Pour Gaspard Koenig, dans le Figaro*, la meilleure manière de punir les djihadistes serait de « leur refuser un nom et de les enterrer dans l’anonymat ». Sorte de refus à l’antique d’accomplir pour eux les rites funéraires … L’anonymat pour les djihadistes, Gaspard Koenig a bien raison ! Mais si la liberté d’expression est une forme d’absolu, qu’est-ce qui pourra empêcher les médias d’en dire tout et le reste ? LFAR
Impossible de ne pas connaître leurs noms, leurs visages, leurs adresses, leurs habitudes, leurs vacances, les moindres méandres de leurs vies misérables. Les journaux leur consacrent des portraits à longueur de pages, avec interviews de la grand-mère et de l’ami d’enfance. On cite des textos de leur épouse restée en Syrie, toute fière de cette gloire soudaine. Les terroristes sont devenus des stars. Des stars du mal, mais des stars quand même. Malgré le travail de mémoire des réseaux sociaux, malgré la litanie du Président de la République dans la cour des Invalides, qui connaît l’identité de leurs victimes?
En nommant les assassins, nous leur avons offert une triste victoire. La même que celle d’Erostrate, ce citoyen Grec du 4e siècle avant notre ère qui avait incendié le temple d’Artémis à Ephèse, une des sept merveilles du monde, dans le seul but de devenir célèbre. La postérité a oublié le nom de l’architecte du temple, celui des prêtres et des fidèles, et même celui de la déesse ; mais on a retenu celui de l’incendiaire.
Incontestablement, Erostrate a réussi son coup. Sartre lui a d’ailleurs consacré une nouvelle dans Le Mur. Il en imagine une version contemporaine : Paul Hilbert, petit employé aigri, misanthrope timide, refoulé sexuel, et reconverti dans le crime de masse. “Je ne sortis plus sans mon revolver, explique ce héros quelconque. Je regardais le dos des gens et j’imaginais, d’après leur démarche, la façon dont ils tomberaient si je leur tirais dessus (…) Je me voyais en train de leur tirer dessus. Je les dégringolais comme des pipes, ils tombaient les uns sur les autres, et les survivants, pris de panique, refluaient dans le théâtre en brisant les vitres des portes.” Comme au Bataclan. Haine du regard inconnu, du sourire gratuit.
Paul Hilbert se délecte à l’avance de son crime. Il aura son heure de gloire, satisfaction suprême du kamikaze. “Un jour, pense-t-il, au terme de ma sombre vie, j’exploserais et j’illuminerais le monde d’une flamme violente et brève comme un éclair de magnésium.” Les journaux chanteront son nom, le nom de Paul Hilbert, qu’il a pris soin de bien inscrire dans la mémoire collective en envoyant des lettres à tous les académiciens français. L’équivalent Trente Glorieuses d’un post FaceBook.
La meilleure manière de punir les Erostrate, les Paul Hilbert, les djihadistes de notre monde, serait de leur refuser un nom. De les enterrer dans l’anonymat.
C’est d’ailleurs ce qu’avaient voulu faire les Ephésiens pour Erostrate. “Ils avaient eu la sagesse, nous dit l’historien Valère Maxime, d’abolir par décret la mémoire d’un homme si exécrable; mais l’éloquent Théopompe l’a nommé dans ses livres d’histoire.” Chers amis journalistes, blogueurs, twittos, citoyens curieux: apprenons de nos erreurs. Cessons de glorifier nos ennemis. Appelons-les Terroriste 1, 2, 3, 10. Donnons-leur des surnoms ridicules. Ne leur faisons pas l’honneur de la postérité. •
* 3.XII.2015
Ancien élève de l’École Normale Supérieure, agrégé de philosophie, Gaspard Koenig est Président du think-tank GenerationLibre. Son dernier livre, « Le révolutionnaire, l’expert et le geek. Combat pour l’autonomie » vient de paraitre aux éditions Plon.
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“Il est bon !!”