas réservée à cette frange de la droite faisant traditionnellement son procès. Raymond Aron le confessait dans ses Mémoires: «Ce qui nous frappait tous – et à juste titre -, c’était le contraste entre la paralysie des régimes démocratiques et le relèvement spectaculaire de l’Allemagne hitlérienne (…).Quel gouvernement pouvait sortir de la compétition entre des partis qui se perdaient dans des intrigues parlementaires et qui refusaient d’ouvrir les yeux ? Baisse de la natalité, baisse de la production, effondrement de la volonté nationale : il m’est arrivé par instants de penser, peut-être de dire tout haut : s’il faut un régime autoritaire pour sauver la France, soit, acceptons-le, tout en le détestant.»
La méditation sur mai-juin 1940 entraîne une réflexion sur la nature de la démocratie : à quel moment se laisse-t-elle dévorer par ses propres pathologies ? À quelles conditions peut-elle affronter une épreuve historique, où les décisions les plus difficiles sont néanmoins nécessaires ? Est-elle capable d’affronter directement un ennemi affichant son désir de l’abattre ? Ne pousse-t-elle pas les hommes à l’excitation stérile quant à leurs plaisirs privés tout en les rendant aveugles aux exigences du bien commun ? Peut-elle trouver en elle-même les ressources symboliques pour se défendre ou doit-elle mobiliser des affects et passions qu’elle a paradoxalement tendance à combattre en temps de paix ? Comment restaurer la vigueur d’un pouvoir capable d’assumer le tragique de l’histoire dans un régime qui semble tenté par sa neutralisation ? Ces questions difficiles n’appartiennent pas exclusivement aux années d’avant-guerre. ■
Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l’auteur d’Exercices politiques (éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois (éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Ses derniers livres : Le multiculturalisme comme religion politique, aux éditions du Cerf [2016] et le Le Nouveau Régime (Boréal, 2017).
Dans cet article, « procès de la démocratie », on frôle l' »esprit de jouissance » que dénonçait Pétain chez les Français de l’entre-deux-guerre ». Autrement dit, la paresse individuelle à travers la réduction du temps hebdo. de travail (en 1936) pour les classes sociales défavorisées, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes traduit en « pacifisme dévastateur » seraient les causes de la faillite de 1940… Heureusement, Maurras, ce « grand démocrate » rongé de nostalgies monarchiques et d’aigreurs sociales, aura sauvé la Fance en 1945 ? La cause de la défaite de 1940 pour moi, c’est avant tout cette France réactionnaire, très séduite par quelques thèses hitlériennes de ‘l’inégalité naturelle » entre les hommes et qui aura subjugué de beaux militaires et politiques… d’un autre siècle ! D’un Raymond Aron ou d’un Marc Bloch, lequel aura finalement été le meilleur acteur de la défense patriotique. Mais un Canadien, sous tutelle monarchique, saura-t-il jamais lucidement répondre à cette question ?
Qui répondra à ce curieux commantaire auquel je n’entends rien ? Qui est « confus » (au sens US – de moi ou de Vincent Robin ?
Les conditions du traité de Versailles, écrasant le vaincu au nom de la morale, les malheurs qui s’en sont suivis pour le vaincu ont pu participer à la venue d’ un vengeur ; ce fut Hitler, c’aurait pu être un autre. ( Hitler, du reste avait une certaine admiration pour Clemenceau .)
Pourrait on dire que cette paix a préparé la guerre.
Autre point, vu à la TV, il y a des décennies, une émission dans laquelle un officier allemand ayant fait cette bataille de France relevait que tous ses prisonniers étaient ivres .
(A rapprocher de ce qui nous avait été appris au lycée sur la façon dont on alccolisait fortement les soldats au cours. de la guerre de 14-18 avant les assauts pour stimuler leur ardeur au combat.)
Le « traité de Versailles, écrasant le vaincu », dites-vous ? Comment ça ? Il aurait fallu démembrer l’Allemagne, démanteler tout son équipement industriel, ravager ses voies de chemin de fer, importer chez nous ses machines, la faire revenir à l’état où les superbes traités de Westphalie l’avaient laissée : un éparpillement de plusieurs centaines d’États indépendants qui se cherchaient des noises comme des enfants dans une cour de récréation.
On a démembré l’Empire d’Autriche, catholique et bienveillant parce que les saletés Wilson et Clémenceau haïssaient cet Empire désormais calme. Et on a pleurniché sur la Prusse et ses timbres-poste à 1 milliard !!
« Le chien enragé de l’Europe » aurait dû disparaître ; si j’avais été un démiurge j’aurais eu deux solutions : faire l’essai des bombes d’Hiroshima et de Nagasaki sur Berlin et Hambourg et installer le « Foyer national juif » en Bavière (et le temple à Jérusalem). Voilà qui nous aurait évité bien d’ennuis !
Vous ne pensez pas ?
Tombé, il y a quelques années, par hasard, sur un document d’archives dans lequel Oppenheim regrettait que l’Allemagne ait capitulé en 45 ce qui ne lui avait permis de tester l’arme atomique sur la population allemande .
Pas très original donc cette idée !
Le plan Morgenthau, prévoyait, après la défaite allemande de 45, une destruction méthodique de ce pays incluant la stérilisation de la population.
Là encore, ce n’est pas original .
Pour ce qui est d ’installer un foyer national juif en Allemagne à l’époque où il a été établi en Palestine, il n’est pas sûr que cela ait convenu aux bénéficiaires dont les alliés voulaient s’assurer le soutien ; du reste il y avait plus de juifs en Allemagne qu ́en Palestine à l’époque 14-18
Tout ceci ne s’est pas réalisé ; qu’ aurait eu à y gagner la France qui a bien profité de la politique agricole commune du temps de « l’Europe des 6 », et auparavant, des savants du 3eme Reich recrutés après la capitulation avec de conditions très avantageuses pour concurencer les américains. ( l’aviation française doit beaucoup à la récupération des spécialistes en moteur à réaction)
Sans parler des pillages du début de l’occupation , (mais c’était une compensation: la France occupée aurait fourni un tiers du coût de la guerre sur le front Et ce, d’après un autre documentaire TV )
Pour ce qui est des rapprochements au coin de l’oreiller, cela s’est vu aussi bien en Allemagne, qu’en France, sans attendre Conrad Adenauer et Charles de Gaulle.
Il suffit de lire Jacques Bainville («Les Conséquences politiques de la paix») pour corriger tous les «a priori» commodes de l’à postériori (c’est-à-dire d’après 39-45) et, ainsi, de ne pas risquer d’aligner de sots lieux-communs infectés de bien-pensance.
La Première Guerre mondiale n’a en rien anticipé la Seconde ; en revanche, le traité de paix lui-même l’a soigneusement mise en chantier, tout comme la Société des Nations de 1919 a préparé le terrain, non tant à l’ONU qu’à l’OTAN.
Il ne faut pas imputer 39-45 à l’Allemagne, mais bien aux Anglo-Saxons et, au premier chef, aux USA. Par suite, il ne faut pas préjuger de ce qui a précédé pour se satisfaire de ce que l’on se refuse à admettre pour ce que c’est : la dégénérescence moderne, sociale, politique et institutionnelle, est le résultat direct de 1945 : de l’Épuration, en France ; de la «dénazification», en Allemagne ; d’Hiroshima et Nagasaki, au Japon ; de Nürember, de par le monde ; etc. D’où, ce que l’on désigne aujourd’hui par «gouvernement des juges», avec cette précision que la «justice» est entre les mains d’usurpateurs, de minus-Napoléons au tout petit pied hargneux.
Le grand drame historique de l’Occident, c’est le démembrement de l’empire austro-hongrois, l’exil tragique du Habsbourg, tout comme la «séparation de l’Église et de l’État» a fondé en France le régime dictatorial de l’athéisme institutionnel : le laïcisme républicain.