Les Lundis.
Par Louis-Joseph Delanglade*.
Publié le 11.05.2020 – Actualisé le 18.05.2020.
Certes des précédents existent qui ont agité la zone euro mais, cette fois (mardi 5 mai), c’est extrêmement violent : le Tribunal constitutionnel fédéral de Karlsruhe donne trois mois à la B.C.E. pour justifier ses rachats de dette publique (2200 milliards d’euros depuis 2015, récent plan d’urgence de 750 milliards compris) mais s’en prend aussi à la Cour de justice de l’Union européenne qui se serait arrogé le droit de donner son quitus à l’opération. La B.C.E. est tout simplement accusée d’avoir contourné les traités en finançant indirectement certains Etats (M. Draghi aurait ainsi en son temps favorisé l’Italie) et la C.J.U.E. de s’ériger en incarnation d’une inexistante souveraineté supranationale.
Cette seconde accusation est d’importance car faire primer l’identité constitutionnelle allemande conduit à récuser la notion de souveraineté européenne. Rappelons la décision du 30 juin 2009 de ce même tribunal constitutionnel affirmant « qu’il n’y a pas de peuple européen », décision qui illustre la continuité de la jurisprudence allemande dans ce domaine.
Approche quasi gaullienne, donc, d’une Allemagne qui fait primer ses propres intérêts. La première accusation est en effet motivée par la crainte d’une mutualisation rampante des dettes des Etats membres (hors de question de payer pour les autres) et la défense de l’épargne allemande (notamment celle des retraités) menacée par les taux d’intérêt trop bas. M. Glucksmann n’a donc pas tort de déclarer : « J’ai peur pour l’avenir de l’Union européenne. » (France Inter, 9 mai).
Cela dit, c’est dès le 6 mai que les réactions de ce côté-ci du Rhin sont fonction du clivage souverainisme-européisme. Les partisans de l’Union sont consternés ou simplement agacés. Consterné M. Seux qui, dans son « édito économique « (France Inter) déclare : « Avec une monnaie unique, tout le monde est dans le même bateau […] Les Allemands doivent dire s’ils veulent que le bateau coule. » A vos bouées ! Agacé, M. Minc qui lui succède au même micro en tant qu’invité de 7h50 : « C’est un jeu de rôles classique qui dure depuis la création de l’euro. La cour de Karlsruhe tient des raisonnements juridiques que la réalité de la pratique contourne […] Donc, c’est à la fois désagréable, un peu misérable et sans importance. » Ça va donc faire pschitt, comme aurait dit Jacques Chirac. On remarque que Mme Lagarde va plutôt dans ce sens puisqu’elle « ne veu[t] pas d’escalade dans le conflit » et privilégie « une solution diplomatique qui protège l’indépendance de la B.C.E. tout en satisfaisant les exigences des juges. ». Le compromis à tout prix !
Bien entendu, la voix d’Eric Zemmour (C.News, « Face à l’info ») détonne franchement, dès le titre empreint d’ironie de son intervention : « L’Allemagne s’attaque à l’U.E. ». Mais, sur le fond, son analyse colle au message lancé par le Tribunal de Karlsruhe : refus de se soumettre à la C.J.U.E. et menace à l’encontre de la B.C.E.
Cette menace qui exaspère Alain Minc, c’est la possibilité que soit interdit à la Bundesbank de participer à l’opération de financement montée par la B.C.E. Ce serait un coup fatal pour la zone euro et la fin de la ligne Mario Draghi qui, en 2012, se déclarait prêt à tout ce qui était en son pouvoir pour « préserver l’euro ». Or, malgré qu’en ait Alain Minc, le simple fait de brandir une telle menace lui donne du crédit : tout le monde sait désormais que la zone euro est mortelle. Il ne s’agit pas de s’en réjouir, mais d’en avoir politiquement conscience.
L’Union vient quand même de fêter samedi 9 les soixante-dix ans de la déclaration fondatrice de Robert Schuman. Bien piètre Union en vérité, coupée en au moins deux zones économiques et financières très nettes où le nord-fourmi s’oppose au sud-cigale. Ses partisans les plus naïfs veulent croire à un sursaut du couple franco-allemand. Or, s’il a jamais existé, ce dernier a cependant fait long feu. Le décrochage continu de la France aggravé par un euro clone du mark, un deutschemark bis si l’on préfère, laisse la seule Allemagne en position de force. L’Union n’échappant pas à la nature des choses, tout y est rapport de force. Il faut cesser de (faire semblant de) croire au compromis et à la négociation, démarches qui peuvent tout au plus faire illusion quelque temps. D’ailleurs, pourquoi l’Allemagne renoncerait-elle à son avantage ? Qui peut croire, plus précisément, qu’elle céderait sur sa souveraineté monétaire de fait ?
Cela aussi, il faut en avoir politiquement conscience. Pour la suite, nous verrons dans trois mois. ■
* Agrégé de Lettres Modernes.
Retrouvez les Lundis précédents de Louis-Joseph Delanglade.
© JSF – Peut être repris à condition de citer la source
Chers amis lecteurs,
Que dire de cette situation ubuesque ? Qu’elle est le reflet parfait de la situation politique de l’UE. Cette Union de la carpe et du lapin, du chou et de la carotte, de la crème fraîche et de l’huile d’olive, a fait long feu … Avec une Europe de l’Est qui fait ce que bon lui semble, une Europe du sud aux prises avec les migrations clandestines incontrôlées et imposées, une Europe du Nord toujours bon élève mais qui s’impatiente, un Royaume-Uni qui a mis les voiles, sans parler d’une Présidente de la Commission inaudible, l’UE n’est qu’une coquille vide. Vidée de l’esprit de ses Pères Fondateurs, dirigée par des techno, arc-boutés sur la concurrence absolue, le libre-échange mondialiste, la financiarisation extrême, la privatisation des services publics, et surtout une incapacité sanitaire à agir pendant les semaines de confinement, l’UE préfère parler de l’adhésion de l’Albanie et de la Macédoine du nord, qu’aider l’Italie et l’Espagne tragiquement touchées par la pandémie. L’UE est en voie d’extinction, son enfant l’Euro ne tient qu’au bon vouloir de l’Amérique et de la Chine, ses instances n’ont plus aucune crédibilité face aux décisions judiciaires nationales… Bref, on assiste tranquillement et quasiment sans drame, hormis quelques contractions (pillage de la Grèce par l’Allemagne et la Chine) à la mise en place de soins palliatifs pour une mort sans souffrance de l’Union européenne… politique, monétaire, industrielle, sanitaire. Vive les Nations européennes!