Les Lundis.
Par Louis-Joseph Delanglade*.
Il fut un temps où la gauche bien-pensante s’agitait aux cris de « US go home ». Aujourd’hui, nos journaleux hexagonaux, ceux de la presse dite mainstream, vieux militants soixante-huitards et leurs épigones, sont accablés par le retrait américain. Ils en critiquent les conditions lamentables, ils en déplorent les conséquences supposées. Les conditions ? On pointe du doigt les laissés-pour-compte afghans sur le tarmac de l’aéroport de Kaboul. On n’avait pourtant pas fait tant d’histoires en 1962, lors de l’abandon par la France de milliers de harkis présentés comme des traîtres. Quant aux conséquences possibles, on dénonce déjà les représailles à venir. Mais pourquoi s’en indigner, ou seulement s’en étonner ? Ce ne serait ni plus ni moins qu’une épuration comme les autres : à commencer par la nôtre en 1944-45. Et puis, le sort des femmes ! Que nos féministes se rassurent : les Afghanes ne seront pas tondues mais simplement priées de se rhabiller, s’alignant ainsi, bon gré mal gré, sur ces centaines de femmes musulmanes qui arpentent, plus que voilées et par provocation, les rues et quartiers de nos villes.
Défaite, donc, des Américains en Afghanistan ? Sans doute. Et, qui pis est, défaite sans panache, une sorte de reddition en rase campagne. Il est vrai que chez nous – et c’est encore une de ces exceptions françaises – nous aimons à tirer orgueil de certaines batailles perdues, comme Dien Bien Phu, Camerone ou Sidi-Brahim, où se manifesta l’héroïsme de nos soldats. Les Anglo-Saxons, plus pragmatiques, ne s’intéressent qu’au résultat, en l’occurrence vingt années d’une guerre qui leur aura coûté 2400 soldats tués et 1000 milliards de dollars – et qui aura aussi instillé le poison du doute jusque chez leurs plus proches alliés. 1000 milliards pour rien, ou presque.
Pourtant, à quoi bon critiquer les Américains d’avoir quitté Kaboul ? C’était leur décision et de fait leur intérêt bien compris. D’ailleurs, ils auraient pu et, à en juger par la débandade de l’armée régulière afghane et l’effondrement immédiat de l’Etat afghan tout entier, ils auraient surtout dû le faire avant. On se rappelle que le 27 mai 2014, soit trois années après l’exécution de Ben Laden, – exécution, dont le récit qu’en fait le président américain dans ses Mémoires mérite d’être lu -, M. Obama avait en effet annoncé la décision de rapatrier les troupes à brève échéance : il était alors question de 2017. Or, malgré son « habillage démocratique », c’est-à-dire la prétention de transformer le pays en une démocratie à l’occidentale, l’objectif de l’intervention de 2001 était bien de décapiter Al-Qaïda. Cet objectif atteint, il fallait partir. Au plus tôt. Ni M. Trump ni M. Biden n’ont eu d’états d’âme à ce sujet, même si les choses ont un peu tardé.
En finira-t-on un jour avec les coûteuses et inutiles interventions qui, aux Proche et Moyen-Orient, sont vouées à l’échec ? Lors de son très récent déplacement en Irak, M. Macron a évoqué l’intérêt d’une collaboration avec les Etats de la région contre le terrorisme. Cette option, du fait même qu’elle est raisonnable, pourrait constituer une opportunité pour la France : celle de rester présente là où elle compte encore, et malgré tout, des amis et des intérêts.
Cependant, il ne faut pas croire que le désengagement américain calmera forcément les ardeurs idéologiques de tous ceux qui se sentent, en France même, investis d’une mission. Certes, les faits sont là : l’ingérence occidentale, celle qui prétend imposer la démocratie, est un échec. Serait-ce donc la fin du « droit d’ingérence » ? On aurait pu le penser.
C’est sans compter avec la rage idéologique de certains. Invités de LCI, mardi 31 août, Mme Fourest et M. Legrand prennent certes acte de l’échec total du droit d’ingérence « par le haut », mais c’est pour mieux ériger en valeur intangible le droit d’ingérence démocratique « par le bas » c’est-à-dire, selon eux, au niveau des peuples et des sociétés civiles : « Y renoncer, ce serait admettre que nos valeurs ne sont pas universelles. » Cela peut paraître paradoxal mais cette obsession de la transcendance, sur le même sujet, les rapproche de la doctrine coloniale de la troisième République et de la pensée messianique du pape François. Pour le pire, n’en doutons pas. ■
** Agrégé de Lettres Modernes.
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