Dans sa page Rétrolectures (une fort bonne idée, cette page…), consacrée donc ce 15 juillet à Jean-François Gravier, Jean-Louis Andréani revisite son ouvrage Paris et le desert français.
Le commentaire est intéressant, et le ton élogieux. Y a-t-il une petite ambigüité, un sous-entendu, lorsqu’il, évoque les idées royalistes de Gravier ? Faut-il subodorer une arrière-pensée dans le rappel « …avant de travailler pour Vichy » ou l’expression « inspiration pétainiste » ?Ce serait faire preuve d’une sorte d’amnésie à sens unique, aussi injustifiée que surprenante: imaginerait-on le même journaliste gêné de parler de Mitterand, par exemple, parce que celui ci a eu une période vichyssoise, fort bien connue de tous… ?
Ne faisons donc pas de procès d’intention à Jean-Louis Andréani, que nous feliciterons au contraire pour la qualité de ses lectures et le choix de ses auteurs. Voici le texte de son article, intitulé sobrement « Paris et le Désert français ».
Dans un domaine qui n’est pas vraiment une pépinière de best-sellers, le livre de Jean-François Gravier, Paris et le désert français, a eu une carrière hors du commun. Plus qu’une référence, il reste un témoignage, un symbole : celui de la révolte contre une France déséquilibrée, entre une région-capitale écrasante, où tout se passe, et une province belle endormie qui suscite l’ennui et fait fuir les talents vers la Ville Lumière.
Lorsque le jeune géographe (né en 1915, il a lors 32 ans) publie en 1947, aux éditions du Portulan, il n’imagine pas que son essai (tiré à 3.000 exemplaires) puisse inspirer au général de Gaulle l’aménagement du territoire à la française et devenir la bible de la décentralistaion. L’influence de Gravier se retrouverait même dans la « nouvelle société » de Jacques Chaban-Delmas, premier ministre de Georges Pompidou de 1969 à 1972;
En 1947, Le Monde ne rate pas Paris et le désert français, sans toutefois lui accorder une très grande place. Le supplément hebdomadaire « Une semaine dans Le Monde » du 25 octobre 1947 consacre environ une demi-colonne à ce « remarquable ouvrage ». Même si l’auteur du papier cite surtout la préface de Raoul Dautry, ministre de la reconstruction et de l’urbanisme à la Libération.
Réédité une première fois en 1958 par Flammarion, Paris et le désert français est couronné par le Grand Prix d’histoire de l’Académie française, le prix Gobert, le 17 décembre 1959. L’écrivain Maurice Genevoix prononce l’éloge du récipiendaire et salue « un chef-d’oeuvre (…), un ouvrage bénéfique » dont les répercussions devraient être « considérables ». En 1972, l’ouvrage est réédité une troisième fois, de nouveau par Flammarion.
A lire aujourd’hui les quelque 400 pages de l’édition de 1947, le « Gravier » correspond bien à l’empreinte qu’il a laissée dans la mémoire collective. La première partie, « Bilan », qui occupe la moitié de l’ouvrage, est un réquisitoire bourré de cartes, de chiffres, de tableaux. C’est elle qui a bâti la légende de Gravier. Dans un style incisif, malgré les références constantes aux statistiques, l’auteur y décrit avec minutie cette exception française qui fait que le centralisme politique hérité de l’Ancien Régime a gagné, de proche en proche, les sphères économique, culturelle, éducative, jusqu’à faire de la centralisation parisienne la règle générale. Le raisonnement de Jean-François Gravier est simple. Il défend la décentralisation au nom de l’efficacité, notamment économique, et du mieux-être des populations qui, à ses yeux, vont de pair.
L’auteur considère que, comparée notamment à l’Allemagne – n’oublions pas que le livre sort deux ans après la guerre -, la France devrait rechercher, à long terme, un gain de presque 30 millions d’habitants, pour arriver à 73 millions, avec la production industrielle correspondante. Et il se demande si la centralisation est le meilleur moyen d’y arriver : « Peut-on fonder l’avenir d’une nation sur l’hémorragie interne ? Peut-on fonder sa renaissance sur le gonflement congestif de 4 % de son territoire et sur l’appauvrissement continu en hommes et en productions de la moitié de ses provinces ? » Gravier résume d’ailleurs en trois mots « les vrais problèmes français » : « population, énergie, investissement ». L’auteur s’y montre adepte résolu du Plan et de « l’économie dirigée », qui prévaut à l’époque.
« TENTACULES »
Gravier est parfois utopique, excessif, verse dans l’autoritarisme pour servir sa volonté farouche de relancer la production. Mais l’ouvrage impressionne encore aujourd’hui par la force de ses descriptions, ses capacités d’anticipation. Ainsi, avec trente ans d’avance, le géographe (disparu en 2005) prône la création de 16 régions, chacune dirigée par un super-préfet. Il souligne la nécessité d’un « Grand Paris » d’environ 5 millions d’habitants, insiste sur les conséquences néfastes du laisser-faire urbanistique. Quant à la capitale elle-même, il déplore – en 1947 ! – que « Paris semble aménagé pour des automobiles et non pour des hommes – encore moins pour des enfants »…
Mais il y a une face souvent ignorée de Jean-François Gravier, son engagement idéologique dans la mouvance maurassienne. Un jeune universitaire, Antonin Guyader, rappelle que le géographe, qui signe alors « François Gravier », a été membre des étudiants royalistes d’Action française, puis a continué à graviter dans les milieux de la droite monarchiste, avant de travailler pour Vichy (La revue Idées 1941-1944. Des non-conformistes en Révolution nationale, L’Harmattan 2006). Plus tard, Gravier aurait été sensible aux idées du personnalisme chrétien. Dans quelle mesure l’idéologie de jeunesse de Gravier a-t-elle pesé sur ses analyses ? Depuis la fin des années 1990, quelques auteurs dénoncent une inspiration pétainiste du Désert…
Dans l’édition de 1947, Gravier montre une méfiance évidente envers les très grandes structures, qu’il s’agisse de la ville ou de l’entreprise, stigmatise « les tentacules » de Paris et des plus grandes villes. Mais il cite aussi en exemple Milan ou la structure urbaine multipolaire de l’Allemagne, veut faire de Poitiers et Aix-en-Provence un Oxford et un Cambridge français, défend le rayonnement de la capitale et soutient que l’aura intellectuelle, culturelle, du Paris de la fin du XIXe siècle ne souffrait pas d’une population moins importante. Le mouvement de repeuplement des campagnes, que souhaitait organiser Gravier, a d’ailleurs commencé aujourd’hui, à partir des bases mêmes qu’il évoquait : besoin d’espace, de nature, fuite de la saturation urbaine. Tandis que le poids démographique de l’Ile-de-France semble stabilisé, voire en légère baisse.
Au demeurant, ce poids toujours décisif malgré l’attraction des nouvelles métropoles régionales, l’asphyxie qui gagne la région parisienne, les problèmes inextricables de logement, de transport, de pollution, amène à se poser une question essentielle : si la prise de conscience accélérée par l’ouvrage de Jean-François Gravier n’avait pas eu lieu, quel serait le visage de la France d’aujourd’hui ?
Noël Stassinet sur On attend une vigoureuse réaction du…
“Alors les grands penseurs de la gôôôche on se réveille ? On a une panne de…”