Par Pierre Builly.
Les mariés de l’An II de Jean-Paul Rappeneau (1971).
Cavalcade au milieu des échafauds.
Introduction : À Nantes, en 1787, Nicolas Philibert épouse Charlotte Gosselin, puis tue en duel un aristocrate trop galant. Il s’enfuit en Amérique, seul. En Caroline du Sud, il fait fortune dans le commerce des épices et s’éprend d’une riche héritière qu’il ne peut, hélas, épouser. Il décide donc de retourner sur le Vieux Continent, où le divorce a été légalisé par la providentielle Révolution. En pleine guerre civile, il retrouve Charlotte, qui a choisi le camp des royalistes. Aimée par un marquis et courtisée par un prince, Charlotte jubile. Les événements se précipitent. Nicolas, que les soubresauts politiques laissent indifférent, poursuit Charlotte à travers batailles et complots, dans l’espoir de l’amener devant le notaire…
En revoyant une nouvelle fois ce film qui est peut-être, c’est vrai, le meilleur de Jean-Paul Rappeneau, je me faisais la réflexion qu’il dépeignait étonnamment bien ce que pouvait être l’état d’esprit des Français, au bout de quelques années d’agitation sanglante et comment Napoléon Bonaparte avait pu cueillir finalement sans grande difficulté un pays qui aspirait à la stabilité d’une nouvelle époque.
Comme le remarque excellemment un des intervenants des riches suppléments du DVD, la fastueuse musique de Michel Legrand allie et alterne habilement, selon les séquences, les parties de clavecin et les structures mélodiques de l’Ancien Régime et les amples scansions majestueuses de l’Empire ; eh bien selon les séquences, là aussi, on est tout aussi révulsé d’horreur devant le fantoche sanguinolent joué à merveille par Julien Guiomar, évidente incarnation du sinistre Carrier, qui noya dans la Loire près de 5000 personnes qu’attristé de l’étroitesse d’esprit et de la morgue d’aristocrates malsains qui ne peuvent comprendre que le Monde a changé.
Je ne mets pas la Terreur et l’aveuglement sur le même plan, certes : ce qu’on ressent dans Nantes, c’est une atmosphère d’épouvante et de suspicion permanentes, dans une famine idéologiquement entretenue et Carrier-Guiomar – j’y reviens – parvient à mêler la bonhomie, l’outrance, le fanatisme, la cruauté et la naïveté, naïveté rousseauiste fort bien incarnée aussi par l’excellent Charles Denner, image même de ces dictateurs de la vertu dont la dernière incarnation furent les tendres Khmers rouges.
Du côté royaliste, c’est un peu plus flou : le marquis de Guérande (Sami Frey, vraiment très beau) est d’une dégradante cruauté ; on voit assez que c’est un libertin (au sens philosophique du terme), embarqué par atavisme dans une cause dont il se fiche complétement, finalement, et qui n’a d’autre passion que celle, incestueuse, qu’il nourrit pour sa sœur (il est vrai que c’est Laura Antonelli pour qui il n’est pas illégitime de craquer) ; mais le Prince (Michel Auclair, gluant, comme à l’habitude) est d’une rare veulerie, et Saint-Aubin (Patrick Préjean) est aussi nuisible que ridicule…
Les mariés de l’An II est un film qui ne s’arrête jamais et qui parcourt, avec le même bonheur de rythme, la France de l’Est à l’Ouest, de Nantes à ce qui pourrait être Valmy…
Distribution impeccable, avec un Belmondo qui était encore un grand acteur, dans un rôle qui lui va comme un gant, et une Marlène Jobert piquante et séduisante à souhait ; puis, outre ceux que j’ai cités, un Pierre Brasseur assez sobre et un Mario David, factotum chouan du Prince, très convaincant. Scénario élégant, intelligent et vif, musique, images de Claude Renoir, décors d’Alexandre Trauner, moyens importants (le film a été tourné en Roumanie)… fallait-il plus pour tourner cette remarquable réussite ? ■
DVD autour de 13 €…
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