PAR MATHIEU BOCK-CÔTÉ.
Cette tribune est parue dans Le Figaro de samedi dernier 21 août. Nous ne sommes pas très sûrs que l’humanitarisme sentimentalo-messianique des Américains et le néo-« wilsonisme botté » au moyen duquel il tente sans cesse ni répit de se répandre sur le monde, ne soient pas d’essence aussi archaïques dans leur fond que le tribalisme et la foi islamique des Afghans q, tout de même viennent de triompher face à l’Hyperpuissance. Ce qu’en dit Michel Jobert, que Bock-Côté rapporte plaisamment le montre à suffisance. Pas davantage le retour des talibans à Kaboul ne peut être qualifié de retour au Moyen-Âge comme si ce que nous nommons ainsi – notre Moyen-Âge – avait grand chose à voir avec la société afghane sous régime taliban ou non. Ce genre de comparaisons spatio-temporelles nous semble toujours assez oiseux. Mais ne cherchons pas querelle à Mathieu Bock-Côté qui sur ce triste dossier afghan dit, selon son habitude, tout l’essentiel.
« La démocratie à l’occidentale, imposée artificiellement à un pays qui n’y est pas prédisposé, peut vite devenir explosive. »
Il ne reste plus rien de la théorie des dominos démocratiques, formulée en son temps par les promoteurs du « wilsonisme botté », qui s’imaginaient possible d’implanter partout un régime semblable à celui prévalant dans le monde occidental. L’humanité est fondamentalement plurielle, et même les aspirations les plus généreuses ne sauraient transcender, et encore moins abolir, la diversité des États, des nations, des civilisations, des cultures et des religions qui la composent.
On ne comprendra rien à cet échec si on ne médite pas sur les limites de ce qu’il faut bien appeler l’anthropologie américaine. On prête à Michel Jobert une boutade amusante. Alors qu’on lui demandait pourquoi de Gaulle était antiaméricain, il aurait répondu qu’il n’était pas du tout hostile aux Américains mais cherchait à les mettre en garde en matière de politique étrangère contre leur incommensurable bêtise et leur incroyable stupidité. La formule est lapidaire, et même injuste : elle n’en dévoile pas moins un aspect essentiel de la réalité. Il faut le redire : la démocratie ne saurait éclore et s’épanouir dans un environnement civilisationnel qui lui est radicalement étranger et qui ne porte pas en elle ses germes.
La démocratie à l’occidentale, imposée artificiellement à un pays qui n’y est pas prédisposé, peut vite devenir explosive. Il y avait quelque chose d’irréel à croire qu’un pays aussi archaïque que tribal comme l’Afghanistan – et on pourrait en dire de même de l’Irak et de la Libye – puisse se convertir en une génération au modèle occidental, comme si chaque homme sur terre était au fond de lui-même un citoyen du New Jersey en devenir. Le fantasme néoconservateur qui a pris forme dans les années 1990 et qui fut porté aux États-Unis par les républicains comme par les démocrates était ancré dans la vision du monde d’un peuple qui a souvent tendance à se croire porteur d’une mission rédemptrice pour l’humanité entière et qui voit dans son modèle de société une préfiguration de celui appelé à la commander globalement.
Au fil de leur histoire, les États-Unis ont accueilli, au-delà de leur noyau anglo-saxon originel, une série de vagues démographiques qui se sont fondues dans le patriotisme américain. Les cultures d’origine survivent sur le mode folklorique et structurent la société civile sans façonner véritablement la communauté politique. Certes, ce modèle s’est grippé depuis une trentaine d’années, mais il domine encore l’imaginaire du pays. Les Américains, au fond d’eux-mêmes, peinent à prendre les différences culturelles fondatrices au sérieux.
Ils ne croient pas à la profondeur historique de chacune, au caractère déterminant de leur pli archaïque. Ils croient moins à la diversité des peuples qu’à l’interchangeabilité des populations, ils tendent à fonder leur politique étrangère sur ce principe et sont chaque fois ébaubis lorsque la réalité dément leur idéal. Que le régime des talibans soit toxique ne fait aucun doute, et ceux qui se questionnent sur ses intentions réelles, ou les diplomates lui enjoignant de se montrer inclusif, se ridiculisent. On comprend par ailleurs les Afghans qui entendent le fuir à tout prix. Mais le sentimentalisme humanitaire ne saurait faire une politique, et ceux qui plaquent sur l’exode possible de dizaines de milliers d’Afghans, ou même plus, le modèle des boat people d’antan errent.
Une transformation du droit d’asile en filière migratoire à part entière s’est en effet opérée depuis lors et relève d’une falsification des règles élémentaires de l’hospitalité. S’il est normal que les pays occidentaux accueillent ceux qui ont directement servi leurs armées, et certaines catégories étroites de réfugiés, comme les militants des droits de l’homme dont on parle beaucoup actuellement, l’ouverture des frontières ne saurait sérieusement aller au-delà.
Il serait très grave de commettre à nouveau la faute de 2015 avec les «réfugiés» syriens. Les Afghans, quoi qu’on en dise, ne sont pas des Occidentaux en devenir. À grande échelle, la majorité de ceux qui fuiraient seraient culturellement étrangers à l’Europe et pénétrés d’une conception archaïque de l’islam radicalement incompatible avec nos sociétés. Si chaque Afghan, individuellement, peut évidemment s’assimiler à l’Europe, l’effet de masse viendrait anéantir cette possibilité, en plus de paver le chemin d’un communautarisme agressif. L’indignation théâtralisée devant ce rappel relève d’un dogmatisme diversitaire devenu pathologique. ■
Mathieu Bock-Côté
Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l’auteur d’Exercices politiques (éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois (éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Ses derniers livres : Le multiculturalisme comme religion politique, aux éditions du Cerf [2016] – le Le Nouveau Régime (Boréal, 2017) – Et La Révolution racialiste et autres virus idéologiques, Presses de la Cité, avril 2021, 240 p., 20 €.
Sélection photos © JSF
En quelques phrases, tout est dit et bien dit dans cette tribune de Mathieu Bock-Côté , tant sur l’échec du sentimentalo-messianisme occidental, que sur les dangers d’un accueil massif irréfléchi .
Mathieu Bock-Côté est en France pour une année entière ; comme beaucoup d’autres , j’en suis ravie , car, dans la perspective des futures élections dont l’enjeu est si important , sa présence et sa voix seront ô combien précieuses .
Cordialement